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« L’envers des mots » : Âgisme

Un jeune employé remplace un retraité.
Les critères d'âge peuvent être facteurs d’exclusion du marché du travail. Shutterstock

Si le terme d’âgisme reste, en France, peu employé en comparaison avec d’autres pays francophones, il a commencé à se diffuser au cours de ces dernières années.

Sa définition ne fait pas consensus. Pour les uns, à l’instar du gérontologue américain Robert Butler qui a forgé la notion en 1969 par analogie avec celles de racisme et de sexisme, il s’agit d’un « processus de stéréotypage et de discrimination systématiques contre les personnes, parce qu’elles sont vieilles ». Pour d’autres, comme l’Observatoire de l’âgisme, elle désigne les discriminations fondées sur l’âge, quel que soit l’âge.

Ces deux acceptions ne sont cependant pas irréconciliables. On peut, en effet, considérer que les traitements inégaux selon l’âge peuvent concerner tant les jeunes que les vieux, tout en reconnaissant que, dans les sociétés modernes marquées par des changements technologiques et sociaux de plus en plus rapides et par l’obsolescence accélérée des connaissances, l’âgisme anti-vieux est structurellement accentué.


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L’âgisme opère à différents niveaux. Tout d’abord, il imprègne les représentations, qu’elles soient conscientes ou inconscientes. Le test d’association implicite de Harvard montre ainsi que la grande majorité des gens, y compris les plus âgés, ont tendance à associer spontanément des qualificatifs positifs à des visages jeunes et des qualificatifs négatifs à des visages âgés.

L’âgisme prend ensuite une forme institutionnalisée à travers des dispositifs de politique sociale qui ouvrent (et ferment) des droits sur un critère d’âge et créent donc des inégalités de traitement fondées sur ce seul critère. Que l’on songe au revenu de solidarité active (RSA), qui est réservé, sauf dans des cas particuliers, aux plus de 25 ans. Que l’on songe aussi aux systèmes de retraite, organisés autour de critères d’âge qui se révèlent ambivalents : d’un côté, ils déclenchent l’ouverture de droits sociaux protecteurs et, de l’autre, ils peuvent être facteurs d’exclusion du marché du travail, comme lorsque, dans les années 1980, les possibilités de cumul entre emploi et retraite ont été fortement limitées.


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L’âgisme institutionnel peut aussi être indirect lorsqu’une politique apparemment neutre est en fait désavantageuse pour certains groupes d’âge (comme c’est le cas, par exemple, avec la dématérialisation des services publics, qui exclut de fait une partie de la population âgée de services auxquels elle avait auparavant accès).

Enfin, l’âgisme se déploie à travers tout un ensemble de pratiques individuelles qui relèvent d’intentionnalités différentes. Les unes sont peu réfléchies et se nourrissent des représentations négatives, homogénéisantes et dépréciatives (comme lorsque les jeunes sont considérés comme pas assez engagés dans leur travail et les plus âgés incapables de s’adapter). D’autres pratiques témoignent d’une sorte d’indifférence aux besoins et au point de vue des plus jeunes ou des plus âgés dont la parole se trouve dépréciée car pèse sur eux une présomption d’incompétence.


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Certaines pratiques encore relèvent d’un âgisme « bienveillant » : partant d’une bonne intention et cherchant à venir en aide à des personnes du fait de leur âge, elles n’en sont pas moins discriminantes (par exemple lorsque, dans le bus ou le métro, quelqu’un se lève pour céder sa place à un autre voyageur qu’il perçoit comme âgé, suscitant l’incompréhension, voire la colère de celui-ci qui se sent traité comme un « vieux »).

L’âgisme reste en France relativement bien toléré et suscite moins souvent l’indignation que le racisme et le sexisme. Sa réalité est même parfois contestée au motif que les retraités sont, dans notre pays, plutôt bien traités d’un point de vue économique, leur niveau de vie étant équivalent à celui des actifs. Il importe cependant de souligner, à la suite de la sociologue Juliette Rennes, que l’âgisme se joue en fait sur un autre plan, celui de l’oppression culturelle.


Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?

De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :

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