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Une file d'hommes debout sur un trottoir, contre une clôture
Des gens font la file devant un refuge pour sans-abri à Montréal, en mars 2020. Les problèmes sociaux sont de plus en plus complexes et pour les résoudre, il est nécessaire d’avoir recours à des solutions innovantes qui peuvent s’échelonner sur de très longues périodes. La Presse canadienne/Ryan Remiorz

L’innovation sociale, une solution aux enjeux de nos sociétés

Les problèmes sociaux sont de plus en plus complexes, que l’on pense à la pauvreté, à la crise du logement, à celle des opiacés, à la violence domestique ou à l’échelle planétaire, à l’urgence climatique.

Pour les résoudre, il est nécessaire d’avoir recours à des solutions plus radicales dont l’implantation, la conception et la réalisation peuvent s’échelonner sur de très longues périodes.

Depuis quelques années, l’innovation sociale s’impose comme solution à ces problèmes sociétaux complexes et aux grands défis humanitaires, de même que comme moteur du développement social, notamment sur le terrain. Ses approches sont de plus en plus utilisées, par exemple, par les organisations sans but lucratif qui sont souvent au front pour tenter de pallier, atténuer ou éliminer ces problèmes.

Professeure de philosophie à l’Université McMaster, je dirige The/La Collaborative, un réseau pan-canadien intersectoriel dont la mission est de créer de nouveaux modèles pour mobiliser les talents et les connaissances qui proviennent de la recherche en sciences humaines, tout spécialement pour stimuler l’innovation. Ma collègue Marie-Claude Lagacé est professeure associée en innovation sociale et publique à l’UQAM.

Trois conceptions de l’innovation

Au Canada, on retrouve généralement trois grandes conceptions de l’innovation sociale. Leurs pratiques et approches ne sont pas exclusives et peuvent se chevaucher.

Tout d’abord, plusieurs pratiques en innovation sociale s’ancrent dans l’étude des systèmes et de leur complexité. Elles ont pour théorie sous-jacente que, pour résoudre les problèmes récalcitrants (wicked problems), il faut modifier les institutions, les relations sociales et les structures de pouvoir.

La deuxième conception s’articule autour de l’entrepreneuriat social, un modèle d’affaires axé sur le retour « social » sur l’investissement. Une entreprise sociale opère au moins en partie dans un but social, par exemple en employant des personnes vulnérables. Mais on peut aussi parler d’innovation sociale lorsqu’un organisme ou une entreprise procède à la création ou l’amélioration de produits, programmes ou processus qui visent à résoudre des enjeux sociaux.

La troisième conception se concentre sur les démarches d’action collective et d’économie sociale : l’approche consiste à transformer les fondements de nos relations et institutions économiques pour développer de nouveaux modèles de financement et d’échange. On parlera d’entrepreneuriat collectif ou d’économie sociale

Un campement de sans-abri à Montréal, en octobre 2020. Les problèmes sociaux se multiplient et se complexifient, et l’innovation sociale peut aider à les atténuer. La Presse canadienne/Paul Chiasson

Un manque d’expertise scientifique

Aucune de ces manières de concevoir l’innovation sociale n’est meilleure qu’une autre — elles sont en fait complémentaires et peuvent toutes contribuer à la prospérité sociale, culturelle, environnementale et économique. Elles souffrent cependant toutes du même défaut : dans la pratique, aucune d’entre elles n’est supportée par un engagement et une stratégie politique claire.

D’une part, les efforts des gouvernements pour stimuler l’innovation sociale négligent souvent la question de l’accès à l’expertise scientifique. Ils ne sont pas en mesure de tirer profit des établissements de recherche et d’enseignement supérieur — et tout particulièrement des sciences humaines et sociales — pour enrichir et stimuler l’écosystème de l’innovation sociale. Le Québec a fait un premier pas, dans sa Stratégie de recherche et d’investissement en innovation 2022-2027, en s’appuyant sur le développement durable et l’innovation sociale pour trouver des solutions aux défis de société.

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Contrairement à certains pays comme l’Allemagne, par exemple, le terme « innovation sociale » fait encore trop peu partie du vocabulaire des politiques scientifiques et sociales au Canada. Peu d’effort est voué à l’articulation d’une stratégie nationale pour l’innovation. Même au sein des politiques publiques, la place de l’innovation sociale au Canada se limite aux confins d’un comité-conseil, le Conseil consultatif sur l’innovation sociale qui ne dispose ni d’un budget, ni d’un pouvoir décisionnel.

Établir un consensus

Au cours des deux dernières années, notre équipe de The/La Collaborative à l’Université McMaster s’est penchée sur la manière dont les universités canadiennes, en particulier les disciplines des sciences humaines et sociales, contribuent à accélérer les grandes transitions technosociales et à accroire la capacité pour l’innovation dans les secteurs non technologiques.

On constate que l’innovation sociale suscite l’attention des institutions, des entrepreneurs, des universités et des collèges canadiens, mais en l’absence de soutien concret, la vision d’impact et d’innovation communautaires restent souvent aspirationnels.

Nous avons ainsi créé le Forum canadien pour l’innovation sociale, qui réunira près de 150 délégués de tous les secteurs lors de sa deuxième édition les 11 et 12 juin 2024 à Montréal. Il aura pour but de tirer parti de données probantes récoltées dans la dernière année afin d’établir le consensus autour d’une feuille de route pour un écosystème canadien de l’innovation sociale.

Trois priorités

Étant donné les enjeux humains, sociaux et environnementaux qui continueront de survenir dans les décennies à venir, trois priorités doivent s’établir, selon nous :

  • Les systèmes canadiens de recherche et d’enseignement supérieur doivent adapter leur mission pour soutenir l’innovation dont nos communautés ont besoin pour générer la prospérité sociétale, culturelle, environnementale et économique.

  • Les écosystèmes d’innovation ont besoin de talents divers, mobiles et interdisciplinaires afin de répondre aux grands défis qui requièrent qu’on transforme nos institutions. Les institutions d’enseignement supérieur — et les universités tout particulièrement — doivent mettre à jour leur mandat vocationnel et changer leur approche à la formation des compétences et du personnel hautement qualifié. En particulier, l’emphase doit être mise sur les compétences sociales et émotionnelles associées à l’innovation inclusive dans des contextes interdisciplinaires.

  • Mettre en place des infrastructures physiques, numériques et relationnelles pour que tous les aspects du processus d’innovation soient pris en charge, de la conception à la mise en œuvre. Cela va bien au-delà de ce qu’implique stimuler la recherche et le développement par les approches traditionnelles.

Cette vision de la feuille de route pour l’écosystème d’innovation s’aligne immédiatement avec les priorités canadiennes telles qu’elles sont déjà définies, par exemple, à travers le programme des chaires d’excellences.

Pour nous démarquer des autres nations, la stratégie nationale d’innovation doit outiller tous les secteurs, et prioriser les enjeux sociétaux. Il s’agit maintenant de sensibiliser les organismes publics et de recherche au concept de l’innovation sociale, d’en reconnaître le potentiel et d’établir des ponts avec les autres acteurs à travers l’écosystème de l’innovation.

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