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Le siège de la « Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social » à Rio de Janeiro. Doll91939 / Wikimedia Commons, CC BY-SA

Le Brésil, un nouveau modèle pour les banques publiques de développement ?

La séquence internationale actuelle met le Brésil à l’honneur. En 2024, le pays préside le G20 et il accueillera la COP 30 sur le climat en 2025. En parallèle, l’élargissement des BRICS, un club d’économies émergentes dont fait partie le Brésil, intervient à un moment stratégique dans les discussions sur la gouvernance mondiale.

La réforme de l’architecture financière internationale figure parmi les priorités que le pays s’est fixées pendant sa présidence du G20. Son président, Lula, semble vouloir attirer l’attention sur la capacité des banques publiques de développement à intégrer les effets du changement climatique dans leurs financements, à lutter contre les inégalités et à répondre aux crises de toutes natures.

Grâce au travail de nombreux universitaires brésiliens, plus de 70 articles de recherche analysent le rôle des banques publiques de développement à travers l’expérience du Brésil. Ces travaux illustrent comment des institutions financières publiques, comme la Caisse des dépôts et consignations en France, peuvent accomplir leur mandat de développement tout en assurant la stabilité macro-financière des économies qu’elles servent.

Après les États-Unis et l’Inde, le Brésil est le 3e pays au monde au nombre de banques publiques de développement, notamment en raison de sa structure fédérale. Le pays dispose d’un réseau de 21 banques publiques locales et d’une banque publique nationale : la « Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social » (BNDES, Banque nationale pour le développement économique et social). Celle-ci publie le détail de ses opérations, ventilées selon la nature des bénéficiaires et de leur localisation. Elle contribue ainsi à faire avancer notre compréhension des banques publiques de développement.

Les activités de la BNDES et la place qu’elle occupera dans l’économie brésilienne au cours des prochaines années seront vraisemblablement déterminantes pour la crédibilité de l’ensemble des 533 banques publiques de développement réunies dans la coalition Finance en Commun (FiCS). À cet égard, l’évènement conjoint G20/FiCS qui se tient à Rio de Janeiro les 20 et 21 mai 2024 a pour objectif de repenser la place de ces institutions dans le système financier international, afin de renforcer leurs actions en faveur des objectifs de développement durable (ODD) et de la lutte contre le changement climatique.

Une nouvelle phase de développement

La BNDES est une des plus grandes banques publiques de développement au monde. Elle totalise environ 130 milliards de dollars d’actifs en 2022, soit l’équivalent de 7 % du produit intérieur brut brésilien. La banque finance des projets de long terme dans l’ensemble des secteurs de l’économie, tels que l’agriculture, les infrastructures, les services, et sert une pluralité d’acteurs économiques, allant des microentreprises aux entreprises multinationales. Afin de remplir son mandat, les opérations de la BNDES se déclinent principalement sous forme de prêts (67 %) et via d’autres instruments telles que la prise de participations au capital des entreprises, les garanties, et le crédit-export. Cette diversité d’activités, de clients et d’instruments, est représentative de l’action des banques nationales de développement.

L’histoire de la BNDES est intimement liée au contexte socio-économique du Brésil. La banque fut créée en 1952 dans un contexte d’intervention délibérée du gouvernement brésilien dans l’économie afin de servir ses objectifs de développement social et économique. Au regard des difficultés du pays au début des années 1980 (faible taux de croissance, inflation, accroissement de la dette publique), la politique économique brésilienne a pris un tournant néo-libéral, poussant la BNDES à accompagner la privatisation des entreprises publiques. Au début des années 2000, la première élection du président Lula (Parti des Travailleurs) a marqué une nouvelle phase de développement pour la banque : entre 2003 et 2016, ses actifs ont été multipliés par 6.

Divers travaux insistent sur le rôle contra-cyclique qu’a joué la BNDES durant cette période. Face à la crise financière globale de 2008, elle est devenue l’une des banques publiques de développement les plus interventionnistes au monde.

Durant les 3 années qui ont suivi, son volume d’engagements a augmenté de plus de 25 % par an. Cette dynamique s’est poursuivie de façon continue pendant une dizaine d’années, si bien que son activité de prêts équivalait à presque 12 % du PIB brésilien en 2015.

Ce volume était tel qu’il aurait incité la banque centrale du Brésil à augmenter ses taux d’intérêt afin de maîtriser l’inflation qu’il nourrissait. La BNDES a alors entamé un ralentissement de son activité depuis 2016, interrompu durant la crise du Covid-19 durant laquelle la banque a, une nouvelle fois, pleinement joué son rôle contra-cyclique.

Des engagements pour une finance solidaire et durable

Traditionnellement, les banques publiques de développement ont vocation à stimuler et soutenir les secteurs de l’économie généralement exclus des systèmes financiers. Dans de nombreuses économies émergentes et en développement, les petites et moyennes entreprises ont un accès limité aux sources de financement formelles pour investir et développer leurs activités.

De nombreux articles se sont intéressés à la valeur ajoutée de la BNDES dans ce secteur. Il ressort que les entreprises financées par la banque brésilienne ont tendance à investir plus que les autres. Entre 2002 et 2016, la BNDES aurait ainsi significativement contribué à la formation brute de capital fixe au Brésil. Plusieurs auteurs nuancent néanmoins cette contribution positive en indiquant que la BNDES a également financé des entreprises performantes qui auraient pu se financer directement auprès de banques commerciales privées. Ce mécanisme est connu sous le nom d’« effet d’éviction ».

Au cours des dernières années, la BNDES a vu son mandat évoluer pour intégrer de façon significative les enjeux environnementaux et le financement des biens publics mondiaux. En 2019, la banque a adopté une nouvelle politique de responsabilité sociale et environnementale qui intègre pleinement les enjeux extrafinanciers dans sa stratégie et ses opérations. La même année elle s’est faite accréditer par le Fonds Vert pour le Climat pour son engagement « à encourager les projets qui contribuent à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à atténuer les effets du changement climatique ».

La BNDES fut ainsi la première banque brésilienne à émettre, en 2017, une obligation verte sur les marchés internationaux à hauteur d’un milliard de dollars. Dans les faits, les engagements en matière de finance verte de la BNDES ont augmenté de 37 % entre 2018 et 2022. Si la littérature s’accorde sur le rôle moteur que joue la banque pour financer la transition énergétique du Brésil, il existe néanmoins peu d’études concernant ses impacts en matière de déforestation.

En définitive, l’expérience de la BNDES invite à repenser l’action des banques de développement en articulation avec l’ensemble des politiques publiques. Par définition, ces institutions constituent un instrument quasi fiscal de politique publique. Pour bien comprendre leur potentiel de développement dans l’économie, il s’agit donc de penser leurs activités en adéquation avec l’ensemble des politiques budgétaires, monétaires et industrielles. De façon générale, les travaux de recherche sur les banques publiques de développement devraient davantage tenir compte des interactions qu’elles entretiennent avec l’ensemble des acteurs économiques publics et privés.

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