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Politique en jachères

Emmanuel Macron, la parenthèse (des)enchantée ?

Sur le perron de l'Elysée, le 11 octobre 2017. Ludovic Marin / AFP

« On doit éviter les parenthèses trop longues de façon qu’elles ne rendent pas la phrase louche et qu’elles n’empêchent pas d’apercevoir la suite des corrélatifs. » (Littré, art. « Parenthèse »)

Mais quel bordel Emmanuel Macron nous a foutu ! En défiant impunément toutes les prévisions, en piétinant obstinément le vieux clivage gauche-droite, en obtenant contre toute attente une chambre introuvable, en appliquant au prix d’accommodements minima le programme annoncé dès son élection, celui dont nous avions, ici même, souligné il y a dix-huit mois l’étrangeté de la démarche, taille une brèche profonde dans le consensus politique dominant. Une brèche en forme de parenthèse aux effets ravageurs sur une scène politique totalement disloquée.

Dans une France majoritairement gagnée à la droite par lassitude de la gauche, les partis dominants des deux camps payent des décennies d’impéritie et d’imprévoyance. Les cigales ont trop longtemps chanté pour être prises au sérieux aujourd’hui : plus qu’une défaite électorale, présidentielle et législatives 2017 constituent un brutal désaveu démocratique pour des acteurs politiques dont la légitimité s’est effondrée, la crédibilité envolée au vent des voix perdues et des promesses non tenues.

2017 a marqué la rupture d’un cycle qu’on prétendait intangible, celui de l’alternance droite-gauche. Nous voici aux antipodes de 1995 et surtout de 1981. L’espoir ne change pas de camp, il déserte le front. D’une certaine manière, Macron a volé sa victoire à la droite et épargné une défaite à la gauche.

La désagrégation des blocs

Parce qu’elles ont toutes deux perdu la confiance des Français, une droite rétrécie au lessivage électoral, une gauche amollie par cinq années de hollandisme et déchirée par ses contradictions internes, cherchent vainement à rassembler leurs petits dispersés dans les décombres de leurs familles éclatées.

Le signe implacable de leur déroute, c’est leur incapacité à formuler un discours d’opposition rassembleur. On oscille entre l’incantation et l’imprécation, dont les extrêmes – Insoumis et Frontistes – semblent s’être fait une spécialité parfaitement complémentaire. Le résultat est saisissant : voilà les uns qui admirent ce qu’ils dénonçaient il y a peu, d’autres qui vouent aux gémonies leur politique d’hier.

François Baroin (ici en 2009), pas à une contradiction près… Fondapol/Wikimedia

Dans un monde surréel, où les mots cessent de correspondre aux choses, émerge dans tout l’échiquier politique la revendication d’un nouveau droit : le droit à se contredire. Ne voit-on pas, par exemple, François Baroin, naguère promis à devenir premier ministre d’un Fillon victorieux, dénoncer la réduction des emplois aidés dont le programme de son leader prônait la suppression ? Des socialistes, anciens de l’équipe dirigeante, mêler leur voix à celle des Frondeurs et tirer à boulets rouges sur des ordonnances qui ne sont que l’aboutissement de la loi Travail si laborieusement adoptée sous leur impulsion ?

Faute de repères et de perspectives, on se raccroche à des symboles, on isole les mesures fiscales des mesures sociales, on feint de croire que tout le programme présidentiel devrait être engagé en même temps et avoir abouti en trois mois. On se réchauffe le cœur en brocardant l’image répétée en boucle d’un « Président des riches ». La presse aussi s’abandonne aux délices du parachronisme pour tenter de mettre Emmanuel Macron dans une case. Ainsi Libération, qui en fait « le fils caché de Sarkozy ». Jusqu’aux économistes qui y perdent leur latin en remettant au goût du jour une surprenante théorie du ruissellement jamais invoquée pour mieux en contester l’efficacité !

Dans une manière de cacophonie, gauche et droite prétendent fièrement affirmer leurs valeurs. On cherche vainement une tentative d’inscrire celles-ci dans un contre-projet ou dans des contre-propositions. Personne n’est dupe de ce jeu byzantin où il s’agit moins de s’opposer que de gagner du temps pour préparer la revanche lors des prochaines échéances. Il en résulte une formidable inertie, laissant un espace de mouvement considérable à l’équipe dirigeante : les ordonnances sont signées tandis que la loi sécurité, texte le plus menaçant pour les libertés depuis la guerre d'Algérie, est adoptée dans une quasi-indifférence ! Seule l’extrême gauche, de Vieux-Port en Bastille, de blog en vidéo, se livre à une parabase continuée. Sans d’ailleurs parvenir à coaguler autour d’elle le mécontentement populaire.

Ils n’en mouraient pas tous…

Dans la foulée du désarroi idéologique et de la course des ambitions, des explosions en chaîne se déclarent ou se préparent bruyamment. Ils n’en meurent pas tous, mais tous en sont frappés.

Bien sûr, le plus touché est le Parti socialiste, contraint d'abandonner jusqu'aux symboles de son passé devant l’hémorragie financière et la fuite des militants : Valls devenu pérégrin solitaire dans l’orbite du macronisme ; Hamon, porte drapeau officiel à la présidentielle, réfugié dans un nouveau mouvement enregistré sous le matricule M 1717 ; Le Drian chef de file des ralliés au Président, Vallaud refondant une « Nouvelle gauche »…

Passons vite sur le mouvement écologiste disloqué totalement et tiraillé entre l’insoumission politique et l’écologie réaliste. Et sur les Radicaux, qui tentent d’étirer leurs contours en réunissant leurs misères électorales sous une seule bannière. Mais que dire d’une droite pliée en quatre, où les « constructifs » sont devenus constructivistes d’une nouvelle alliance en forme d’opposition inversée, où certaines éminences se déclarent « Libres », où d’autres, rangées sous la bannière d’un jeune loup des Cévennes tentent de faire sens commun avec la droite de la droite, pendant que d’autres encore ont des yeux de Chimène pour le centre ?

Les extrêmes n’échappent pas aux contrecoups des répliques : le FN, cassé en trois, règle ses comptes en forme de fuite (Philippot et ses « Patriotes ») ou de repli stratégique (Marion Maréchal–Le Pen). De l’autre côté de l’échiquier, le PCF tente de résister aux dents des Insoumis en cherchant des alliances salvatrices.

Rien d’étonnant, dès lors, à voir la France se mettre majoritairement en expectative, qu’elle soit bienveillante ou méfiante. L’attente y est devenue le purgatoire obligé de la confiance. Emmanuel Macron l’a bien compris, qui avance sous le vent en louvoyant artistiquement, lâchant la voile à droite, tout en préparant un coup de barre à gauche. Plus qu'à Jupiter, c’est à Éole qu’il fait penser : il a ouvert grande la bourse des vents entravant tout retour au port des navires de ses opposants. « En même temps », sa propre flotte franchit le gros du cap des tempêtes sans trop subir le dommage des vagues scélérates.

Le but, c’est le chemin

Emmanuel Macron avance. Vite. Et il a raison, car le temps lui est compté. Confronté à une dette de plus de 2 200 milliards, à une Europe en panne, à un chômage obstinément élevé, à une croissance molle, toutes choses entraînant une profonde discordance entre notre modèle économique et notre modèle social, il devait rompre avec les vieilles recettes partisanes, et faire bipolarisation buissonnière. C’est Goethe qui disait déjà : « Le but, c’est le chemin. »

Au risque de l’impopularité, le nouveau Président tente de briser le cercle de trente ans d’immobilisme. La stratégie qu’il a adoptée relève de la parenthèse : on sait, en grammaire, que cette formule désigne une phrase formant un sens distinct séparé du sens de la période où elle est insérée.

En déplacement sur le thème de la sécurité, à Lyon, le 28 septembre 2017. Ludovic Marin/AFP

Cette déconnexion s’est avérée nécessaire pour donner à Emmanuel Macron la spectaculaire liberté de mouvement dont il fait usage dans son travail de désoperculateur. Mais elle comporte une rançon et une limite.

  • Une rançon : celle de l’obligation de gagner son pari de relancer l’économie et de rétablir, sinon la prospérité au moins la promesse d’un nouvel équilibre social.

  • Une limite : celle du temps. Ni la droite ni la gauche n'ont disparu, ni ne disparaîtront : elles sont la traduction de ce dualisme fondamental de la démocratie qui repose sur le débat structurant égalité-liberté. Le clivage exigera vite de nouveau son droit de cité. Et si les règles du jeu institutionnel n’ont pas évolué, la bipolarisation stérilisante reprendra le dessus, comme l’espèrent et le guettent déjà les acteurs des partis traditionnels.

Une réforme profonde des institutions et des règles électorales, permettant souplesse et fluidité, est donc une action essentielle à ajouter à l’agenda du Président, s’il veut pouvoir inscrire dans la durée le nouvel ordre que la parenthèse lui aura permis de fonder. Et cela sans trop tarder. Car « d’une façon ou d’une autre, cette parenthèse sera fermée dans deux ans », écrivait Montherlant à la fin des Lépreuses.

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