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L’accès à mes données de consommation me permet-il de faire des économies d’énergie ?

Le déploiement des « compteurs nouvelle génération » (Linky pour l’électricité, Gazpar pour le gaz) apparus en France ces dernières années posent la question de l’utilisation des données ainsi collectées. Ces informations sont-elles vraiment mises au service de la transition énergétique ?

L’information rendue plus accessible par ces compteurs de nouvelle génération est en effet souvent envisagée comme une opportunité de responsabiliser le consommateur d’énergie. Elle contribuerait à en faire un « consom’acteur », auxiliaire d’un réseau vertueux structurant, le « réseau intelligent ».

L’information sur nos données de consommation d’énergie nous amène-t-elle à mieux et moins consommer ? Que peut-on vraiment espérer de cette mise à disposition du point de vue des politiques publiques ?

La question peut paraître triviale tant l’intérêt semble aller de soi. En effet, une meilleure connaissance de ce que nous consommons devrait naturellement nous amener à une attention plus soutenue, à des décisions plus rationnelles. Bref, l’information devrait contribuer à faire de nous des consommateurs avertis, plus sobres en énergie.

Une difficile évaluation

Les enquêtes internationales qui se sont penchées sur la question peinent dans les faits à quantifier l’impact de l’information sur les pratiques domestiques consommatrices d’énergie : certaines études, minoritaires, déduisent un impact nul voire négatif, avec une légère hausse de la consommation imputable aux dispositifs testés ; et, d’autres, les plus nombreuses, annoncent jusqu’à 40 % d’économie. Aujourd’hui les industriels affichent plus modestement environ 25 % d’économie.

Les récents démonstrateurs français qui disposent d’un suivi scientifique tablent pour leur part sur un gain compris entre 1 et 10 %.

L’évaluation quantitative des dispositifs reste donc problématique tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux : fiabilité du matériel, fonctionnalités de l’interface, prise en compte des variations météorologiques saisonnières, représentativité de la population étudiée, occupation des lieux mesurés… Une autre question apparaît : les économies d’énergie doivent-elles constituer l’unique critère de mesure de l’efficacité ? N’y aurait-il pas d’autres bénéfices à en attendre ? Les recherches en psychologie sociale, sociologie et sciences de l’ingénieur que nous menons depuis plusieurs années nous ont permis de dégager certaines tendances étayées par des données quantitatives et qualitatives : analyse des consommations réelles, enquêtes psychologiques et sociologiques auprès des ménages participants aux expérimentations.


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Viser des changements durables

Selon nos analyses, le bénéfice des informations se situerait moins dans les économies liées au court terme – même si elles peuvent être bien réelles – que dans la constitution d’une culture de l’énergie acquise par apprentissage sur le temps long.

Autrement dit, on peut espérer beaucoup plus de bénéfices – même s’ils restent difficiles à quantifier – d’une montée individuelle et collective en compétences que de la mise en œuvre d’actions immédiates. Les résultats de nos recherches autour de dispositifs et de modalités très diverses de mise à disposition de l’information (afficheurs dans les logements, support Web, support papier, information temps réel, historique…) sont à ce propos sans équivoque.

La mise à disposition de données constitue un levier favorable aux changements profonds et durables dans nos manières de consommer l’énergie mais il faut pour cela remplir un certain nombre de conditions. Les risques induits sont en effet tout aussi nombreux que les bénéfices que l’on peut en attendre car ces données et les façons de les présenter ne sont pas neutres.

Incompréhension, décision contre-productive, surconsommation, effet rebond, sentiment de perte de maîtrise de son environnement peuvent être observés. Et lorsque l’injonction au changement est comprise comme une injonction morale difficile à atteindre, les informations peuvent induire un sentiment de honte et de disqualification sociale.

Élaborer une « culture de l’énergie »

La mise à disposition des données de consommation occupe une place très particulière dans l’ensemble des informations délivrées aux consommateurs d’énergie. L’hypothèse généralement retenue étant qu’elles suffiront à provoquer une prise de conscience et une rationalisation des comportements énergétiques.

Or, ces données techniques « objectives » se heurtent toutefois à des représentations sociales qui structurent nos modes de vie et donnent sens ou au contraire font obstacle à ces informations. Proposer une information ne garantit donc pas son appropriation, encore moins la qualité de son interprétation et la pertinence des actions mises en œuvre.

On le comprend, il ne suffit pas de rendre les données de consommation simples, attractives, ludiques pour qu’elles soient accessibles et appropriées par le plus grand nombre. Afin qu’elles contribuent effectivement à la transition énergétique, il faut réfléchir bien au-delà du « design » de l’information. Nos travaux dégagent trois grandes pistes de réflexion à ce propos.

Une première piste consiste à travailler les conditions de l’apprentissage et de la montée progressive en compétences. Les données doivent, en effet, au-delà d’informer, pouvoir favoriser une posture réflexive permettant de s’approprier les données, de les analyser et de les traduire éventuellement au travers d’actions. Cela implique de travailler la mise en forme des données, de définir et hiérarchiser les données pertinentes, d’en ordonner la présentation, de les contextualiser et de réfléchir aux modalités de leur communication.

La deuxième piste questionne le langage utilisé pour partager les données avec les consommateurs d’énergie. Ici, la langue de l’ingénieur s’est « naturellement » imposée, or sous des dehors rationnels et universels, elle utilise un ensemble de conventions d’écriture, de termes techniques, de signes, de symboles et de concepts très inégalement partagés au sein de la population.

Le nécessaire effort de traduction se conclut souvent par un appauvrissement de l’information (utilisation d’emojis ou de couleurs, conversion dans des unités de valeur réputées plus accessibles, etc.). Il faudrait plutôt construire une « langue » permettant de conserver la richesse de l’information tout en étant compréhensible par le plus grand nombre. Il s’agit là d’un des chantiers les plus ardus.

Enfin, la troisième piste qui nous semble devoir être approfondie concerne les conditions à réunir pour atteindre un niveau de confiance suffisant. Même lorsque la source est considérée comme sérieuse et fiable, les données sont systématiquement mises à l’épreuve pour en vérifier l’authenticité et l’exactitude.

Instaurer cette confiance passe souvent par un contrôle de données très faciles à effectuer par les ménages (heure du lever, de la préparation des repas, mise en route du chauffe-eau…). Si ces informations n’ont pas d’impact direct sur les économies d’énergie, elles rassurent sur la personnalisation des données et crédibilisent l’ensemble des informations. Ces opérations de vérification et les moyens de les accompagner méritent d’être explorés.

Il est difficile de conclure sur l’impact réel et mesurable de l’information. Ce que la littérature scientifique et les recherches que nous menons montrent avec certitude c’est que si les données de consommation énergétiques sont globalement favorables aux économies d’énergie, elles ne se suffisent pas à elles-mêmes.

Si l’on veut que les consommateurs d’énergie deviennent plus compétents, plus à même de gérer rationnellement l’énergie, le travail de mise en forme des données ne suffira pas. Il faut engager une réflexion sur les modalités d’apprentissage, à très grande échelle, de cette culture de l’énergie. Les données de consommation peuvent y jouer un rôle essentiel à cette condition.


Johanna Le Conte (Eco CO2) et Raphaël Salvazet sont co-auteurs de cet article.

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