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Affiches électorales à Bordeaux, en amont du premier tour des élections législatives anticipées du 30 juin 2024. Philippe Lopez/AFP

Législatives 2024 : l’impossible anticipation ?

Les élections législatives anticipées annoncées après la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron sont particulièrement difficiles à analyser dans la période actuelle, mais rappellent aussi à quel point il est crucial de prendre en compte les règles de chaque scrutin ainsi que son contexte.

En matière de prévisions électorales, l’histoire de la Ve République a montré que les estimations nationales étaient généralement relativement fiables. Mais les élections législatives françaises ont la particularité d’être des élections locales… débouchant sur une représentation nationale.

Rester prudent

Les projections en nombre de députés sont donc à prendre avec précaution. Les résultats des élections législatives de 2022, qui avaient débouché sur une majorité relative du camp présidentiel alors que beaucoup avaient anticipé une majorité absolue, en sont la parfaite illustration. Les projections en sièges des instituts de sondage sont basées sur des estimations nationales. Elles sont donc par nature fragiles et très approximatives. Pour être précis, il faudrait en réalité faire un sondage pour chaque circonscription pour ensuite les agréger et se projeter sur un nombre de députés total.

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Contrairement à l’idée très répandue qu’une élection démocratique reflète de manière précise et indiscutable ce que veut la majorité des votants, son résultat et la projection de ce résultat dépendent fortement des règles qui la régissent : y a-t-il un ou deux tours ? Qui peut se qualifier pour le second tour ? Vote-t-on pour une personne ou un parti ? Le scrutin est-il proportionnel ou majoritaire ? Les élections sont-elles nationales, locales ou mélangent-elles les deux dimensions ? S’agit-il d’un suffrage direct ou indirect ? Le contexte est aussi un élément décisif : quelle est la dynamique du moment ? Des alliances sont-elles possibles ? Des candidats qualifiés vont-ils se désister ? Quid des reports de voix ?

Le rôle clef de la participation

Dans le cas des législatives françaises, la participation joue ainsi un rôle crucial.

En dehors des deux candidats arrivés en tête, les autres candidats ne peuvent se maintenir au second tour que s’ils obtiennent un nombre de voix correspondant à au moins 12,5 % des personnes inscrites sur les listes électorales.

Une forte participation peut donc mécaniquement générer un nombre élevé de triangulaires (c’est-à-dire un second tour avec trois candidats) voire de quadrangulaires (un second tour avec quatre candidats). Ce qui peut grandement influencer le résultat des circonscriptions concernées et finalement jouer sur la composition de l’Assemblée nationale.

Alors que les possibilités d’alliances entre les deux tours sont quasiment inexistantes puisque les principales ont été nouées avant le premier tour, le résultat final des élections législatives 2024 dépendra donc principalement de la participation lors du second tour, des éventuels désistements de candidats pourtant qualifiés et du report de voix.

Le précédent de 2002 ?

Le premier tour des élections présidentielles de 2002 reste pour beaucoup le symbole de la difficulté à anticiper les résultats d’une élection. Les sondages de l’époque montraient pourtant que les courbes entre les intentions de votes pour Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen étaient très proches, que la dynamique était du côté du candidat frontiste (tendance baissière pour Jospin et haussière pour Le Pen) et que la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour était donc possible.

Le documentaire montrant les coulisses de la campagne de Lionel Jospin nous le rappelle d’ailleurs bien. On voit le responsable « sondage » du candidat socialiste, Gérard Le Gall, mettre en lumière cette tendance et avertir l’équipe de campagne. Mais personne ne réagit vraiment et cette perspective est mise de côté par Jean-Marc Ayrault qui réplique que c’est un discours de perdant.

Documentaire sur la campagne de Lionel Jospin de 2002.

À l’époque, beaucoup d’électeurs vont voter en prenant comme acquis les équilibres et les rapports de force des élections présidentielles précédentes. L’élection présidentielle française est un scrutin majoritaire à deux tours et, pour la majorité d’entre eux, le premier tour doit donner lieu à un vote de conviction et/ou de protestation et le rassemblement se fera lors d’un second tour qui opposera forcément le candidat de gauche et le candidat de droite.

Le contexte de cette élection (usure du pouvoir et campagne qui peine à mobiliser pour le candidat socialiste, nombre de candidatures de gauche élevé et synonyme d’éparpillement des voix…) est pourtant très différent des précédents scrutins.

Une abstention très forte, en partie alimentée par des électeurs de gauche convaincus de pouvoir voter pour Lionel Jospin lors du second tour, couplée à une bonne mobilisation d’électeurs sensibles au discours du Front national finiront par rendre réel un scénario perçu alors comme impossible.

Contrairement à 2002, le contexte actuel ne présente pas le risque de sous-estimer la possibilité d’une accession au pouvoir de la formation d’extrême droite et il s’agit d’élections législatives. Alors que l’année 2024 sera aussi marquée par les élections présidentielles aux États-Unis, l’exemple américain permet de constater que les Français ne sont pas les seuls à ne pas avoir su anticiper des scénarios impensables.

L’importance des règles du jeu

Aux États-Unis, le président est élu au suffrage universel indirect, par un collège électoral de grands électeurs qui sont élus par les citoyens. À chaque État correspond un certain nombre de grands électeurs et le candidat qui arrive 1er dans un État remporte la totalité des grands électeurs correspondant à l’État en question (la fameuse règle dite du « the winner-takes-all » sauf pour les États du Maine et du Nebraska). Dans un schéma à 2 candidats, cela signifie que remporter 100 % ou 51 % des voix ne change rien : le gagnant remporte de toute façon la totalité des grands électeurs de l’État.


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C’est la raison pour laquelle les candidats américains ne font jamais campagne dans les États perdus d’avance et se concentrent sur les « swing states » où l’écart entre Républicains et Démocrates est faible et peut faire basculer le nombre final de grands électeurs.

Comme dans le cas des législatives françaises, les estimations nationales peuvent donc être trompeuses si on oublie que le résultat final sera la somme d’élections locales. C’est ce qui s’est passé en 2016 lors de l’élection de Donald Trump. Les estimations nationales donnaient Hillary Clinton en tête et celle-ci a même obtenu plus de voix au niveau national… mais moins de grands électeurs.

Un moment inédit

Prendre en compte les règles et le contexte de chaque élection est donc indispensable. Surtout quand ce dernier est inédit et que de nombreuses interrogations subsistent comme c’est le cas pour ces élections législatives 2024.

Face à la possibilité désormais bien réelle de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, y aura-t-il la mise en place d’un « front républicain » pour le second tour malgré les positions très dures prises par la majorité présidentielle avant le premier tour renvoyant le RN comme le nouveau Front populaire aux extrêmes ? Dans cette perspective va-t-on assister à une surmobilisation ou à une démobilisation des électeurs ?

Les candidats de la majorité présidentielle écouteront-ils les consignes d’un président responsable de la dissolution de l’Assemblée nationale ?

Dans quelle mesure les étiquettes des candidats du nouveau Front Populaire présents au second tour et la question de l’identité d’un éventuel premier ministre représentant les forces de gauches influenceront-ils l’attitude de ceux voulant faire barrage à l’extrême droite ?

Le ressenti, les émotions, les logiques locales et le cas par cas devraient, comme rarement auparavant, prendre le pas sur les consignes et les logiques d’appareils. Et c’est aussi pour cette raison que ces élections législatives constituent un moment inédit et difficilement prévisible dans l’histoire politique de la Ve République.

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