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Manger thaï, vivre « hygge »… Qu’est-ce qui nous pousse à consommer les produits d’autres cultures ?

Les entreprises scandinaves utilisent le « hygge », notion culturelle décrivant les intérieurs confortables et chaleureux, comme argument de vente. Pikrepo, FAL

Quand avez-vous mangé thaï, acheté des articles au rayon « cuisines du monde » de votre supermarché, porté ou offert un pashmina, ou regardé un film étranger pour la dernière fois ? Beaucoup d’entre nous consomment, régulièrement ou occasionnellement, des produits ou des expériences qui ont une connotation culturelle.

Beaucoup de nos sociétés contemporaines sont devenues culturellement diverses, et les produits liés à d’autres cultures sont largement disponibles. Il est donc intéressant de s’interroger sur ce qui pousse les gens à interagir avec différentes cultures par le biais de la consommation, et de réfléchir à la façon dont les marketeurs de produits et de services peuvent faciliter des interactions interculturelles qui soient utiles pour la société.

Motivations diverses

Nous avons mené une étude qui a donné lieu à 31 entretiens avec des résidents d’une ville multiculturelle du Royaume-Uni. Certains étaient nés localement, d’autres avaient immigré. Notre étude, récemment publiée dans le Journal of Business Research, révèle que trois types de motivations assez différentes poussent les gens à consommer des produits, services ou expériences à connotations culturelles.

Nous avons qualifié les premières motivations de motivations intégratives. Elles concernent les consommateurs qui choisissent des produits à connotations culturelles comme l’expression d’un mode de vie multiculturel, ou pour montrer leur appréciation et respect pour une certaine culture. Par exemple, un client peut choisir de manger dans un restaurant mexicain pour démontrer son intérêt pour et association avec la culture mexicaine, ou encore son identité de « citoyen du monde ».

Les consommateurs utilisent ainsi la consommation comme un moyen de matérialiser et d’afficher des valeurs altruistes d’ouverture sur le monde. Par exemple, l’un de nos participants nous a dit qu’en achetant des ingrédients dans un magasin japonais, il « soutient également cette culture et ces échanges commerciaux » et qu’il se sent engagé dans « une longue chaîne d’humanité ».

Le choix d’aller manger dans un restaurant thaï peut être motivé par un attachement à la culture ou encore l’envie de la découvrir. Dennis Wong/Flickr, CC BY-SA

Le deuxième type de motivation peut être quant à elle qualifié d’instrumental. Le consommateur va alors être poussé à l’achat par son envie d’accumuler de nouvelles connaissances.

Par exemple, certaines des personnes que nous avons interrogées, qui s’étaient récemment installées au Royaume-Uni, ont indiqué qu’elles choisissent souvent les événements et les activités auxquels elles participent en fonction des possibilités d’interagir avec des autochtones. D’autres ont parlé du besoin d’être « conscients d’autres cultures » comme étant une adaptation nécessaire pour prospérer dans des sociétés culturellement diverses.

Autrement dit, en utilisant la consommation comme une opportunité d’apprentissage, les participants à notre étude révèlent un effort délibéré pour développer une sensibilité et des comportements adaptés à des contextes culturels différents.

L’omniprésence entraîne l’indifférence

Toutefois, les consommateurs qui choisissent des produits à connotations culturelles ne cherchent pas tous délibérément une forme d’interaction interculturelle et leurs motivations peuvent être qualifiées de banales.

Certains participants à notre étude ont ainsi exprimé leur indifférence à l’égard de la signification culturelle de certains choix de consommation et ont simplement préféré ceux-ci en raison de leur commodité et de l’omniprésence de l’offre. Par exemple, ils peuvent manger des plats qui sont typiques d’autres cultures, comme les pizzas, simplement parce que ceux-ci sont largement disponibles.

Ces différentes motivations, une fois identifiées, peuvent devenir des leviers stratégiques pour les managers et les entrepreneurs issus de minorités ethniques (par exemple, une créatrice de textiles africains ou un restaurateur coréen), ou encore les responsables de marques opérant sur des marchés multiculturels (par exemple, L’Oréal, Lustucru, Les Boulangeries Paul, etc.).

Pour activer les motivations intégratives, les campagnes de marketing peuvent ainsi mettre l’accent sur la nature « pro-sociale » de ce comportement et sur ce qu’il peut apporter ; on peut rappeler par le biais de la communication, que les consommateurs peuvent soutenir ou participer à une culture en achetant ses produits.

Par exemple, le spécialiste du mobilier en kit Ikea fournit des informations sur le mode de vie « hygge » (le bien-être lié à une atmosphère) originaire du Danemark, ce qui nous permet de « vivre hygge » en achetant les articles pertinents pour nos maisons. Autre exemple, la publicité « France is in the air » de la compagnie aérienne Air France, conçue pour les marchés internationaux, donne aux gens accès à une vision contemporaine du mode de vie français.

Spot de publicité d’Air France « France is in the air » (2018).

Pour activer les motivations instrumentales, les campagnes de marketing et les employés interagissant avec des clients de différents milieux culturels pourraient mettre l’accent sur les avantages personnels (comme l’apprentissage) que l’on peut tirer d’une telle forme de consommation. Par exemple, le packaging des produits peut inclure des informations sur une culture et ses coutumes. La marque Ducros fournit ainsi des informations détaillées en ligne sur l’origine des épices et leurs différentes utilisations à travers les cultures.

L’activation de motivations banales est plus problématique en termes de promotion d’interactions interculturelles positives, car il est important que les offres à connotations culturelles ne soient pas positionnées uniquement sur la commodité.

L’erreur de Victoria’s Secret

Cela risquerait de déconnecter les offres de leur culture d’origine, ou d’offenser, lorsque cette culture est déformée pour le bénéfice du marketeur – un phénomène que l’on appelle l’appropriation culturelle.

Par exemple, lors d’un défilé pour la marque de lingerie Victoria’s Secret en 2012, l’une des mannequins de cette marque de lingerie portait une coiffe amérindienne. Cet événement a suscité de vives réactions qui soulignaient le détournement du sens originel d’un objet important parmi les cultures amérindiennes, et le manque de respect envers ces cultures.

Reportage sur la polémique autour de la coiffe indienne d’un mannequin Victoria’s Secret (ABC News, novembre 2012).

Enfin, notons que les résultats de notre étude sont particulièrement pertinents dans le contexte de la pandémie actuelle. En effet, puisque l’interaction sociale et les voyages sont sévèrement restreints, les produits/services et les médias peuvent être les moyens les plus accessibles dont nous disposons, pour continuer à pouvoir interagir avec d’autres cultures.

De telles interactions, et leur authenticité, peuvent devenir encore plus importantes si nous voulons nous assurer que l’attrait croissant du « local » ne nous prive pas par inadvertance de tous les avantages et apprentissages que nous avons tirés de nos interactions avec d’autres cultures.

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