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La fabrique des filles et des garçons : hormones, attention aux interprétations (2)

Rennett Stowe/Flickr, CC BY

Dans un premier article, nous avons vu l’importance de l’environnement social et culturel dans la construction des cerveaux des femmes et des hommes. Mais qu’en est-il des effets des hormones ? À en croire certains discours de vulgarisation scientifique, les hormones piloteraient nos humeurs, nos relations sociales, nos amours, nos conflits, etc. Deux hormones tiennent la vedette dans ce registre, l’ocytocine et la testostérone. Les données scientifiques sur le rôle de ces hormones sont bien moins solides que l’on voudrait le faire croire.

Ocytocine, hormone du lien social ?

Dans la grande presse et les médias audiovisuels, on nous dit fréquemment que si les femmes sont douces, emphatiques et maternelles, c’est grâce à une hormone dénommée ocytocine. Mais les vertus prêtées à cette substance ne s’arrêtent pas là. Elle jouerait aussi un rôle dans l’attachement du couple, la communication sociale, la coopération, la gestion du stress, la confiance en soi, etc. Se pose logiquement la question de savoir sur quelles bases scientifiques reposent ces affirmations.

Tout a commencé dans les années 1990, avec des recherches menées chez des animaux (brebis, rats, souris…) sur les effets de l’ocytocine hormone fabriquée par la glande hypophyse. Des expériences ont montré que l’injection d’ocytocine directement dans le cerveau renforce les interactions entre animaux, les reniflements réciproques, le toilettage, etc. C’est ainsi que l’ocytocine a été qualifiée « d’hormone de l’attachement et des liens sociaux » par Larry Young (université d’Atlanta), le spécialiste incontournable du sujet.

Mais qu’en est-il chez les humains ? Le problème est qu’il est impossible de mesurer la concentration d’ocytocine dans le cerveau ou bien de l’injecter à l’intérieur pour voir ses effets, contrairement aux expériences chez les animaux… On ne peut pas non plus l’injecter dans le sang, car l’ocytocine ne passe pas la « barrière hémato-encéphalique », qui protège le cerveau. Des expériences ont tenté de l’administrer par un spray nasal, mais l’accès direct de l’ocytocine au cerveau à travers la muqueuse du nez n’est pas démontré. De plus la présence de récepteurs à l’ocytocine sur la membrane des neurones n’a pas été détectée dans le cerveau humain (Galbally 2011).

La molécule d’ocytocine. MindZiper/Wikimedia

Au final, les arguments scientifiques en faveur d’un rôle de l’ocytocine dans l’instinct maternel, l’attachement, la communication sociale, l’empathie, sont loin d’être établis, contrairement à ce qu’en disent les médias. Concernant les liens mère-enfant, les cas de maltraitance, d’abandon et d’infanticide montrent que l’instinct maternel ne relève pas d’une loi biologique universelle et incontournable. Ce qui n’enlève rien au plaisir que peut procurer le fait d’allaiter et de s’occuper de son bébé. Il ne s’agit pas là d’instinct, mais bien d’amour, maternel et paternel, construit biologiquement, psychologiquement et socialement. Les liens affectifs se façonnent et évoluent selon les expériences de vie qui s’inscrivent dans un contexte culturel et social. L’ocytocine n’y est pour rien.

Testostérone, hormone super virile ?

Parmi les hormones censées guider nos comportements, la testostérone a une place de choix. C’est elle qui rendrait les hommes dragueurs, compétitifs, égoïstes, coléreux et violents. La testostérone a sans conteste des effets sur le corps, en agissant en particulier sur le volume et la force musculaire. Mais quant à son action sur le cerveau et les comportements, on est loin d’un consensus scientifique.

Dans la population générale d’hommes adultes en bonne santé, il n’y a pas de relation statistiquement significative entre le désir sexuel et la concentration de testostérone dans le sang. C’est ce qui ressort d’une publication de 2013 qui passe en revue les recherches sur les liens entre la testostérone et les comportements sexuels et sociaux. Certes, dans des conditions pathologiques de castration, il n’y a plus d’érection, mais cela n’entraîne pas nécessairement la perte du désir ni la disparition de toute activité sexuelle. Car chez les humains, l’organe sexuel le plus important, c’est le cerveau… Ses capacités cognitives confèrent à la sexualité humaine des dimensions multiples qui mettent en jeu la pensée, le langage, les émotions, la mémoire… Le désir sexuel d’abord est le fruit d’une construction mentale qui varie selon la vie psychique et les évènements de la vie. Rien à voir avec un simple réflexe déclenché par la testostérone.

Quant au prétendu rôle de la testostérone dans l’agressivité et la violence, là aussi les études scientifiques ne sont pas concluantes. Des enquêtes réalisées chez des garçons adolescents de 13 à 16 ans, montrent que la concentration de testostérone dans le sang n’est pas associée à des comportements agressifs ou de prise de risque, souvent présents bien avant la puberté. Chez les hommes auteurs d’actes de délinquance, le taux de testostérone n’est pas corrélé avec le degré de violence des comportements. En revanche, une corrélation forte est observée avec les facteurs sociaux tels que le niveau d’éducation et le milieu socio-économique.

Le taux de testostérone dans le sang varie en fonction de l’état psychique et de l’environnement. s.yume/Wikimedia, CC BY

Si rien de probant ne ressort des études scientifiques qui cherchent à relier la testostérone à un comportement, c’est principalement parce que la concentration de l’hormone dans le sang varie selon les conditions de l’environnement et l’état psychique. Par exemple, après un match de tennis ou une partie d’échec, il y a plus de testostérone chez les gagnants que chez les perdants. Voir son équipe de foot perdre à la télé entraîne une chute de testostérone chez les supporters déçus.

Ces exemples montrent que le simple fait d’observer une corrélation entre testostérone et comportement n’a pas de valeur explicative. Une corrélation ne permet pas de savoir si la présence de l’hormone dans le sang est la cause d’un comportement ou bien la conséquence d’une expérience dans un contexte donné. Pour démontrer une relation de cause à effet dans l’action de la testostérone, il faut l’injecter dans la circulation sanguine et comparer les effets avec l’injection d’un placebo. Les quelques études qui satisfont à ces critères n’ont pas montré d’effets significatifs de l’injection de testostérone sur les comportements coléreux et l’agressivité.

Tous les rôles attribués à la testostérone, qui justifieraient l’appétit sexuel et l’agressivité des hommes, ne sont pas étayés par des preuves expérimentales qui fassent consensus dans la communauté scientifique. En revanche, les recherches en sociologie et en ethnologie montrent que si nombre d’hommes adoptent ces comportements, c’est le résultat (notamment examiné par Françoise Héritier) d’une longue histoire culturelle de domination masculine alliée à des facteurs sociaux, économiques et politiques qui favorisent l’expression des violences.

Le gros cerveau d’Homo sapiens

Les progrès des connaissances en neurosciences permettent de mieux comprendre pourquoi l’Homo sapiens échappe à la loi des hormones. Les êtres humains, femmes et hommes, ont en commun un cerveau unique en son genre qui le distingue de celui des grands singes. Au cours de l’évolution, le cortex cérébral s’est tellement développé qu’il a dû se plisser pour arriver à tenir dans la boîte crânienne. Si on le déplisse virtuellement, on constate que sa surface est de 2m2 soit, dix fois plus que le cortex des singes les plus évolués. C’est grâce à son cortex cérébral que l’Homo sapiens a pu développer ses capacités de langage, de conscience, de raisonnement, de projection dans l’avenir, d’imagination… Autant de facultés qui ont permis à l’humain d’acquérir la liberté de choix dans ses actions et ses comportements.

Une des conséquences du développement du cortex cérébral est qu’il contrôle les régions profondes du cerveau impliquées dans les instincts et les émotions. De ce fait, l’être humain est capable de court-circuiter les programmes biologiques instinctifs qui sont régis par les hormones. Chez nous, aucun instinct ne s’exprime à l’état brut. La faim, la soif ou l’attraction sexuelle sont certes ancrées dans la biologie, mais leurs modes d’expression sont contrôlés par la culture et les normes sociales. L’être humain peut décider de faire la grève de la faim ou de renoncer à la sexualité. Les hommes et les femmes, dans leurs vies personnelles et sociales, utilisent des stratégies intelligentes, fondées sur des représentations mentales qui ne sont pas dépendantes de l’influence des hormones.

Cerveau ou hormones, les résultats scientifiques doivent être mûrement pesés avant d’en tirer des conclusions sur les comportements des hommes et des femmes. La science a besoin d’une réflexion éthique sur ces sujets et sur bien d’autres. C’est ce que nous aborderons dans un troisième article qui sera publié jeudi.

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