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Les lieux communs de l’éducation : une nouvelle livraison du PISA

S'imposer comme une formidable machine à (re)produire du discours : serait-ce l'un des moteurs les plus puissants du succès de PISA ? Shutterstock

Le 3 décembre 2019 seront publiés les résultats de l’édition 2018 du Programme international de suivi des acquis des élèves (PISA), évaluation scolaire internationale lancée à la fin des années 1990 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Avec, en 2018, près de 80 pays ou territoires participants et plusieurs centaines de milliers d’élèves testés, le PISA connaît un succès croissant depuis sa première édition de l’an 2000, qui ne comptait que 43 pays.

Au-delà de son expansion géographique, ce succès se mesure aussi au retentissement médiatique et politique qu’occasionne la parution triennale de ses résultats. Nous pourrions reprendre, pour cette nouvelle édition, ce que Marie Duru-Bellat écrivait à propos de la précédente, en 2015, dans The Conversation : « Une fois de plus, la publication en décembre des résultats de la dernière enquête PISA va faire couler, n’en doutons pas, beaucoup d’encre ».

De même que la prédiction s’était alors vérifiée (on peut le constater avec Le Figaro, Le Monde ou Libération), cette année encore, la désaffection des médias n’est pas à craindre tant les résultats du programme et ses classements internationaux, nouveaux avatars d’une distribution des prix, nourrissent des discours alarmistes ou élogieux repris en boucle qui contribuent à inscrire le PISA à l’agenda politique et public.

En 2013, sujet de France 5 sur la communication ministérielle autour des résultats de PISA 2012 (Médias le magazine).

Limites méthodologiques

Comme les pleurs de la rentrée, les cris devant les résultats du bac, la parution triennale du PISA est un rituel qui s’installe depuis bientôt 20 ans, pour devenir un nouveau marronnier dans la cour de l’école. Sans doute s’agit-il là d’une des plus sensibles répercussions du PISA, comme l’explique le journaliste spécialiste des questions d’éducation Luc Cédelle.

Outre son écho médiatique, le PISA rencontre un réel succès dans les milieux scientifiques, ce qu’atteste le grand nombre de publications qui lui sont consacrées. Il y a sans doute à ce succès-là des raisons objectives, dont l’accessibilité d’une large partie des données du programme ainsi que la robustesse technique qu’il affiche (c’est la perspective suivie par Carlo Barlone).

Pourtant, comme le souligne Marie Duru-Bellat dans le texte cité plus haut, si cette entreprise ne manque pas d’intérêt, plusieurs limites méthodologiques majeures posent des difficultés dans l’analyse et l’interprétation de ses résultats. De fait, le PISA est l’objet de travaux critiques nombreux, y compris par d’éminents chercheurs internationaux qui sont allés jusqu’à signer en 2014 une lettre ouverte au titre éloquent, adressée au responsable du PISA : « OECD and Pisa tests are damaging education worldwide ».

Pourquoi ces analyses critiques sont-elles sans effet sur l’essor constant du PISA et n’enrayent pas un succès sans commune mesure avec les autres programmes internationaux d’évaluations à l’œuvre depuis la fin des années 1950 ?

Plusieurs pistes explicatives sont possibles, dont celle de la puissance institutionnelle de l’OCDE qui pilote le programme. Mais dans la continuité de travaux que nous menons depuis quelques années, nous avancerons que l’une des raisons de ce phénomène se trouve dans le fonctionnement même du discours du PISA, caractérisé par des lieux communs.

Contextes authentiques ?

Les lieux communs sur lesquels il s’appuie permettent à ce discours de s’inscrire sans accrocs dans le flux ordinaire des discours sociaux, politiques, médiatiques, pédagogiques, voire scientifiques, sur l’École. Sans pouvoir décrire ici dans le détail ses spécificités (comme nous l’avions fait dans un petit ouvrage polémique, Les Blagues à PISA), illustrons-le par quelques exemples.

Sur le plan méthodologique, l’objectif central que le PISA assigne à l’évaluation qu’il conduit est celui d’atteindre l’« authenticité » de la « vie réelle ». Cette visée, présentée comme une originalité par rapport à l’école, fonde le choix du programme de ne pas organiser le test en référence directe aux disciplines d’enseignement scolaires mais aux littératies, entendues comme domaines génériques de compétences (la compréhension de l’écrit, la culture mathématique, la culture scientifique), en attendant d’évaluer, comme dans l’édition de 2018, une « compétence globale » des élèves.

Pour cela, le PISA considère que les exercices auquel il soumet les élèves proposent des « contextes authentiques », c’est-à-dire situés « dans le domaine du vécu et des pratiques effectives des participants, dans un cadre réel ».

Passons sur le paradoxe qu’il y a à supposer possible de concevoir une épreuve uniformément authentique pour plusieurs centaines de milliers d’élèves par-delà les pays, les cultures, les milieux ou les langues.

Arrêtons-nous plutôt sur le fait, tout aussi paradoxal, que vouloir rapprocher une évaluation ou un enseignement d’exigences supposées relever de la « vie réelle » et critiquer l’artificialité de l’École sont précisément des stéréotypes… scolaires, répétés sans relâche et de longue date dans d’innombrables discours sur l’école.

Du reste, le PISA ne s’y trompe pas, puisqu’en exergue d’un de ses rapports il cite Sénèque qui écrivait, dans une des Lettres à Lucilius (106, 12) : « Non vitae, sed scholae discimus » (« Nous étudions, non pour la vie réelle, mais pour l’école »).

Les tests PISA ne s’organisent pas autour de disciplines scolaires mais de domaines de compétences.

Lieux communs

En s’inscrivant sans discernement dans sa connivence paradoxale avec la tradition scolaire, à travers ce double poncif séculaire de l’artificialité de l’École et de la nécessité d’un rapprochement avec la « vie réelle », le PISA s’expose en retour à ce même reproche.

Divers spécialistes ont en effet montré la proximité d’épreuves du PISA avec les exercices typiquement scolaires et interrogé l’authenticité proclamée des tâches soumises aux élèves (les lecteurs pourront en juger en essayant de répondre à quelques exemples de questions en culture mathématique proposés par le PISA).

Outre sa méthodologie, les résultats de l’évaluation et ses commentaires sont une autre source de clichés explicatifs. Sans crainte des stéréotypes culturels, le PISA écrit que la « tradition confucéenne » peut être un « atout » lorsqu’il est question de la réussite des systèmes scolaires d’Asie de l’Est et de la rareté des élèves qui y déclarent arriver en retard à l’école ou avoir « séché des cours » (sic).

Concernant le genre, la faiblesse des résultats des garçons au test de compréhension de l’écrit a à voir pour le PISA, entre autres facteurs sociaux, avec « la prédisposition » ou « le tempérament » qui contribuent « vraisemblablement à expliquer pourquoi les garçons s’intéressent moins à la lecture que les filles ».

Sur le plan social, le PISA analyse l’effet du climat scolaire sur les performances, par le fait probable que les « élèves issus de milieux plus privilégiés sont plus disciplinés et perçoivent les valeurs scolaires de manière plus positive ».

Aussi étonnants que ces poncifs puissent paraître, ils cadrent en fait assez bien avec cet autre, sous la forme d’un slogan entre jeu de hasard et exhortation sportive : « Sans participer, il n’y a aucune chance de gagner ; sans essayer, il n’y a aucune chance de réussir. »

Une machine à créer du discours ?

Enfin, après sa méthodologie et ses résultats, on peut retrouver les lieux communs du PISA jusque dans les suggestions que le programme adresse aux pouvoirs publics pour diagnostiquer ou résoudre les difficultés de l’école.

Pour illustrer brièvement cela, citons quelques exemples des « implications des résultats de l’enquête PISA 2015 pour l’action publique » : on apprend ainsi que « les élèves devraient avoir accès à des informations précises, crédibles, et qui évitent toute représentation non réaliste ou caricaturale » ou qu’ils « ont tendance à être plus performants dans des établissements offrant un environnement propice à l’apprentissage » ou encore que pour « constituer un corps enseignant qualifié et efficace, les systèmes d’éducation doivent attirer de jeunes diplômés talentueux dans la profession et conserver à leur service les enseignants qualifiés, dévoués et efficaces ».

C’est à se demander, quand on va au-delà du palmarès et de son commentaire fournis par le PISA pour faire une lecture attentive de ses nombreux écrits, si ce programme est bien à la hauteur des enjeux de l’évaluation et du traitement des problèmes de l’École à travers le monde.

Sans réduire le discours du PISA à sa propension à dévider les évidences, il n’en reste pas moins que ces dernières abondent, assénées avec une assurance tranquille qui confine à l’étrangeté. Mais c’est aussi, sans doute, la clé de son succès, car il faut reconnaître que le sens commun – qui allie le stéréotype à la certitude – procure au PISA l’un des moteurs les plus puissants de son expansion : celui de constituer une formidable machine à (re)produire du discours.

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