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Grande distribution alimentaire : comment valoriser l’achat de produits frais traditionnels en ligne ?

Pour les produits comme les fruits et légumes, les consommateurs restent attachés à la possibilité de les voir, les toucher, les sentir ou même les goûter avant de les choisir. Atstock Productions / Shutterstock

Pendant la crise de la Covid-19, les consommateurs français ont progressivement privilégié les commerces de proximité, le drive ou la livraison à domicile. Dans les grandes surfaces alimentaires (GSA), les ventes e-commerce (drives, drives piéton et livraison à domicile) ont frôlé en 2020 la barre des 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit une progression annuelle de 46,5 %, selon Iri.

Dans ce contexte, les ventes de produits frais traditionnels en ligne ont aussi fortement progressé (+ 69,2 % entre 2019 et 2020). Pour ces produits « métier » (boucherie, fromagerie, poissonnerie, fruits et légumes, etc.), les consommateurs restent pourtant attachés aux magasins physiques dans lesquels ils peuvent les voir, toucher, sentir ou même goûter, avant de les choisir par eux-mêmes et/ou de se faire servir en bénéficiant des conseils avisés des vendeurs.

Selon les experts, ces évolutions des comportements d’achats alimentaires ne seront pas que conjoncturelles. Une partie des usagers actuels du drive, anciens ou convertis, devraient en effet continuer à privilégier ce circuit. Un client sur quatre d’hyper ou supermarchés affirment aussi aujourd’hui qu’ils viendront moins souvent y faire leurs courses et favoriseront désormais la proximité, le local et/ou le drive.

Les enseignements de la réalité virtuelle

Ces évolutions, déjà en marche mais fortement accélérées par la crise sanitaire actuelle (Leclerc a ainsi réalisé dès 2020 le chiffre d’affaires en drive espéré pour 2024) soulèvent dès lors quelques questionnements. Comment, notamment, les enseignes peuvent-elles, outre le challenge de la qualité des commandes mises à disposition des clients (choix, préparation, conservation des produits, packaging, adéquation aux attendus des clients, etc.), valoriser en ligne leurs offres de produits frais virtuelles et enrichir les expériences clients spécifiques ?

Il est en effet plus complexe d’intégrer des produits alimentaires frais dans de tels dispositifs, par exemple des fruits et légumes qui se caractérisent par leur forte variabilité interindividuelle, leur vieillissement en temps réel et leurs conditionnements variés (cf. à titre d’exemple, la multitude des variétés et formes des tomates, standardisées ou non, dont les apparences évoluent au fil du temps, vendues dans des emballages et poids très variables).

Selon les experts, une partie des usagers actuels du drive, anciens ou convertis, devraient en effet continuer à privilégier ce circuit après la crise. Jean‑Philippe Ksiazek/AFP

Pour répondre à ces questionnements, nous avons mené plusieurs expérimentations en magasins laboratoires virtuels qui apportent de premiers éclairages opérationnels pour les rayons fruits et légumes digitaux des GSA.

Les magasins laboratoires virtuels sont des outils utilisés depuis une dizaine d’années par les praticiens et les chercheurs pour étudier les comportements et perceptions des consommateurs confrontés, en situation d’achat, à différents stimuli marketing (nouveaux produits, packaging, plans d’implantation, prix, promotion, labels, stop rayon, etc.). Leur mise en œuvre se fait via un écran d’ordinateur (réalité virtuelle non immersive) ou, depuis plus récemment, via un casque de réalité virtuelle (RV) qui permet d’augmenter fortement, du point de vue de l’utilisateur, son immersion (réalité virtuelle immersive).

Pour des contraintes techniques et commerciales, ces dispositifs intègrent principalement des offres de produits semi-durables ou d’épicerie, dont les représentations visuelles sont limitées en nombre (références) et préalablement fixées (par exemple, paquets de café ou modèles de chaussures).

Dans le cadre de nos recherches, un magasin laboratoire virtuel intégrant un rayon fruits et légumes a donc été développé en partenariat avec l’École Centrale de Nantes, ce qui constitue aussi une innovation technologique importante.

Notre première expérimentation (en RV immersive) a ainsi permis de montrer que les perceptions de l’apparence et de la qualité de fruits et légumes dépendent en virtuel de leur degré de standardisation. Des fruits et légumes « peu » ou « modérément » difformes sont perçus comme meilleurs que ceux « fortement » difformes. Les produits « modérément » difformes contribuent aussi à véhiculer l’image d’un rayon proposant des produits plus authentiques, naturels, sains et savoureux, qui serait en outre susceptible de renforcer l’image RSE (Responsabilité sociétale de l’entreprise) du magasin et de son enseigne.

Les tomates ont une apparence qui évolue au fil du temps et sont vendues dans des emballages et à des poids très variables. Francesco83/Shutterstock

Notre deuxième expérimentation, menée simultanément dans notre magasin laboratoire virtuel (avec deux dispositifs, l’un non immersif, l’autre immersif) et notre magasin laboratoire physique répliqué, indique quant à elle que les perceptions de fruits et légumes « modérément » difformes sont similaires dans les trois dispositifs. En revanche, les consommateurs en achètent plus dans les magasins virtuels (non immersifs et immersifs) qu’en magasin physique. Ils ont aussi tendance à se fier davantage aux indices extrinsèques dans les magasins virtuels immersifs (les prix) et aux indices intrinsèques dans le magasin physique (l’apparence des produits).

La RV, futur canal de vente ?

Ces premiers résultats devront être bien évidemment enrichis et complétés pour orienter les décisions opérationnelles des acteurs des GSA quant au merchandising et à la mise en scène de leurs rayons digitaux fruits et légumes, et plus globalement métier. Ils ouvrent toutefois des pistes de recherche intéressantes quant à l’analyse des comportements d’achats de produits alimentaires frais en drive, voir, demain, en RV avec l’intégration du V-Commerce dans les stratégies omnicanal des enseignes alimentaires.

L’usage de la RV en shopping se limite encore essentiellement à des actions d’aide à la vente (visiter en virtuel sa future cuisine chez IKEA) ou de création d’évènements pour générer du trafic et du lien avec des clients (faire découvrir des parfums pour la marque Coty).

La démocratisation actuelle des casques de RV laisse toutefois présager que ces dispositifs puissent devenir, dans un futur plus ou moins proche, un canal de vente à part entière, susceptible de compléter les multiples points de contacts et canaux de distribution physiques et online des enseignes, aux bénéfices des expériences de leurs clients de plus en plus connectés. Déjà, des projets se déploient comme l’application Buy+ du géant chinois Alibaba ou la boutique 100 % digitale Nespresso.

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