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Emploi en Europe : les réponses des entreprises à la crise témoignent de fortes disparités sectorielles

Des employés de l’avionneur Airbus manifestent contre le plan de suppression de 5 000 postes en France, en juillet 2020, à l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Georges Gobet / AFP

L’impact négatif dans les secteurs touchés par la crise de la Covid-19 a été atténué pour les entreprises qui avaient les ressources pour réagir vite et s’adapter à la nouvelle conjoncture et l’évolution des besoins de la société.

Le cycle de vie d’une entreprise est associé à une évolution progressive de ses activités qui pourrait l’amener à engager une restructuration avec des conséquences positives ou négatives sur le marché du travail. Il existe plusieurs types de restructurations, à savoir des remaniements de la structure organisationnelle impliquant des licenciements collectifs, des fermetures de sites, des défaillances, des fusions et acquisitions, des externalisations, des délocalisations, et des expansions d’activité.

Les quatre premiers types conduisent à la réduction des postes, les deux suivants se traduisent par un transfert des postes d’un endroit à l’autre et le dernier favorise la création d’emplois.

Au cours des dernières décennies, les suppressions d’emplois sont devenues des stratégies de plus en plus utilisées pour améliorer la rentabilité des entreprises, car elles permettent un ajustement immédiat à travers des réductions des coûts. À titre d’exemple, dans l’Union européenne, une moyenne de 30 annonces de suppressions massives de postes apparaît dans les médias nationaux chaque semaine avant la crise. Aux États-Unis, chaque année, les entreprises ont signalé en moyenne environ 6 700 licenciements massifs, soit 1,2 millions d’emplois en moins.

Court terme

Ces mesures peuvent apparaître à la fois dans le cadre d’un plan stratégique de réorganisation, en vue d’une augmentation de l’efficacité expliquée par le développement de nouveaux produits, mise en place de nouvelles technologies ou réorganisation interne, ou comme une réaction à un contexte défavorable à l’entreprise.

Dans une période de récession (et notamment d’une crise économique) ce phénomène s’accélère. D’une part, la conjoncture économique pousse les entreprises à recourir à ces pratiques afin de faire face à une demande en baisse et des problèmes financiers à la suite du resserrement du crédit. La particularité d’une crise consiste à la perception de la baisse de la demande comme temporaire ce qui justifie des mesures produisant des résultats à court terme. En effet, comme l’a démontré l’économiste américain Wayne Cascio en 2002, il est plus facile d’ajuster la structure des coûts que de gérer l’évolution du chiffre d’affaires, surtout en période d’incertitude.

D’autre part, une crise économique est susceptible d’attiser des réactions stratégiques, dans la mesure où le contexte global défavorable pourrait servir aux entreprises comme justification pour des mesures de suppression d’emplois planifiées précédemment. Ceci est visible par le biais d’une éruption des restructurations par secteur observée pour les entreprises cotées en bourse.

Nous considérons dans l’ensemble des graphiques présentés ici les types de restructuration suivants : des remaniements de la structure organisationnelle impliquant des licenciements massifs, des fermetures de sites, des défaillances et des fusions et acquisitions. Les pays considérés sont ceux qui font partie de l’UE et Norvège ; les annonces où le pays de restructuration est identifié comme étant « European Union » ou « World » n’ont pas été inclues afin d’éviter les redondances. European Restructuring Monitor, calcul des auteurs

Le graphique ci-dessus, illustrant l’évolution du nombre d’annonces de restructuration entraînant les réductions d’emplois en Europe, confirme ces tendances. Les annonces des suppressions d’emplois s’intensifient pendant la crise de 2007-2009 et la crise sanitaire de la Covid-19.

Il y a également une autre période qui se distingue, 2005–2006. Néanmoins, il faut noter que les années 2005–2006 ne sont pas comparables à 2008–2009 et 2020, car elles étaient marquées par un envol des expansions d’activité conduisant à la création d’emplois, comme le met en évidence le graphique ci-dessous.

Par conséquent, cette période était caractérisée par des changements structurels dans l’économie et non par une suppression nette des postes. Or, en 2008–2009 et en 2020 la création des emplois était au plus bas depuis 2004.

European Restructuring Monitor, calcul des auteurs

Comme nous pouvons le voir, des crises sont des chocs qui forcent les entreprises à agir en conséquence. Toutefois, il y a quelques différences importantes entre les deux crises. Tout d’abord, la réaction à la crise financière était retardée, car il y a eu un décalage entre le moment où les premiers signes de la crise sont apparus (2007, puis confirmation en 2008) et le recours à des mesures de licenciements collectifs.

À l’inverse, la crise sanitaire a imposé une réponse imminente de la part des entreprises dans la mesure où les premières annonces invoquant la Covid-19 comme cause principale datent du début mars 2020 et la tendance s’amplifie dans les mois qui suivent. La menace d’une crise économique a été ressentie plus rapidement, ce qui a incité certaines entreprises à adapter leurs activités et diminuer l’impact négatif sur le profit.

Inégalités sectorielles

En y regardant de plus près, nous constatons une inégalité importante au niveau sectoriel. Les secteurs où l’impact était imminent et le plus prononcé sont ceux qui sont liés aux déplacements des personnes (transport, surtout compagnies aériennes ou transport naval, et hôtellerie) et des secteurs sous-jacents (fabrication de matériel de transport, restauration).

European Restructuring Monitor, calcul des auteurs
European Restructuring Monitor, calcul des auteurs

Les mesures du confinement mises en place par plusieurs pays ont aussi mis en péril les entreprises dans le domaine des arts et des activités récréatives. Le commerce de détail classique (sur place) n’a pas été épargné non plus. Cela concernait surtout la fabrication des biens qui ne sont pas la première nécessité (comme l’habillement), mais même des produits alimentaires.

Constat intéressant, même si la demande des produits alimentaires était soutenue ou même repartie à la hausse, toutes les entreprises du secteur n’embauchaient pas forcément (entre autres, c’était lié aux coûts supplémentaires, tels que les taxes imposées par certains gouvernements, comme la taxe sur les enseignes de grande distribution rétablie en avril 2020 en Hongrie). En revanche, l’e-commerce a constitué une opportunité pour développer l’activité.

Agilité

L’impact négatif dans les secteurs touchés par la crise a été atténué pour les entreprises qui avaient les ressources pour réagir vite et s’adapter à la nouvelle conjoncture et l’évolution des besoins de la société. Curieusement, cela n’est pas restreint à des entreprises dans le domaine de la technologie et l’innovation ou à celles qui pouvaient basculer leur effectif en télétravail.

Nous retrouvons également cette agilité dans la fabrication de papeterie (par exemple, l’entreprise slovaque Harmanec-Kuvert a adapté sa production pour fabriquer des sacs pour des achats à emporter, au lieu de fabriquer des enveloppes, dont la demande a baissé) ou encore la fabrication des produits cosmétiques (comme c’est le cas de L’Oréal qui s’est mis à fabriquer du gel hydroalcoolique).

Pour certains secteurs, la pandémie a créé des conditions favorables pour la création des postes, notamment dans la fabrication des produits alimentaires, des équipements et matériaux médicaux, ou dans le domaine de la santé publique et activité sociale (par exemple, 2 Sisters Food Group, Cylinders Holding).

Enfin, la pandémie a incité des entreprises à repenser leurs plans de restructuration annoncés avant qu’elle ne se déclenche. Certaines ont décidé de décaler les licenciements initialement prévus ou d’en réduire l’ampleur afin de protéger les employés dans un environnement incertain (Steklarna Rogaška, Ibercaja). D’autres ont maintenu la création d’emplois malgré le contexte actuel (Starling Bank, SK Battery Hungary), alors que pour d’autres, la Covid-19 a accéléré la suppression de postes précédemment annoncée (Airbus).

Notons enfin que ce mouvement de restructurations dues aux impacts directs ou indirects de la crise sanitaire actuelle est susceptible de se poursuivre dans les mois qui viennent, notamment une fois que l’assouplissement des règles mis en place par les gouvernements dans le cadre de l’état d’urgence prendra fin.

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