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La malbouffe s’accompagne d’une gigantesque production de déchets. Shutterstock

Les aliments « ultratransformés » sont aussi très mauvais pour la planète

Le concept d’aliments ultratransformés, devenu familier depuis son introduction par Carlos Monteiro (chercheur en nutrition et santé publique à l’université de Sao Paulo) en 2009-2010, a depuis fait l’objet de nombreux articles montrant leur impact négatif sur la santé des consommateurs. En bref, les aliments ultratransformés sont caractérisés par la présence d’ingrédients et/ou additifs « cosmétiques » (purifiés et/ou de synthèse) pour modifier – souvent exacerber – goût, couleur, arôme et texture].

Mais il faut aussi souligner l’impact plus global de la production et de la consommation de ces produits. Si la durabilité des systèmes alimentaires est menacée aujourd’hui par un excès de calories d’origine animale, elle l’est également, et c’est bien moins connu, par les calories ultratransformées. C’est déjà le cas dans les pays occidentaux et, de plus en plus, dans les pays émergents où les aliments d’origine animale et ultratransformées sont en constante augmentation.

Comparée aux pays en développement ou émergents, la consommation d’aliments ultratransformés (AUT) est plus élevée dans les pays occidentaux (respectivement <100kg contre 200-300kg/an) ; mais le taux de croissance des ventes dans les pays émergents s’avère élevé : 70-100 % quand la croissance mondiale est de 44 % pour la période 2000-2013. Avec 29,2 %, les pays d’Asie et du Pacifique possèdent la part de marché la plus élevée pour les AUT. En France, la consommation quotidienne de calories ultratransformées s’approche des 40 %.

Le professeur Carlos Monteiro sur l’évolution de l’offre alimentaire. (FAO, 2019).

Rappelons ici que la dernière transition nutritionnelle a commencé dans les années 1950, après la Seconde Guerre mondiale pour culminer dans les années 1980 avec l’avènement du marketing, des grandes multinationales agroalimentaires et de l’hypertechnologie appliquée à nos aliments. Cette transition, largement ignorée, est cependant cruciale : elle marque le passage des « vrais » aux « faux » aliments, ces AUT aux matrices artificialisées ; l’avènement des AUT est concomitant de l’explosion mondiale des maladies chroniques – qui se sont progressivement substituées aux maladies infectieuses et de carence – et de la baisse puis la stagnation de l’espérance de vie en bonne santé.

La substitution progressive des aliments traditionnels par les AUT a été accompagnée d’une prévalence croissante de surpoids, d’obésité, de diabète de type 2 et de stéatose hépatique (ou « maladie des sodas »). Aujourd’hui, près de 35 études épidémiologiques, réalisées depuis 2010, confirment et complètent ces observations.

Faibles coûts, élévages intensifs, pollutions

Pour assurer un faible coût et cibler une consommation massive et standardisée à l’échelle mondiale – on pense aux hamburgers et nuggets des fast foods –, les calories animales des AUT conduisent à des élevages intensifs ; les animaux y sont élevés dans des conditions extrêmes, non respectueuses de leurs besoins et bien-être fondamentaux. En France, par exemple, 82 % des animaux sont élevés de manière intensive, notamment les poulets, les lapins et les porcs (plus de 90 %).

La consommation et la production excessive d’AUT (dont les ingrédients sont majoritairement issus de monocultures intensives) ainsi que le suremballage associé à ces produits représentent une autre menace pour l’environnement avec la pollution (plastique, pesticides…), la déforestation (pour fournir le soja à l’alimentation animale) et les émissions de gaz à effet de serre qu’ils engendrent.

Il est intéressant à ce titre de reprendre les recommandations alimentaires brésiliennes de 2014 évoquant les AUT :

« Des huiles, du sucre et d’autres matières premières bon marché pour les AUT créent des monocultures et des exploitations agricoles qui produisent pour l’exportation et non pour la consommation locale. L’agriculture intensive des matières premières dépend des pesticides et de l’utilisation intensive d’engrais et d’eau. La fabrication et la distribution de la plupart des AUT impliquent de longs trajets de transport, et donc une utilisation excessive d’énergie non renouvelable et d’eau, et l’émission de polluants. Tout cela se traduit par une dégradation et une pollution de l’environnement, une perte de biodiversité et un drainage et une perte d’eau, d’énergie et d’autres ressources naturelles. La production et la consommation entraînent également la création de grandes quantités de déchets et d’ordures, déversées dans des décharges dégoûtantes et dangereuses. Dans l’ensemble, les AUT constituent une menace sérieuse pour la survie durable de la planète. »

Enfin, le procédé du « cracking » est extrêmement énergivore : il s’agit d’isoler certains ingrédients (sirop de glucose-fructose, huiles raffinées, isolats de protéines…) à partir des aliments bruts – soja, pois, blé, maïs, riz, pommes de terre, lait, œufs et viandes en tête –, de les distribuer ensuite à l’échelle planétaire pour qu’ils puissent être recombinés en AUT, se substituant à la nourriture locale, elle, peu transformée.

Le cracking alimentaire. (Science & Vie, 2020).

Une concurrence déloyale

En raison de leur prix très bas, de leur palatabilité exacerbée et de leur forte attractivité – grâce à une démarche commerciale ciblée, notamment vers les plus jeunes –, les aliments ultra-transformés se substituent aux aliments locaux et traditionnels, tout particulièrement dans les pays émergents et en développement.

Une situation qui met en danger les petits agriculteurs, souvent contraints de « mettre la clé sous la porte » et de se déplacer vers les zones urbaines, alimentant les bidonvilles : ce fut le cas pour les petits producteurs laitiers d’Afrique subsaharienne, concurrencés de façon déloyale par les poudres de lait dégraissées excédentaires de l’Europe, vendues à des coûts dérisoires ; ou encore, les snacks sucrés, salés ou gras (chips, sodas, barres chocolatées) qui remplacent la « street food », plus traditionnelle et produite localement.

Comme l’a souligné la chercheuse Jessica L. Johnston dans une analyse publiée en 2014, cette situation est imputable aux subventions gouvernementales aux agriculteurs actuellement en vigueur aux États-Unis et dans certaines parties de l’Europe ; celles-ci « permettent aux pays développés de produire de grandes quantités d’aliments de base et ultra-transformés bon marché ». L’offre de ces aliments moins sains faussent les marchés locaux et dépriment la demande d’options alimentaires locales, plus chères, et souvent plus saines.

Évoquons enfin la dimension sociale, car ce sont les plus pauvres et les moins instruits qui consomment le plus d’AUT. Aux États-Unis, les aliments ultra-transformés sont près de 62 % moins chers que les aliments frais, non ou peu transformés. Par ailleurs, comme indiqué dans le guide brésilien alimentaire évoqué plus haut, la praticité, caractéristique des AUT, favorise la prise de repas dans des conditions plutôt isolées, affectant les interactions sociales traditionnellement liées au partage des repas à base de vrais aliments.

La moitié de la population mondiale sera obèse dans 10 ans (Brut, 2020).

Les alternatives existent !

En plus de la praticité des AUT, il faut revenir sur la stratégie de commercialisation conduite par les grandes entreprises agro-alimentaires : celle-ci aboutit à une identité propre et mondialisée, comme pour les sodas ou les hamburgers, s’appuyant sur des promotions et slogans « agressifs » se déclinant en fonction des pays visés.

Cette identité créée repose sur une standardisation, fidélisant les consommateurs d’un même pays ou voyageant d’un pays à un autre, en leur assurant la constance des propriétés organoleptiques, les écartant ainsi potentiellement d’autres aliments traditionnels aux goûts moins standardisés. Avec, comme résultat, un éloignement de la culture et des traditions culinaires constaté notamment chez les plus jeunes.


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N’oublions cependant pas un aspect positif de la normalisation des aliments introduite par les industries agro-alimentaires : elle permet un nécessaire et strict contrôle toxicologique et hygiénique, et une sécurité sanitaire permettant l’accès au marché mondial… mais qui s’est trop souvent faite au détriment du potentiel santé des aliments.

S’affranchissant de l’approche actuelle trop réductionniste sur les nutriments, nous avons développé la règle des « 3V-BLS » – végétal, vrai, varié, si possible bio, local et de saison – pour fournir des leviers d’action simples et holistiques afin de prévenir la dégradation des systèmes alimentaires due à l’excès de calories animales et ultra-transformées.

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