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Finance durable : Comment l’UE a expérimenté les principes de la démocratie participative

Siège de la Commission européenne à Bruxelles
En mars 2018, la Commission européenne dévoilait un plan d’action pour une finance durable largement alimenté par les travaux de différents experts. Wikimedia commons

En 2016, la Commission européenne réunissait un groupe d’experts venant de la société civile, du secteur financier et universitaire pour préparer un rapport visant à réformer la régulation en faveur d’une finance plus durable. Après une année de travail, le groupe, composé de 20 personnes, émet ses recommandations en janvier 2018.

Moins de deux mois après la publication de ce rapport, en mars 2018, la Commission européenne dévoile son plan d’action pour une finance durable, largement alimenté par les travaux des experts. S’en suivra une série de régulations en matière de finance durable, telles que la « taxonomie verte » en 2020.

Le mode de fonctionnement suivi par ce groupe d’experts s’apparente à un « mini public délibératif » qui jusque-là réunissait plutôt des citoyens. Un projet de recherche européen a répertorié plus de 105 « mini-publics délibératifs » organisés entre 2000 et 2020 en Europe, dont 20 en France, où des conventions citoyennes sur le climat ou la fin de vie ont par exemple été organisées.

Depuis quelques années, ces principes de démocratie participative se développent aussi parmi les groupes d’experts et des représentants des parties prenantes aux intérêts divergents et aux parcours de plus en plus hétéroclites qui tentent de résoudre des problèmes sociaux et environnementaux.

Une capacité à délibérer fragile

Cependant, en ce qui concerne la forme la plus répandue des conventions citoyennes, cette forme de délibération reste régulièrement décriée du fait de son manque de transparence ou de légitimité démocratique. Et pour cause, les participants ne sont pas élus, mais, le plus souvent, aléatoirement choisis en fonction de critères sociodémographiques. De plus, ces participants-citoyens ne reconnaissent pas toujours le résultat tangible des discussions dans les recommandations finales, et encore moins dans leur mise en œuvre par le pouvoir politique.

La « capacité à délibérer » qui sous-tend ces conventions citoyennes reste elle-même fragile. Des chercheurs en sciences politiques comme l’Australien John Dryzek considèrent qu’une délibération est d’autant plus démocratique qu’elle intègre une diversité de participants et d’intérêts (inclusion), qu’elle se compose de débats clairement argumentés, au sein desquels les points de vue contradictoires sont écoutés avec empathie et débattus (authenticité) et qu’elle se traduit en implications concrètes, visibles et légitimes pour les participants (impact). Cependant, la mise en œuvre de ces trois propriétés reste une tâche complexe.

Des éoliennes en Camargue
L’adoption en 2020 d’une « taxonomie verte » européenne trouve son origine dans les travaux du groupe d’experts. Wikimedia

Notre étude suggère ainsi que l’organisation concrète d’une telle délibération s’apparente à une forme de funambulisme, tant sont fortes les contradictions entre inclusivité, authenticité et impact.

Trop d’inclusivité, avec des participants très divers, et ayant potentiellement des points de vue divergents, rend par exemple périlleuse la conduite de discussions authentiques. Un groupe plus homogène aura plus de facilités pour débattre et argumenter, mais ses recommandations seront moins représentatives de la diversité des enjeux.

Une réorganisation en cours de route

Dans le cas de la réglementation européenne en faveur de la finance verte, la Commission européenne a géré cette tension en recrutant, au-delà de membres d’organisations non gouvernementales et d’experts financiers, une proportion conséquente d’experts « hybrides » provenant de la finance durable avec une expertise du sujet et des expériences au sein de la société civile.

Une seconde tension oppose authenticité et impact. Le temps requis pour organiser un débat authentique peut être long. Bien que nécessaire pour créer des conditions de discussions authentiques, celui-ci correspond rarement aux urgences liées à l’agenda politique.

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Dans le cas étudié, les organisateurs prirent soin de redéfinir les frontières des espaces de délibération, en constituant des sous-groupes chargés de générer des idées sous forme orale et écrite. Ces sous-groupes ont été réorganisés en cours de route afin de ne pas laisser les participants s’enfermer dans leur domaine d’expertise.

La recherche d’inclusivité apparaît également en contradiction avec l’impact de la délibération, car la diversité des enjeux à prendre en compte peut ralentir la production de recommandations. Dans le groupe d’experts étudié, cette tension a été réduite en responsabilisant les participants vis-à-vis des résultats obtenus, en les impliquant dans des espaces de discussion publics (médias, forums publics), et en les incitant à prendre part aux discussions sur ces thèmes dans leurs pays respectifs, tout en dialoguant avec d’autres spécialistes de la Commission européenne et du Parlement européen.

Cette confrontation à d’autres espaces a contribué à la production de recommandations susceptibles d’avoir un impact tangible sur la régulation des marchés financiers.

Impliquer directement le politique

Toute personne impliquée dans la mise en œuvre d’une délibération a été confrontée à ces tensions, sources de frustrations pour les participants, notamment lorsque l’impact législatif des débats reste limité. S’il n’y a pas de recette miracle pour y remédier, notre recherche met en lumière des pratiques permettant de gérer ces tensions qui pourraient être utiles aux organisateurs de délibérations soucieux de les conduire de manière inclusive et authentique, tout en préservant leur impact.

Ainsi, impliquer les décideurs politiques directement dans de telles délibérations permettrait de renforcer leur impact concret sur le cadre législatif, notamment en ce qui concerne les questions sociétales ou liées au changement climatique.

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