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grandes vagues
Des vagues déferlant sur le rivage de l'Étang-du-Nord, aux Îles-de-la-Madeleine, lors de la tempête post-tropicale Fiona, le samedi 24 septembre 2022. LA PRESSE CANADIENNE/Nigel Quinn

La tempête Fiona a dévasté les communautés côtières, mais aussi perturbé le fleuve en profondeur

La tempête Fiona a causé bien des dégâts matériels ainsi que de l’érosion sur les côtes de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et des Îles-de-la-Madeleine.

Mais saviez-vous que ses effets se répercutent dans les eaux du golfe du Saint-Laurent jusqu’à une cinquantaine de mètres de profondeur et même plus ?

Après avoir touché le sol canadien à l’île du Cap-Breton avec des vents violents, l'oeil du cyclone a repris la mer dans le golfe du Saint-Laurent et a passé tout près de deux bouées océanographiques, opérées par Pêches et Océans Canada. Ces bouées sont équipées de senseurs qui permettent de mesurer la vitesse et direction du vent, la pression atmosphérique, la température de l’air et l’humidité de l’air, à l’image d’une station météorologique terrestre. Mais elles comportent également des senseurs qui mesurent la température et la salinité à la surface de la mer, ainsi que la hauteur des vagues. Elles peuvent également être munies d’une sonde qui descend jusqu’au fond de l’eau pour mesurer la température et la salinité sur toute la profondeur.


Cet article fait partie de notre série Le Saint-Laurent en profondeur
Ne manquez pas les nouveaux articles sur ce fleuve mythique, d'une remarquable beauté. Nos experts se penchent sur sa faune, sa flore, son histoire et les enjeux auxquels il fait face. Cette série vous est proposée par La Conversation.


Ces bouées nous transmettent leurs mesures toutes les 30 minutes, via le réseau cellulaire ou par communication satellitaire, même au travers d’une tempête intense comme Fiona.

Chercheur en océanographie physique avec Pêches et Océans Canada à l’Institut Maurice-Lamontagne (IML) et l’un des responsables de ces bouées et utilisateur de leurs données, je propose d’apporter un éclairage sur les effets des tempêtes sur les eaux du golfe du Saint-Laurent tels qu’observés par ces bouées océanographiques.

Des bouées au rôle précieux

La première bouée sur le parcours de la tempête était la AZMP-ESG, pour « Atlantic Zone Monitoring Program East Southern Gulf », qui est située entre l’Île-du-Prince-Édouard et les Îles-de-la-Madeleine. Le 24 septembre 2022 à 11h30 UTC, l'oeil du cyclone passe près de la bouée et la pression atmosphérique atteint brièvement une dépression de 949 millibars (unité de mesure pour la pression), alors qu’elle était de 1 000 millibars le jour précédent et déjà sous la pression normale de 1 010 millibars.

bouée qui flotte dans l’eau
Bouée AZMP-ESG, située entre l’Île-du-Prince-Édouard et les Îles-de-la-Madeleine. (Roger Pigeon et Michel Rousseau), Fourni par l'auteur

L’oeil d’un cyclone est la pression atmosphérique la plus faible, située en son centre. Dans l’hémisphère Nord, les vents tournent en sens antihoraire autour de celle-ci, en raison de la rotation de la Terre.

La mesure d’un minimum de pression atmosphérique à une bouée fait plus que nous indiquer le passage le plus près de l'oeil de la tempête de la bouée. La pression atmosphérique représente le poids de l’atmosphère au-dessus de l’instrument de mesure. Or, une différence d’un seul millibar correspond à la pression exercée par 1 cm de hauteur d’eau. Alors que la pression atmosphérique à la bouée AZMP-ESG a chuté de 51 millibars, la pression dans toute la colonne d’eau chuterait d’autant sans rajustement de la part de l’océan.

La faible pression dans l’eau crée un appel d’eau pour rééquilibrer la pression océanique et ce mouvement peut ainsi faire monter la surface de l’eau jusqu’à 51 cm pour retrouver l’équilibre ! Ce rajustement de la mer face à une basse pression atmosphérique est responsable d’une bonne partie des surcotes du niveau de la mer associées aux ondes de tempêtes qui inondent les terres côtières. Une surcote est l’excédent du niveau de la mer en comparaison aux prévisions de marées.

maison au bord de la mer avec fortes pluies
L’auberge de jeunesse Paradis Bleu, aux Îles-de-la-Madeleine, est entourée de hautes eaux causées par la tempête post-tropicale Fiona, le 24 septembre 2022. LA PRESSE CANADIENNE/Nigel Quinn

Vagues records et chute de température

La hauteur maximale de vague, mesurée à la bouée AZMP-ESG, a atteint 9,9 m pendant la tempête et les rafales ont atteint 126 km/h. Il faut savoir que les vagues ne dépassent une hauteur de 3 m que très rarement dans le golfe.

Quelques heures plus tard, à 20h30, la pression atmosphérique atteint 953,9 millibars à la bouée IML-10 située au nord-est des Îles-de-la-Madeleine. Les rafales y ont atteint 124 km/h et les vagues ont atteint le record de 15,9 m enregistré sur notre réseau de bouées, surpassant le précédent record de 13,1 m mesuré au même endroit en septembre 2019 lors de la tempête Dorian.

Ces effets dramatiques ne sont par contre pas les seuls sur l’océan. À la bouée AZMP-ESG, la température de surface de la mer a chuté de 6,5 °C au passage de la tempête Fiona, passant de 16,4 °C le 23 septembre à 9,9 °C le 25 septembre. En temps normal, la température des eaux de surface du golfe décroît d’environ 1 °C par semaine en automne, alors qu’une couche mélangée se forme pour finalement englober près de la moitié du volume de toutes les eaux du golfe en hiver.

Le refroidissement de 6,5 °C en deux jours représente donc l’équivalent de plus de six semaines de changement saisonnier. Mais de façon plus importante, elle est compensée par un réchauffement inhabituel en profondeur due à une redistribution de la chaleur en profondeur par le mélange vertical occasionnée par le vent et les vagues.

Les impacts en profondeur

Prenons l’exemple mieux documenté survenu durant la tempête Dorian en septembre 2019, alors que la température de surface a chuté de 7 °C à la bouée AZMP-ESG à son passage.

Un profil de température fait avec la sonde descendue d’un treuil sur la bouée avant la tempête montre une colonne d’eau très stratifiée (c.-à-d. l’eau de mer moins dense qui flotte par-dessus des eaux plus denses) avec une température de 21 °C à la surface et de 1,5 °C à 35 m de profondeur. À 35 m de profondeur, les eaux sont habituellement très froides.

Sur près de 200 profils pris par la bouée entre juin et août, la température moyenne à cette profondeur était de 1,1 °C avec peu de variations. C’est donc habituellement une profondeur où les températures demeurent froides, constituant un habitat thermique favorable au crabe des neiges.

Le profil fait le 10 septembre, deux jours après la tempête, indique 12 °C à la surface (donc plus froid qu’avant la tempête) et 8,6 °C à 35 m (donc plus chaud). Ainsi, le refroidissement à la surface a été compensé par un réchauffement équivalent à 35 m et la température moyenne sur les 45 premiers mètres est presque identique entre les deux profils, indiquant une redistribution de la chaleur vers les profondeurs.

Dans l’habitat thermique habituellement stable et froid à 35 m de profondeur, un saut de température à 8,6 °C constitue donc un choc thermique important qui peut perdurer plusieurs semaines, car la couche mélangée a une grande inertie thermique et conservera sa température. Au bout de plusieurs semaines, la température de l’air descend sous la température de l’eau et le refroidissement et l’épaississement de la couche mélangée se produisent jusqu’à la fin de l’hiver.

Sans aucunement minimiser les effets dévastateurs que des tempêtes comme Fiona et Dorian ont sur les communautés côtières, elles ont aussi des effets marquants en profondeur dans l’océan.

Même le crabe des neiges sur le fond en ressent les effets !

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