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Le domicile, nouveau terrain de jeu des microaventuriers

Vaisselle Regatta. Hélène Michel

Yoann, Jean‑Charles et Julien ne se connaissent pas mais ces trois sportifs passionnés d’activités en plein air auraient pu se croiser sur un sentier en montagne. Actuellement confinés à domicile, chacun d’entre eux explore à sa manière ce terrain de jeu miniature et cherche à le réenchanter en poussant à l’extrême la notion de microaventure, pour la faire tenir dans un jardin, un appartement, une cage d’escalier voire sur un balcon.

Marathon dans une cave, bivouac sur une façade d’immeuble, ascension du « Mont Balcon » : comme eux, de nombreux « casaventuriers » (aventuriers à domicile) partagent leurs micro-micro-aventures sur les réseaux sociaux. Comment analyser ce phénomène d’aventure version miniature ? Il y a quelques mois, nous identifions trois registres distincts de cette pratique, dans un article intitulé la microaventure, cette aventure en bas de chez soi :

  • Un registre productiviste : ajouter une ligne à sa to-do list quotidienne et maximiser ce qui est réalisé dans une journée.

  • Un registre de collection d’expériences mémorables : en s’inspirant d’expériences menées par d’autres, dresser une liste de choses à expérimenter dans sa vie.

  • Un registre du ludique : imaginer sa propre quête, en jouant des décalages et en mobilisant souvent un objet incongru.

Image humoristique d’un guide du routard imaginaire pour le confinement. Réseaux sociaux

La microaventure prend ici une acception plus restrictive encore. Dans le monde d’avant, le temps était la ressource rare et les terrains de jeu accessibles. Avec le confinement, c’est l’espace qui est très contraint et le temps – pour certains – très ou trop abondant. Dans ce contexte, les initiatives rivalisent de performance technique et de créativité et renouvellent le regard porté sur notre « chez soi ».

Cet espace familier, parfois injustement déconsidéré comme l’explique Mona Chollet, est jusque là resté inexploré sous l’angle de l’aventure. Revisitons l’intérieur avec Yoann, Jean‑Charles et Julien.

Optimiser le temps et l’espace : le registre productiviste

Yoann a 38 ans et vit à Chambéry. Consultant et formateur, il travaille également sur des projets web. Sa pratique de sports d’extérieur a toujours été intense :

« J’ai eu la chance de grandir en montagne et j’ai fait du ski de compétition jusqu’à 15 ans. Au lycée j’ai bifurqué sur le basket car je suis plutôt grand. J’ai fait du sport à haut niveau plusieurs années. Depuis que je suis entrepreneur je fais de l’aïkido. Je suis ceinture noire. Et quand il y n’y pas de neige je vais courir ou marcher en montagne. J’ai fait le tour des glaciers de la Vanoise en 1 journée. Je ne fais pas de compétition. Je veux voir le maximum de choses en une journée. Je fais aussi du vélo autour de chez moi ou dans des aventures à l’étranger. L’aventure pour moi c’est la découverte, interne comme externe. »

Quel que soit son niveau sportif, il est conseillé, pendant le confinement, de garder la forme. Pour un adulte, pratiquer 30 minutes d’activités physiques par jour est recommandé tant pour la santé physique que mentale. Cette pratique permet également de briser la routine d’une journée jugée trop longue ou pleine de tensions, entre l’école à la maison et le télétravail. Ou, au contraire, aide à structurer un temps qui paraîtrait trop lâche.

Pour accompagner la démarche, le choix de cours de fitness ou programmes d’entraînement spécifiques en ligne, sur YouTube ou via des applications, est vaste.

Capture d’écran du post Facebook de Yoann par Hélène Michel.

Yoann a adopté ces principes en les poussant au maximum !

« Le confinement, à titre personnel, je le vis bien. À défaut d’avoir une richesse inépuisable qui est l’espace, on a maintenant le temps. Sportivement, chez moi je suis assez équipé : J’ai une barre de traction, des sangles de tirage pour travailler les dorsaux, un swiss ball (ballon d’exercice) et trois kettlebells (poids) de 14kgs, 20kgs et 32 kgs. »

Et si on n’a pas de matériel, les marques de sport offrent des conseils de détournement d’objets pour pouvoir faire de l’exercice sans recourir à du matériel spécifique. En avant pour les pompes murales et les squats-coussins !

Dans cette perspective, Yoann a suivi les conseils du champion d’ultra-trail Kilian Jornet, lui aussi confiné, qui en plus de suggérer de visionner le film de son ascension de l’Everest dispense désormais des conseils d’entraînement à la maison et suggère d’utiliser les escaliers.

Le déplacement des centres de gravité est un élément fondateur de la micro-micro-aventure. Yoann a donc trouvé un terrain de jeu vertical à sa mesure (2,08m !) :

« J’ai la chance d’habiter dans une tour de 22 étages. […] on peut s’entraîner comme en montagne grâce aux nombreux escaliers, jamais utilisés. J’essaye de faire ça en soirée à partir de 20h, à l’heure du dîner, comme ça il n’y a vraiment personne. Soit on fait des allers-retours comme ça on s’entraîne pour la montée et la descente. Soit, grâce aux ascenseurs, on ne travaille que la montée et on fait beaucoup plus de dénivelé positif. Par exemple j’ai fait 242 étages en montée uniquement, ça fait un 656 mètres de dénivelé positif. »

Cette logique productiviste se retrouve à d’autres niveaux :

« J’ai commencé un jeûne intermittent. Je ne m’autorise à manger que dans une fenêtre de temps de 8h, entre 12h et 20h. J’ai un tableau Excel, je fais un suivi précis. Et j’ai d’excellents résultats en termes de masse musculaire par exemple. Je me suis tellement conditionné dans une logique de rentabilité, je n’ai même pas le temps de jouer à la console ! »

Il s’agit de ne perdre ni son temps ni sa forme, mais pour certains l’idée de performance demeure : ils se fixent des objectifs individuels. Pour Yoann, c’est clair :

« Avant la fin du confinement, je veux faire mon kilomètre vertical dans l’escalier ! »

Compléter sa collection d’expériences : le registre mémorable

Âgé de 58 ans, Jean‑Charles vit dans un petit village du nord de la France. Ce professeur d’université pratique la course depuis une trentaine d’années et fait partie d’un club de 150 coureurs pratiquant du 5 au 100 km !

« Rien ne sert de courir, il faut profiter du chemin. Cela fait plus de 30 ans que je cours. J’ai fait environ 250 marathons. Au début j’étais marathonien. Puis je suis devenu « collectionneur » de marathons. Le marathonien essaye de gagner du temps. Le collectionneur accepte d’en perdre pour regarder. Maintenant, je pars courir sans ma montre. Je cours des longues distances, des 100 km voire des courses sur plusieurs jours. Au bout d’un moment tu ne comptes plus les kilomètres et quand tu pars faire des longues distances sans ta montre, tu découvres une autre planète. »

Capture d’écran du post Facebook de Jean‑Charles par Hélène Michel.

« À l’annonce du confinement, on a l’idée de faire la course ensemble en étant connectés : à plusieurs, au même moment mais chacun chez soi. On a fait d’abord une course, on était 80 ». C’était la première édition de la « course confinée solidaire des jardins et balcons des Weppes » qui était partagée en direct sur Facebook.

Synchronisation des temporalités et désynchronisation des lieux sont des leviers de la microaventure. Courir au même moment mais à distance, c’est une façon de conserver un lien avec sa communauté, son club, ses amis. Si ce n’est pas dans le même espace, cela peut être au même moment. Et des défis permettent à ces communautés de se relier, c’est l’objectif du concours lancé par la FFCAM-Club alpin français : parcourir son intérieur sans mettre pied à terre, en mobilisant des techniques d’escalades.

Donner du sens permet d’amorcer le projet :

« La première édition de la course confinée, c’était pour faire quelque chose d’utile. On court souvent dans un but caritatif. »

Chaque kilomètre couru rapporte des dons via une cagnotte leetchi. 1 361 euros ont ainsi été récoltés pour qu’un cuisinier de prépare des repas pour les personnels hospitaliers et soignants.

Peut-on encore parler d’escalade ou de marathon ? Est-ce une simulation visant à reproduire une réalité en réduisant simplement le terrain de jeu ? Ou plutôt un simulacre tel que le propose Baudrillard ? Dans tous les cas, ces manières de faire constituent des expériences à part entière, mémorables.

Mettre en scène sa performance : le registre ludique

Julien, 27 ans, vit en Savoie où il travaille comme chef de projet dans une agence de communication événementielle. « La partie scénarisation me plaît beaucoup » précise-t-il.

« Côté pratique sportive, je ne suis pas dans un club. Je fais du trail en montagne, de la musculation en salle à l’année. Je ne fais pas de courses chronométrées. J’aime faire ce qui me plaît, du VTT, un trail. Partir seul ou avec des amis de façon indépendante. Je ne cherche pas à me défier aux autres. Ce que j’aime dans le défi, c’est l’aventure et l’expérience, la découverte de soi ». Son premier challenge ? En septembre 2015, il quitte son appartement chambérien et rejoint la plage des Catalans à Marseille… en courant. « 400 km en sept jours, c’est pas pour le côté sportif ou la performance, un marathonien le fait bien plus vite. »

Pour générer la désynchronisation propre à la microaventure, il recourt à un objet qui devient incongru dans le nouveau contexte et génère l’humour, la performance ou la magie de la situation. « Quand je circule avec une trottinette dans les cols mythiques de montagne, les gens viennent directement me voir. Un objet étonnant dans ce contexte, ça permet de briser la glace. »

« Ce confinement il ne faut pas le voir comme une punition en soi. Il faut trouver des alternatives. Quand j’ai vu que de nombreux sportifs ne respectaient pas ce confinement, j’ai voulu porter ce message : restez chez vous ! Moi aussi je suis un hyperactif du sport et c’est possible de trouver des bons moments ». Julien se lance alors dans l’ascension du « Mont Balcon », l’équivalent des 4 810 mètres du Mont Blanc, en 8h et 28 294 marches… sur un stepper trouvé dans un placard et installé sur son balcon.

Capture d’écran du Post Facebook de Julien par Hélène Michel.

La créativité est de mise pour imaginer, puis partager, ces expériences. Certains installent ainsi un véritable bivouac dans leur salon : tente, duvet, réchaud et nourriture lyophilisée pour une soirée et une nuit ré-enchantée pour faire « comme si » on partait en montagne. Des parents reproduisent pour leurs enfants une microstation de ski dans leur jardin.

La mise en scène joue un rôle clé, afin de rendre l’ordinaire spectaculaire. Ces expériences passent ainsi de la performance technique à la performance artistique, comme l’illustre la vidéo de ce skieur freeride.

« Freeride skiing at home, a ski movie » (Philippe Klein Herrero).

Et vous, vous restez où cet été ?

Si la microaventure est souvent envisagée comme une solution de secours, imposée par des contraintes parfois économiques, désormais sanitaires, pourrait-elle marquer durablement le tourisme d’après ?

Que feront-ils après le confinement ? Nos trois « « casaventuriers » », riches de leurs micro-micro-aventures, sont unanimes : ils vont prendre l’air, élargir leur terrain de jeu… tout en restant près de chez eux.

Pour Yoann :

« Ce que je fais chez moi, je le continuerai pour mon renforcement musculaire. Pour le reste – les montées d’escaliers – je le referai de manière exceptionnelle. Je préfère l’extérieur pour la montagne et voir des choses. J’ai listé mes projets, cet été : les Alpes françaises à vélo. »

De son côté, Jean‑Charles prévoit un marathon, mais en solo, puisqu’aucun ne sera organisé prochainement… et toujours sans chronomètre. Julien va partir dans la nature, prendre un bol d’air, passer la nuit à la belle étoile : « Depuis mon balcon je vois la Dent du Chat (un sommet savoyard), j’irai y tendre mon hamac en haut de la via ferrata… »

Alors que toute la France se demande quand, et sous quelles conditions, elle pourra enfin sortir « prendre l’air », la perspective de passer ses vacances d’été à explorer sa propre région devient de plus en plus probable. De nombreux acteurs du tourisme appellent ainsi à reconsidérer la clientèle domestique, souvent négligée au profit des clientèles étrangères. Et déjà les comités régionaux s’activent pour promouvoir le tourisme de proximité.

Pour cela, les acteurs misent sur la staycation. Ce néologisme entre « stay » et « vacation » décrit une pratique apparue après la crise économique de 2007 qui consiste à passer les vacances sur son territoire et l’explorer comme si on y était touriste. Cela pourrait devenir une forme de tourisme durable, sans aller loin, en utilisant des modes de transport doux, mais sans concession sur les activités, pour changer son approche sur le tourisme et les loisirs outdoor. Par exemple, rejoindre la Camargue depuis Lyon en vélo et kayak, en suivant la ViaRhôna.

Saura-t-on garder le goût de l’ailleurs dans un « non-déplacement positif » ?

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