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La protection de l’environnement en Chine : une équation à plusieurs inconnues

En arrière-plan de la piste de Big Air, derrière un panneau avec les anneaux olympique, on peut voir des cheminées de refroidissement de l'ancienne usine d'acier.
La piste de Big Air des JO de Pékin, installée sur un ancien site industriel du quartier du Shijingshan. L’usine d’acier qui se trouvait là a fermé en 2008, car jugée trop polluante pour la capitale chinoise. Manan Vastyayana/AFP

La Chine accueille ses seconds Jeux olympiques en moins de quinze ans – l’occasion de mettre une nouvelle fois en évidence les ambitions politiques et l’autorité de l’État chinois. Or ces Jeux d’hiver offrent une vitrine peu avantageuse en termes environnementaux : pas un flocon de ces olympiades ne serait tombé naturellement.


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Il est vrai que sous l’angle environnemental, le constat apparaît mitigé, au-delà même de l’effet grossissant de ces Jeux. Connaissant des phénomènes de pollution aussi spectaculaires que réguliers, comme l’« Airpocalypse » en 2016, la Chine serait actuellement le plus grand émetteur de gaz à effets de serre au monde. De plus, les dernières études publiées font état d’une dégradation importante de la biodiversité et d’une déforestation galopante.

La particularité du système législatif chinois

Un état des lieux s’impose, surtout sur un terrain peu exploré, qui est pourtant un outil clé de compréhension des avancées et des lacunes de la protection de l’environnement : celui du droit chinois.

La Chine se veut proactive au niveau international, le président Xi Jinping ayant récemment appelé le monde à entrer dans la « civilisation écologique ». L’État chinois a adhéré à une grande partie des conventions internationales servant à la protection de l’environnement, parmi lesquelles les accords de Paris (2016), la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (1997) ou la Convention sur la diversité biologique (CBD)(1993).

De plus, la législation chinoise est constituée d’une multitude de textes de lois et de règlements, en raison d’une inflation législative menée avec entrain depuis plusieurs décennies. Toute ressemblance avec la législation française et européenne n’est pas fortuite.

Les juristes français peuvent y trouver des points de repère classiques du droit de l’environnement : le principe de développement durable, le droit de l’être humain à vivre dans un environnement sain ou le principe de prévention jalonnent la législation chinoise. On retrouve également la même structure générale de la législation, organisée par ressources (un régime juridique spécifique pour la protection de l’eau par exemple). Enfin, plus de 130 tribunaux dédiés aux dommages environnementaux ont été créés en Chine entre 2007 et 2013.

Pourquoi donc un tel décalage ? Le développement économique fulgurant de la Chine (dès 2010, elle est devenue la deuxième puissance économique mondiale et représente, selon l’expression consacrée, l’usine du monde) est une première piste évidente. C’est du point de vue de la législation qu’une autre piste de compréhension apparaît.

L’envoyé spécial de la Chine pour le climat, Xie Zhenhua, s’exprime lors de la conférence sur le changement climatique COP26 à Glasgow le 10 novembre 2021. Jeff J Mitchell/AFP

Si en Europe le chemin à parcourir pour assurer une effectivité à notre législation environnementale est encore long, la Chine est véritablement singulière, exotique même, du point de vue des juristes français. Cela se joue entre autres sur un aspect qui fait régulièrement débat dans la littérature scientifique : la conception chinoise du droit serait différente de celle des Européens. Cela « semble » différent car nous touchons ici à l’une des inconnues de ce que l’on peut appeler l’équation juridique chinoise, qui fait l’objet de bien des débats.

En effet, les fondements du pouvoir diffèrent : là où les sociétés libérales occidentales ont pour fondements les théories du contrat social et une souveraineté dont le titulaire est le peuple (ou la nation suivant les interprétations), la société chinoise, elle, fonde les rapports entre la société et l’État sur un autre socle : celui de l’idéologie socialiste. Cela transforme profondément le rôle des règles de droit pour régir la vie en société.

Si en France, en Allemagne ou aux États-Unis la règle de droit est la clé de voûte pour régir la vie en société, et assurer notamment une protection des libertés fondamentales, le rôle du droit en Chine apparaît moins évident.

Pour certains, la société chinoise n’est pas basée sur la règle de droit mais sur des règles morales édictées par le confucianisme, remises au goût du jour par le Parti communiste chinois.

Pour d’autres, cet enracinement dans la morale confucéenne ne serait qu’un mythe entretenu par le même Parti communiste pour asseoir son autorité. Il existe bien un droit chinois, mais il ne serait qu’une coquille vide dont l’existence servirait à attirer les investisseurs étrangers et à gagner la confiance de la communauté internationale.

La réalité se trouve certainement à mi-chemin entre les deux, tant on ne peut résumer le fonctionnement d’une société en quelques lignes.

Un système juridique hybride

L’hypothèse d’une société aux systèmes juridiques parallèles est avancée par une partie de la doctrine. Il existerait un double discours juridique, spécifiquement en matière de protection de l’environnement.

D’un côté, un système juridique libéral, inspiré du système occidental et provenant en partie de l’application du droit international sur le sol chinois. C’est au sein de ce système que sont appliquées des règles de protection de l’environnement similaires aux règles européennes. C’est aussi dans ce système qu’officient les 130 cours spécialisées dans la protection de l’environnement.

D’un autre côté, dans une complémentarité encore difficile à saisir du point de vue occidental, un système de normes tout aussi contraignantes, aux fondements nettement moins libéraux et faisant partie intégrante d’un système bureaucratique élaboré, serait mis en œuvre en lien hiérarchique direct avec le Parti.

Ces deux systèmes parallèles nourrissent le double discours permanent de la Chine en matière de protection de l’environnement : d’une part, une adhésion aux engagements internationaux en faveur de la protection du climat, de la biodiversité, des océans. Il s’agit de s’assurer de la confiance et de la fidélité des partenaires étrangers de cette deuxième économie mondiale. D’autre part, à l’intérieur du territoire, le développement économique est prioritaire pour sortir la population de la pauvreté et (re)placer la Chine au centre du monde. Si,et seulement si, cela va dans le sens du développement stratégique et économique de la Chine, le régime juridique de protection de l’environnement est pleinement mis en œuvre.

C’est ce double discours que la Chine entretient depuis les années 1970 et qui a permis son essor. Et il semble que cela va continuer. Pensons aux réserves de métaux rares qui se trouvent dans le sol chinois. La Chine est le premier producteur mondial de ces métaux, lesquels entrent dans la composition d’une multitude d’objets du quotidien, nos téléphones portables notamment. Ils assureront notre transition écologique aussi. Une tonne de terres rares est nécessaire pour construire une éolienne, et une dizaine de kilogrammes pour la batterie d’une voiture électrique. Enfin, beaucoup de nos équipements militaires dépendraient de technologies utilisant ces matériaux.

La Chine apparaît donc comme un acteur incontournable pour assurer une protection effective et efficace de l’environnement à l’échelle de la planète. Et pour agir de concert avec un acteur dont les conceptions diffèrent des nôtres, il faut prendre en compte ses spécificités culturelles. C’est un aspect central qui a justement été soulevé en 2019 par l’Assemblée générale des Nations unies (Résolution 73/333 du 30 août 2019) dans son projet de rénovation du droit international, ce dernier étant jugé insuffisamment effectif, notamment en matière de droit de l’environnement.

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