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L’envers des mots : « Ghoster »

Homme sous la pluie qui attend une réponse en regardant son smartphone
«Ghoster» est-il plus fréquent qu'il y a 20 ans, 30 ans ou 40 ans ? Cette stratégie de rupture est en tout cas très courante aujourd'hui. Shutterstock

Plus de SMS, plus d’appel, plus aucune nouvelle, comme ça, du jour au lendemain, sans explication… Si cette situation vous semble familière, vous avez peut-être été victime de « ghosting » ou « ghosté ». Dérivé de l’anglais « ghost », signifiant « fantôme », ce terme pourrait être traduit en français par l’expression « faire le mort ». Il est apparu dans la culture populaire en 2014 et a été officiellement défini par l’Urban Dictionary en 2016 :

« Lorsqu’une personne coupe toute communication avec ses amis ou la personne qu’elle fréquente, sans aucun avertissement ou préavis. La plupart du temps, elle évite les appels téléphoniques de ses amis, les médias sociaux et les évite en public ».

Bien que le verbe « ghoster » soit apparu récemment dans le langage courant, le phénomène n’est pas nouveau. En effet, la tactique de la disparition pour rompre une relation amoureuse ou amicale est une pratique ancienne qui pourrait renvoyer à la stratégie de désengagement indirect par retrait/évitement décrite par Baxter dans les années 80.


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Il est difficile de savoir précisément si « ghoster » est aujourd’hui plus fréquent qu’il y a 20 ans, 30 ans ou 40 ans. Néanmoins, cette stratégie de rupture est très courante aujourd’hui. La probable augmentation de ce phénomène serait liée, pour certains chercheurs, au recours aux médias sociaux et sites de rencontre en ligne qui faciliteraient et banaliseraient ce genre de pratique. Cela pourrait s’expliquer par les spécificités des interactions en ligne qui permettent de conserver une certaine part d’anonymat, d’avoir un contrôle sur la relation (et notamment la possibilité de différer ses réponses) ou encore le fait de ne pas être en face de la personne lors des échanges, ce qui peut favoriser les conduites d’évitement.

Si on peut tous et toutes « ghoster » une personne ou être « ghosté », cette pratique semble plus répandue chez les jeunes adultes (18-30 ans) ou adultes émergents, nouvelle catégorie apparue récemment en psychologie du développement. Dans cette tranche d’âge, on retrouve des taux de ghosting allant de 25 % à 78 % ! Une des explications serait le fait que les adultes émergents ont une utilisation fréquente des médias sociaux et des applications de rencontres mais aussi que les ruptures amoureuses sont plus courantes dans ce groupe d’âge. A savoir que les personnes sont nombreuses à rapporter « ghoster » et avoir été « ghosté », ce qui peut rendre l’identification d’un profil type de « ghosteur » difficile.

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« Ghoster » est une pratique courante au sein des relations amoureuses mais elle peut aussi toucher d’autres types de relations comme les relations amicales, familiales ou même le champ professionnel.

Les ruptures sont souvent associées à des émotions négatives voire une vraie détresse psychique. Dans le cas du « ghosting », le fait, pour la personne « ghostée », de ne pas percevoir tout de suite l’absence de nouvelles comme un signe de rupture peut la laisser dans une situation d’incertitude et peut la conduire à se sentir responsable de la situation. Cet arrêt unilatéral de la communication ne permet pas d’avoir un temps d’élaboration autour de ce qui se passe ni d’avoir d’explication. Cela peut accroître la douleur liée à la rupture et amener une méfiance dans les relations ultérieures, voire même la reproduction de cette pratique où la personne « ghostée » va « ghoster » à son tour. La web-série documentaire de Jérémy Bulté « Fantômes » sur la plate-forme Slash de France.tv illustre bien ce phénomène et la manière dont il peut retentir sur les relations suivantes.


Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?

De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.

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