Depuis les années 1980 en France, on observe davantage d’instabilité et de discontinuités dans les parcours professionnels. Outre les raisons économiques, ces ruptures interviennent de plus en plus lorsque les individus veulent reprendre le contrôle sur leur carrière en optant pour une reconversion.
Les mobilités professionnelles volontaires sont en effet fréquemment inspirées par l’insatisfaction quant au sens du travail. D’ailleurs, quand les salariés dont le travail perd de son sens ne quittent pas leur emploi, ils connaissent une augmentation significative du nombre de jours d’absence pour maladie.
C’est notamment pourquoi, en 2009, la France se dotait d’une loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Plus généralement, dans les mentalités, il apparaît que la carrière incombe désormais à l’individu plus qu’à l’organisation dans laquelle il évolue.
L’adaptabilité, une capacité à activer
Depuis les années 2010, on assiste ainsi en parallèle à une multiplication des acteurs de l’accompagnement professionnel. Cette aide apparaît essentielle car les individus aujourd’hui ont besoin de cultiver une compétence qui ne leur a pas été transmise par leur scolarité ni par leur éducation : celle de l’adaptabilité, qui regroupe un ensemble de ressources psychosociales qui permettent à l’individu de rebondir face à des situations imprévues ou complexes.
Ce dernier peut alors mobiliser une conscience forte qui l’amène à se préoccuper de ce qui l’intéresse le plus, il met en œuvre des stratégies pour connaître ses besoins et dévoiler ses aspirations profondes, il recourt à l’aide extérieure pour identifier des ressources, collecter de l’information, confronter des scénarios divers de son devenir et cultiver un sentiment de préférence entre ces scénarios. Il a aussi l’aptitude de se mobiliser entièrement dans la réalisation concrète de ce qui va servir son équilibre et lui assurer un échange harmonieux avec son environnement.
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Toutes ces capacités devront être mobilisables à chaque fois que la personne se trouve face à un choix à faire, à une solution à trouver pour préserver son bien-être en se donnant les moyens de répondre à ses aspirations.
Confiance accrue
Dans le cadre de nos recherches, nous avons pu établir que cette capacité est malléable chez les adultes. Autrement dit, même quand elle n’a pas été stimulée par le contexte socioculturel pendant les années de jeunesse, elle peut toujours être activée chez les adultes grâce à des interventions bien calibrées. Nous avons notamment mené une étude d’impact (à paraître dans la revue Humain et Organisation) d’un programme de formation conçu et proposé par la structure spécialisée dans l’accompagnement professionnel Primaveras (dont l’autrice de cet article est co-fondatrice et directrice pédagogique). Cette formation est conçue selon les principes de l’apprentissage expérientiel. Elle est proposée sous forme d’ateliers en présentiel et de séances d’accompagnement en individuel. Les exercices et actions sont orientés vers la prise d’autonomie et le développement du pouvoir d’agir des participants.
Les participants qui entreprennent ce programme le font généralement à l’occasion d’un passage nébuleux dans leur vie professionnelle. Ils sont souvent diplômés de l’enseignement supérieur et ont pour la majorité d’entre eux une expérience professionnelle de plusieurs années. L’âge dans la population étudiée variait de 27 à 59 ans avec un âge moyen à 42 ans. Les participants sont souvent issus de parcours linéaires les ayant amenés à exercer des rôles de responsabilité, d’encadrement ou de production intellectuelle. Au moment de l’étude, 30 % d’entre eux étaient au chômage. Les autres occupaient un poste à temps plein.
Pour évaluer l’impact du programme des participants, nous avons utilisé le questionnaire « Career Adapt-Abilities Scale » qui mesure l’adaptabilité de carrière à partir de quatre dimensions indépendantes : la conscience de l’importance de se préoccuper de son parcours, le sentiment de contrôle sur ses choix, la curiosité pour explorer ce qui est possible, et la confiance dans sa capacité à résoudre des situations nouvelles. Chaque dimension rassemble 6 items sous forme d’échelles en 5 points. Pour chaque item, le participant évalue avec quelle force la dimension en question est présente chez lui, allant de 1, « l’aptitude n’est pas une force », à 5 « c’est l’aptitude la plus forte ».
Sur une période de deux ans, au cours de laquelle la formation a pris place, le questionnaire a été soumis à une petite centaine d’individus à trois reprises, au début, au milieu et à la fin du programme de formation. La conclusion de l’analyse est limpide : les participants perçoivent globalement une nette augmentation de leur niveau de préoccupation de leur avenir, une augmentation de leur sentiment de contrôle sur ce qui peut leur arriver, une meilleure aisance à s’imaginer dans des contextes professionnels et de vie variés et à rechercher et intégrer des informations nouvelles sur leur environnement ou sur des évolutions possibles de leur situation.
Les participants perçoivent également une confiance accrue dans leur capacité à rebondir, à faire face aux aléas et à résoudre de nouveaux problèmes. Cette amélioration de leur niveau de conscience, de contrôle, de curiosité et de confiance est relevée dès le milieu du programme et se renforce jusqu’à sa fin.
Plusieurs questions restent ouvertes
Ce travail a donc permis de rendre objectifs des constats empiriques et des témoignages spontanés des participants au programme. Le plus souvent, ces constats sont documentés pour permettre un suivi de l’évolution des compétences des apprenants. Ils sont alors nombreux à prendre conscience de leur propre apprentissage au fil du programme grâce à ce suivi.
Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue scientifique, de nombreuses questions restent ouvertes et permettent une suite d’investigation minutieuse. Parmi elles, la question de la pérennité des apprentissages. Car là aussi, nombreux sont les témoignages sur la permanence de l’activation de l’adaptabilité des anciens apprenants. Une étude quantitative permettrait d’apporter la démonstration scientifique de ce constat.
Une autre question intéressante du point de vue de la connaissance, c’est l’étude de l’impact précis des composantes du programme sur chacune des compétences. Cette connaissance apportera à l’ensemble des acteurs de ce domaine une meilleure visibilité sur les conditions d’efficacité d’une intervention d’accompagnement des choix professionnels.
Enfin, nous voyons également une perspective très ambitieuse à ce premier travail qui réside dans l’élucidation des conditions d’activation de l’adaptabilité. Ce sujet est bien plus vaste et mériterait d’être poursuivi en lançant l’étude de formats d’accompagnement variés avec des principes qui découleraient de cette première étude. En effet, parmi les hypothèses qui devraient être étudiées figure principalement celle qui stipule que la relation pédagogique a un impact fort sur l’activation des compétences. Nous voyons également une seconde hypothèse à vérifier : celle de la pertinence du choix de la pédagogie expérientielle comme mode d’accompagnement. Ces deux hypothèses feront l’objet d’études séparées pour isoler leurs effets.