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Le président russe Vladimir Poutine lors de la cérémonie d'annexion officielle de quatre régions d'Ukraine occupées par les troupes russes, à Moscou, le 30 septembre dernier.
Le président russe Vladimir Poutine lors de la cérémonie d’annexion officielle de quatre régions d’Ukraine occupées par les troupes russes, à Moscou, le 30 septembre dernier. Gavriil Grigorov/Sputnik/AFP

Le discours sur les sexualités, ou le piège poutinien tendu à l’Occident

Nous avons, tous les humains, besoin de simplicité. La vie sinon ne serait pas vivable. Le besoin d’une vie dont nous maîtrisons les rouages, cohérente, transparente est un besoin fondamental, irréductible, légitime. Ce besoin devient plus que délétère quand il vire au simplisme. C’est-à-dire quand nous voulons croire que le monde ne pourrait être que simple. Or, ce n’est jamais le cas. Et si l’un déborde l’autre, c’est plutôt la complexité que la simplicité : la vie est complexe, nous ne le savons que trop. La vie est pleine d’incertitudes, de contradictions, d’obscurités…

Le simplisme est dangereux à tous niveaux, celui de nos vies personnelles comme professionnelles et politiques. Camus l’a particulièrement bien montré dans L’homme révolté : la recherche de « solutions » mondiales, définitives et qui feraient table rase du passé conduit inévitablement à des comportements terroristes. Qu’ils soient ceux des États, ou désormais de tout un chacun.

Le problème s’aggrave du fait que la vie politique est inévitablement, d’une manière ou d’une autre, simpliste : on ne fait pas des dissertes de philo à soixante-dix millions de personnes. Loin de défalquer les dirigeants politiques de la responsabilité de leurs actions, cette difficulté inhérente à la vie politique l’accentue.

Yin et Yang

Qu’il faille sans relâche lutter contre les archaïsmes des relations de domination entre les sexes est désormais indéniable. La lutte est fondamentale, nécessaire, et doit être menée sur tous les plans. Que cette lutte vire au simplisme, faisant de tous les hommes de sexe mâle des violeurs en puissance, des harceleurs, des dominateurs sans cœur ni écoute est radicalement délétère. Radicalement pour les raisons suivantes.

Vouloir fantasmatiquement éliminer une sexualité par rapport à l’autre – c’est le cas des féminismes extrêmes – revient à rêver de supprimer notre humanité, faite d’un irréductible complexe de masculin et de féminin. À titre d’exemple, et il est tout sauf secondaire, s’il y a déséquilibre au sens clinique entre yin – féminin – et yang – masculin – au sens du taoïsme ancien, c’est la maladie voire la mort.



Que nous nous reproduisions par les voies naturelles ou en étant secondés par les technologies (PMA, etc.), nous sommes, jusqu’à nouvel ordre biotechnologique, faits de gamètes femelles et mâles. Autrement dit, que l’on soit femme ou homme, l’on porte en soi les deux sexualités de l’humain, la féminine et la masculine. Réduire un homme au « masculin » et une femme au « féminin » est simpliste. Quel que soit son sexe anatomique, chaque individu est l’épreuve de la rencontre complexe, en soi-même, du féminin et du masculin.

Depuis le mois de février, la guerre est à nos portes, il est vital que nous ne menions pas une guerre intérieure. Or, la guerre intérieure la plus délétère serait celle qui touche à notre existence même, c’est-à-dire aux sexualités. L’on sait, en philosophie et histoire politique, que les guerres sont malheureusement inévitables. Parmi elles, les guerres civiles sont les plus dramatiques. Nous avons toutes et tous la responsabilité fondamentale de tout faire pour que le lien de tous les liens ne se défasse pas.

Dépasser la violence

Ceci est d’autant plus vrai que Poutine a tout récemment repris à son compte l’idée que la guerre n’était pas une guerre physique, mais « métaphysique ». C’était lors de son discours du 30 septembre formalisant l’annexion de quatre régions ukrainiennes. Le dirigeant russe reprenait alors le propos du patriarche Kirill au tout début de la guerre.

La guerre de la Russie contre l’« Occident » est là comprise comme une guerre pour la défense des valeurs traditionnelles et pour une exclusive hétérosexualité où l’on peut raisonnablement supposer que l’homme de sexe mâle domine la femme. Les termes de Poutine à la fin de son discours sont les suivants :

« Voulons-nous que la Russie ait un Parent 1, et un Parent 2, sommes-nous devenus complètement fous ? Voulons-nous que nos enfants soient endoctrinés sur le fait qu’il existe d’autres genres que les deux genres sexuels ? »

La violence qui est à nos portes est celle d’une régression qui va bien en deçà de l’égalité et de la liberté de tout individu, quels que soient son sexe et son orientation biologique, que nous voulons défendre.

Or, cette position de Poutine se retrouve dans les pays occidentaux : il n’est que d’observer la régression aux États-Unis par rapport à l’avortement, ou encore les propos de certains candidats ou partis extrémistes qui accèdent progressivement au pouvoir l’Europe. Si nous n’y prenons garde, la position de la Russie au travers de son dirigeant est susceptible d’alimenter la polarisation des débats entre droites traditionalistes et militantismes extrémistes. Donc de diviser nos sociétés.

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Il est plus qu’urgent de dépasser la violence en miroir à laquelle nous nous abandonnons actuellement, si nous voulons que notre sens de la liberté, de la dignité et de l’égalité l’emporte. Soulignons là que si « miroir » il y a, c’est que de tous côtés se signale notre vérité, ou la vérité de notre humanité, faite de la « tension » (au sens de la tension artérielle) entre féminin et masculin en nous. Mais comment faire ?

Toutes et tous complexes

Tout d’abord, cesser de se laisser aller aux accusations hâtives : l’histoire de l’Occident a conduit à l’élaboration, dans la souffrance et la détermination de nos ancêtres morts pour cela, de l’État de droit. Il est vital pour sauvegarder une vie politique sereine, de respecter les règles de la justice, par-delà ses dysfonctionnements. Ainsi, la présomption d’innocence apparaît aujourd’hui plus fragilisée que jamais. Si elle venait à disparaître, au nom d’une cause, quelle qu’elle soit, c’est tout droit vers une normalisation des lynchages que nous courrons.

Par ailleurs, pour éviter les mésententes sur des événements comme les récentes « affaires » Bayou et Quatennens qui se sont mis en retrait de leurs postes après des accusations non jugées, qui mettent en danger non seulement le fonctionnement, mais l’existence même de notre démocratie, il est indispensable de se pencher à nouveaux frais sur les idées reçues que l’on a au sujet des sexualités. En redécouvrant en particulier ce qui se joue sans cesse en chacune et chacun de nous, une dynamique constitutive, complexe, problématique, mais tout autant fertile et féconde, entre féminin et masculin. Bien compris, cela fait la culture de notre humanité. Comme nous le soulignons dans notre ouvrage Décoïncider d’avec les études de genre (à paraître aux éditions Descartes), il nous faut approcher de la manière la plus ajustée ce que sont sexes et genres.

Études de genre : faut-il tout déconstruire ?

Nous sommes absolument toutes et tous complexes. La bipartition du monde entre « méchants » et « gentils », adossée sans réflexion à la bonne conscience de croire que l’on est du bon côté du manche alimente les pensées et les comportements les plus délétères. Ainsi, le simplisme qui consiste à « expliquer » la complexité du monde en identifiant qui en est non seulement responsable mais coupable présuppose que l’on est soi-même « simple », sans complexité, sans contradictions ni erreurs, transparent et « pur ». L’antisémitisme nazi est un exemple par excellence de simplisme.

Or, nous sommes dans un monde de plus en plus simpliste – sans doute à proportion de sa complexité objectivement croissante, par exemple du fait de la vitesse des transactions, informations, fake news, etc. qui le et nous saturent. Si nous voulons une vie commune durable, nous devons impérativement raison garder devant les réductions qui disloquent nos sociétés en nous montant les uns contre les autres.

Il est en particulier fondamental de garder ceci à l’esprit : l’on n’est jamais ni « purement » un homme ni « purement » une femme. La vie est beaucoup plus complexe que cela. Pour raison garder, il faut réapprendre à nous écouter. Les uns les autres, et nous-mêmes.

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