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« Library and more » : de la bibliothèque à la bibliothèque augmentée

Etudiants à la bibliothèque de Grenoble École de Management.

Que peut apporter une bibliothèque d’établissement d’enseignement supérieur quand, à l’heure d’Internet, le moindre smartphone peut recueillir instantanément plus de ressources documentaires que ne peuvent en fournir toutes les bibliothèques réunies ? Quelle raison d’être pour un espace qui n’a plus besoin d’être « visité » ? Quel devenir pour les professionnels qui y travaillent en termes de sens, de métier, de contrat et d’emploi ?

La bibliothèque, de la mission à la responsabilité

Si la bibliothèque a pour mission première de mettre à disposition de ces clients les ressources documentaires les plus pertinentes, sa responsabilité est ailleurs. Elle se situe dans sa capacité à créer de la valeur immatérielle. Chaque fois qu’un client vient dans cet espace, son parcours, ses interactions et l’exploitation de la ressource qu’il obtient doivent le valoriser intrinsèquement. Il doit en ressortir avec plus de valeur qu’à son arrivée.

Par exemple, face à l’impatience-client (ce qui n’est pas obtenu dans l’instant ne mérite pas d’être recherché), le parcours client le ferait gagner en persévérance, comprenant mieux les chemins d’accès aux ressources et renforçant son autonomie pour une performance ultérieure. Persévérance, autonomie font partie des valeurs immatérielles concrètement visées par l’expérimentation menée en 2016 auprès des clients et professionnels de la bibliothèque de GEM.

La bibliothèque, de la procédure au parcours

Traditionnellement, un client en bibliothèque se voit proposer pour l’accès à une ressource, soit un point géographique (l’emplacement de la ressource recherchée) soit une procédure (l’enchaînement de tâches pour y parvenir). Penser en bibliothèque augmentée suppose de prendre en compte le parcours d’un client dans sa globalité et d’élargir ses interactions à toutes les parties prenantes de sa performance.

L’étude menée par GEM révèle que les étudiants considèrent que leur parcours en bibliothèque commence à l’extérieur de celle-ci lorsqu’un prescripteur (enseignant, tuteur…) fixe un objectif (acquérir une compétence, trouver un résultat…) nécessitant une ressource.

Le client commence alors sa démarche d’investigation aujourd’hui balayant en cross canalité toutes les opportunités. Il va parcourir et croiser ses différents canaux/réseaux d’accès aux ressources nécessaires pour répondre à la demande. Il n’a pas encore poussé la porte de la bibliothèque que son parcours en bibliothèque a déjà commencé. Il y a là un paradoxe car si les clients commencent leur parcours à l’extérieur de cet espace, les professionnels n’en sortent pas. Il y a une sorte de vide symbolique qu’une bibliothèque augmentée doit s’attacher à combler.

L’idée de GEM est de faire en sorte que les prescripteurs passent d’une commande classique (acquisition, résultat..) à une commande augmentée de la valeur visée. Il y a par exemple une différence entre « avoir appris à faire » et « se sentir capable de le faire seul demain ». Savoir, si à un donné d’enseignement, l’objectif du prescripteur est d’accroître une compétence ou de renforcer la valeur intrinsèque du client (autonomie, confiance, maturité…), et si cela induit un accompagnement et des propositions différentes de la bibliothèque.

Sur un même thème, un manuel, un livre critique, un récit d’expérience, un document comparatif, une interview, des images… vont plus ou moins correspondre à la commande augmentée. Dans une bibliothèque classique, l’enseignant est en réalité le client. Dans la bibliothèque augmentée qu’imagine GEM, le client sont les étudiants. Ils viennent pour eux-mêmes, sont pris en charge avant d’entrer en bibliothèque, sont orientés sur des ressources choisies en fonction de leur capacité à générer la valeur immatérielle visée par le prescripteur (persévérance, confiance en leur propre valeur, aptitude à la collaboration, autonomie…), sont stimulés une fois installés par des interactions spontanées avec les professionnels qui vont à leur rencontre.

Une bibliothèque augmentée sans document sur les étagères ni sur les écrans

Symboliquement, l’étude menée à GEM en 2016, était de faire en sorte que les clients ne trouvent plus de documents sur les rayons mais des puits de valeurs. La bibliothèque pourrait être amenée à abandonner son thésaurus, son organisation thématique, ses codes… pour un design par la création de valeur. Autant d’espace que de valeurs immatérielles visées : espace compétence dans lequel les étudiants trouveraient des formats « manuels » pour une commande d’acquisition d’un savoir conceptuel ou procédurier, espace « autonomie » avec des formats « cas pratiques » pour la mise en œuvre de savoirs faire procéduriers, espace « confiance » avec des formats « récit d’expérience, groupes d’échange de pratiques, l’organisation de « faites/fêtes ? des erreurs »… le tout porté par des parcours parfois volontairement incomplets qui éduquent à la persévérance.

GEM, une bibliothèque portée par le sens

Les propositions issues de l’étude et l’expérimentation menée à GEM n’auraient pu être portées sans l’engagement du management et des collaborateurs. Pour cela, les finalités perçues ne devaient pas être interprétées comme des menaces. Le travail a d’abord consisté à faire l’investigation des sens individuels afin d’imaginer une bibliothèque à finalité différente mais aussi significative. Sur cette base, l’idée leur a été soumise.

Ils l’ont critiquée, enrichie, augmentée, traduit en modes de fonctionnement (autres affectations des moyens, autres interactions), en actions (intégrer le parcours des clients à son départ, redésigner les interfaces, se former aux postures de coach et formateur pour devenir des professionnels de la création de valeur…), optimiser les fonds documentaires par d’autres critères (la qualité de l’auteur recule au profit de la capacité du document – évaluée par les utilisateurs – à rendre plus autonome, accroître la confiance…) et imaginer les indicateurs qui vérifieront l’alignement de la bibliothèque sur ce projet commun.

Création de valeur et pérennité des bibliothèques

Le projet GEM de bibliothèque augmentée contextualise ce métier face aux évolutions des technologies, des attentes clients et collaborateurs, des contextes et cadres de travail, de la concurrence de canaux différents. La bibliothèque de GEM reste une bibliothèque mais son intention est différente, en faveur de la création de valeurs. En ce sens, elle devient un lieu ouvert de co-formation et d’apprentissage.


Cet article co-écrit avec Martine Allègre, Responsable de la Bibliothèque de Gem de 1995 à mars 2016 est la synthèse d’une communication présentée au Colloque satellite de l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions), University of Toronto, 10-11 août 2016 « Gestion des Ressources Humaines dans le contexte de la Bibliothèque et de l’information : comment voulons-nous travailler demain ? »

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