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Les Moso, cette minorité chinoise qui fait la part belle aux femmes

Une jeune fille de la minorité Mosuo.
Une jeune fille de la minorité Mosuo dans un champ de fleurs. Yu Zhang

Ce 2 février, dans une série intitulée Terres de femmes, la chaîne Arte diffusera à 15h35 un documentaire sur les Moso, aussi nommés Na. Dans les montagnes du Sichuan, Lizajui est l’un des derniers villages qui perpétuent leurs coutumes. Le film suit le quotidien de Naka, qui n’a que dix-huit ans. Deviendra-t-elle, suivant la tradition, la cheffe de sa lignée, la dape ou réalisera-t-elle son rêve de danser dans une troupe folklorique de la zone touristique qui se développe à quelques kilomètres de son village autrefois coupé du monde ?

Ce récit faussement anecdotique pose d’abord une question anthropologique. Cette minorité d’environ 30 000 individus – à laquelle Arte a déjà consacré un documentaire il y a quelques années – est peu connue du monde occidental. Divers auteurs des dynasties Yuan et Ming (du XIIIe au XVIIe siècles) s’étonnaient déjà de leurs coutumes, également mentionnées par Marco Polo. Elles ont été étudiées à partir du milieu du XXe siècle surtout par des anthropologues chinois, notamment le professeur Cai Hua, qui a fait ses études à Paris et enseigne maintenant à Pékin. Un récent ouvrage de Heide Goettner Abendroth les signale également parmi les sociétés matriarcales existant encore dans le monde.

Comprendre le système matrilinéaire des Moso

Le terme matriarcal est à vrai dire impropre pour définir la société Moso, dans la mesure où il serait le symétrique inverse du patriarcat. Mieux vaudrait parler de société matristique, un terme moins ambigu que celui de matriarcat. En effet, des sociétés où les femmes domineraient structurellement les hommes n’ont jamais existé.

En revanche, il en existe beaucoup dans lesquelles femmes et hommes se trouvent sur un pied relatif d’égalité : Minangkabau en Indonésie, Khasi en Inde, Ainu au Japon, Trobriandais en Mélanésie, Arawak en Amérique du Sud ; Bantous en Afrique centrale, Iroquois en Amérique du Nord, Akan en Afrique de l’Ouest, Touaregs en Afrique du Nord…

Les Han sont l’ethnie dominante en Chine. Or, leur système est patriarcal, comme le nôtre jusqu’à une date récente. Dans un système matrilinéaire comme celui des Moso et des sociétés matristiques, le plus proche parent mâle d’un enfant est non pas le mari de sa mère ou son père biologique, mais son oncle maternel. C’est lui qui est le père social de l’enfant. À sa naissance, un enfant fait automatiquement partie du groupe de sa mère. Ceux qui ont le même ancêtre féminin résident sous le même toit à chaque génération. Le terme de famille ne recouvre donc pas les mêmes réalités et diffère donc de la « famille nucléaire ».

Mariage et sexualité chez les Moso

D’autre part, le mariage n’est pas le mode de relation matrimonial le plus répandu chez les Moso. Il y en a plusieurs, plus ou moins complexes. Mais le plus répandu est celui de la visite furtive (nana sésé). Après avoir recueilli son consentement (de nos jours souvent au cinéma), un homme se rend tard dans la nuit dans la chambre d’une femme et la quitte à l’aube pour regagner son domicile (une femme peut recevoir deux ou trois visiteurs par nuit). Ce n’est jamais la femme qui rend visite à l’homme. Chaque femme peut avoir plusieurs partenaires ; c’est également le cas de l’homme. Des deux côtés, la beauté physique et la jeunesse sont des critères de choix déterminants. Cette relation est strictement privée, uniquement sentimentale, amoureuse et/ou sexuelle. Elle peut durer une nuit ou plusieurs années. La rupture est facile : il suffit de le dire à son partenaire.

Free Love | National Geographic.

Cela n’a rien à voir avec la prostitution : il n’y a pas d’échange d’argent. D’autre part, chaque partenaire est soumis à une stricte obligation de discrétion : rien à voir non plus avec la débauche. Les observateurs extérieurs se sont régulièrement étonnés de l’absence de jalousie entre les différents partenaires.

Pour les Moso, il faut obéir avant tout à ses sentiments et à son attirance. La notion d’un engagement à long terme est très difficile à admettre, car les sentiments et l’attirance changent. Le serment de fidélité est honteux : c’est un négoce, un échange qui n’est pas conforme aux coutumes. Aucune relation sexuelle ne peut mener les amants à se promettre le monopole de la sexualité. La sexualité n’implique aucune contrainte mutuelle. C’est donc aussi une autre conception de la moralité.

Des pratiques culturelles réprimées

Ces données anthropologiques ont donné lieu à des problèmes politiques : selon Marco Polo, déjà le grand Khan avait interdit ces coutumes qui lui semblaient immorales. Une fois arrivés au pouvoir, les communistes chinois s’efforcent de mettre fin à certaines coutumes très répandues en Chine et jugées barbares, comme les pieds bandés ou les mariages arrangés, ce qu’il est difficile de leur reprocher. Les premières mesures contre les coutumes des Moso commencent avec la réforme agraire, en 1956.

En 1958, lors du Grand bond en avant, le gouvernement local de la province du Yunnan* se prononce en faveur de la supériorité de la monogamie socialiste par rapport aux visites furtives. Les répressions s’intensifient avec la Révolution culturelle en 1966. Mao Zedong incite les Chinois à balayer les « Quatre vieilleries » : anciennes coutumes, anciennes habitudes, ancienne moralité et ancienne culture. Il lance des campagnes contre Confucius, aujourd’hui remis à l’honneur.

La répression diminue à partir des années 1980. Mais, dans la pratique, les Moso ont toujours continué à observer les vieilles coutumes, avec plus ou moins d’intensité et de discrétion. Aujourd’hui, elles existent toujours bien qu’en diminution, même si la tentation est réelle pour les Moso de devenir une sorte d’attraction touristique : cela leur rapporte de l’argent. Environ 500 000 touristes chinois visitent les Moso chaque année et leur achètent les produits de leur artisanat.

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