Menu Close

« Pertes Kerviel » ou « pertes Société Générale » ? Contribuables, vous êtes concernés

Derrière le miroir ? Mustapha Ennaimi/Flickr, CC BY

L’affaire dite « Kerviel » est depuis l’origine une affaire qui questionne fortement les systèmes de contrôle interne et de management de l’entreprise Société Générale.

Une négociation fiscale lourde de sens

Le « problème » de déductibilité fiscale fait suite au dernier jugement au civil rendu par la Cour d’appel de Versailles. Celui-ci a en effet fait passer de 4 915 610 154 euros à 1 000 000 d’euros le montant de la dette de Jérôme Kerviel à l’égard de la Société Générale. Motif de cette décision : un management et une stratégie ayant de façon systématique privilégié la prise de risques sans, à l’évidence, avoir conçu une architecture des systèmes de contrôle et des modalités de supervision hiérarchique cohérentes avec ce management et cette stratégie. C’est ce dont le « top-management » de l’entreprise devrait être tenu de répondre au premier chef.

L’issue de la « discussion » entre l’administration fiscale et la Société Générale reste semble-t-il, à ce stade, incertaine.

Il est ainsi rapporté par des articles de presse parus dans les Echos, l’Opinon, Challenges que la jurisprudence en matière de déductibilité fiscale des pertes est plutôt en faveur de la Société Générale puisque des fautes délibérées d’un (ou plusieurs) dirigeant(s) qui auraient « su » n’a pu été identifiée jusqu’à présent par la justice.

La Société Générale serait donc fondée à continuer de considérer ces pertes comme conséquentes de stricts incidents d’exploitation. C’est d’ailleurs probablement cette analyse qui explique la position de la banque, connue dès le rendu du jugement du 23 septembre 2016 selon laquelle sa situation fiscale reste inchangée suite à la nouvelle décision de justice.

« Incidents d’exploitation » ou stratégie risquée ?

Il est vrai que dans des cas antérieurs, les traitements fiscaux de « cas » d’incidents d’exploitation ont donné lieu à de vifs débats au sein même de l’administration fiscale.

Si la jurisprudence va dans le sens de la protection des intérêts des entreprises plutôt que de la défense directe des contribuables), c’est aussi en raison des avis exprimés par le Conseil d’État : pour ce dernier, sans faute de gestion avérée (par exemple une mise en cause pénale d’un ou plusieurs dirigeants), les pertes devraient être considérées comme la conséquence d’un risque d’exploitation et donc être déductibles.

En ce sens, pour le Conseil d’État, une stratégie et un management ayant conduit à une prise de risques trop élevées ne sauraient a priori être considérés comme des « fautes » susceptibles de conduire à une remise en cause d’une déduction fiscale accordée.

Pour les experts du WIKISG(K), cette analyse position ne peut valoir ipso facto dans le cas de l’affaire dite « Société Générale » : le montant des pertes (près de 7 milliards avant déduction des gains à fin 2007)), la qualité singulière de la personne morale en cause en raison de son intérêt explicite et de sa connaissance intime des sujets de gouvernance et de contrôle interne –ses présidents successifs ayant signé les rapports Viénot 1 puis Viénot 2 à la fin des années 1990, « Bouton » en 2002), comme des carences de gestion difficilement compréhensibles convergent pour considérer comme exorbitant l’« incident d’exploitation » que représentent les pertes dites « Kerviel ».

Les failles d’une instruction

Pour des raisons maintes fois exposées dans leurs travaux de recherche, les experts du WikiSG(K) considèrent que l’instruction judiciaire n’a pas été menée de façon satisfaisante. Faute de prise en compte des concepts et des connaissances issus des sciences du management, la justice n’a jamais éclairé un point décisif : qui, dans la hiérarchie, pour quelles raisons et jusqu’à quelle date, pouvait ignorer les engagements extraordinaires de J. Kerviel entre mars 2007 et janvier 2008 ?

Il convient en effet de rappeler que,

  • la démission de Daniel Bouton, président directeur général de l’entreprise n’a été effective qu’en 2009, sur fond de controverses liées à un énième plan de stock-options que s’apprêtait à décider l’entreprise ;

  • la démission Jean-Pierre Mustier, plus haut responsable hiérarchique de Jérôme Kerviel à l’époque des faits, n’a eu lieu qu’en 2009, ceci dans le contexte d’une enquête pour manquement d’initié dilligentée par l’AMF au motif de la cession par celui-ci de la moitié de son portefeuille de titres Société Générale le 21 août 2007 ; que cette enquête a conduit la commission des sanctions à infliger une amende sévère à M. Mustier, reconnu effectivement coupable de manquement d’initié ;

  • Frédéric Oudéa, pourtant à l’époque directeur financier (et donc ayant autorité sur le contrôle de gestion) de la Société Générale a été promu au poste de président directeur général dès 2009 puis de directeur général (suite à l’adoption d’une structure de gouvernance sous forme de directoire et conseil de surveillance) ;

  • Christophe Mianné, ancien responsable des activités liées aux produits dérivés est toujours aujourd’hui directeur délégué, Banque de financement et d’investissement et de Banque privée, Gestion d’actifs et Métier titres.

Ces éléments, comme tout le dossier, posent question sur la réalité et la rapidité de la prise de conscience des dirigeants des fautes de management qu’ils auraient pu commettre ou laisser commettre, comme sur la robustesse des systèmes de management et de contrôle qu’ils avaient mis en place.

En ce sens, ne pas discuter de façon approfondie et spécifique le caractère fiscalement déductible des pertes de la banque au motif d’une jurisprudence établie sur des cas beaucoup plus banals pourrait être considéré comme un encouragement donné par l’administration fiscale à prendre des décisions dont des dirigeants éventuellement incompétents et/ou irresponsables n’auront jamais à assumer les conséquences.

Les sciences du management devaient être mobilisées

Cinquante années au moins de recherche en sciences du management conduisent à considérer comme extrêmement fragile l’hypothèse selon laquelle nul n’aurait rien « vu » ou « su » à la Société Générale des engagements pris par l’un de salariés de l’entreprise entre mars 2007 et janvier 2008.

C’est pourquoi les experts du WikiSG(K) voient précisément dans le caractère « exceptionnel » du « cas » Société Générale le motif par lequel l’administration fiscale se doit d’être d’une exigence particulièrement rigoureuse pour faire valoir les droits du contribuable quant à la déductibilité des pertes accordée, en d’autres temps de crise et au vu d’éléments de l’époque, à l’entreprise Société Générale.

L’absence de sollicitation des enseignements de la recherche internationale en management mobilisés notamment par les experts du WIKISG(K) laisse toutefois planer un doute aujourd’hui quant à la volonté ou la capacité réelle de l’administration d’aller jusqu’au bout de cette possibilité : au risque, une fois encore, de laisser à jamais non instruite la question des complicités actives et/ou passives qui ont rendu les « pertes d’exploitation » dites « Kerviel » possibles.

Au risque de la répétition, c’est bien dès août 2007 en effet que la crise financière dite des subprime était connue des meilleurs chercheurs et à n’en pas douter des acteurs compétents de l’industrie financière. C’est à la lumière et dans le contexte de cette connaissance, dont ne pouvaient pas ne disposer les principaux dirigeants d’établissements bancaires du niveau de la Société Générale, que la gestion de l’incident d’exploitation dit « Kerviel » doit être analysée.

C’est ce qu’a rappelé, avec des attendus particulièrement sévères, la Cour d’appel de Versailles le 23 septembre 2016. C’est ce qu’éclaire avec force la recherche internationale en sciences du management, dont on s’étonne une fois encore que les autorités administratives, judiciaires et médiatiques françaises n’aient jamais cru nécessaire et indispensable de solliciter sur ces divers « scandales de mé-connaissance » dans une entreprise moderne d’une telle dimension.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,400 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now