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Des dispositions cognitives peu étudiées pourraient aussi être impliquées lorsque nous choisissons entre plats végétariens et carnés.
Des dispositions cognitives peu étudiées pourraient aussi être impliquées lorsque nous choisissons entre plats végétariens et carnés. Valeria Boltneva/Pexels, CC BY-NC-ND

Peut-on lier rationalité et consommation de viande ?

Comment choisit-on ses plats ? Les préférences alimentaires sont façonnées par de multiples influences biologiques et sociales dont la personnalité des consommateurs.

Des études menées en Allemagne, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande ou en France ont ainsi montré que les personnes marquées par une plus grande curiosité intellectuelle et ouverture d’esprit étaient plus enclines à favoriser une alimentation moins conventionnelle comme l’alimentation végétale. Cet effet n’était pas réductible à leur classe sociale, leurs revenus ou leur niveau d’études.

Des dispositions cognitives pourraient aussi être impliquées, comme le suggère par exemple une étude de 2007 auprès d’une cohorte de 8170 Anglais et qui reliait le quotient intellectuel d’enfants de 10 ans au végétarisme vingt ans plus tard.


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Une étude française

Dans une recherche récemment menée en France, nous nous sommes demandé si le style cognitif ne pourrait pas constituer une dimension psychologique impliquée dans le choix alimentaire de plus de 7 000 adultes.

L’idée sous-jacente était qu’un choix alimentaire minoritaire, le choix végétal, qui est intellectuellement et socialement plus exigeant, nécessiterait des ressources cognitives pour être soutenu. À l’inverse, on pouvait s’attendre à ce qu’en France, une pratique alimentaire omnivore implique moins de réflexion puisqu’elle est essentiellement portée par la culture majoritaire et s’acquiert donc de manière irréfléchie. Comme l’indiquent certaines enquêtes et observations de terrain menées par exemple au Canada, nos choix alimentaires sont souvent la conséquence de préférences acquises sans y penser par immersion culturelle dès le plus jeune âge.

Une étude anglaise publiée en 2015 et portant sur des échantillons d’Américains et d’Australiens montre que beaucoup de consommateurs de viande justifient leur pratique en invoquant les « 4 N » : manger de la viande est considéré comme naturel, normal, nécessaire, et délicieux (en anglais, « natural, normal, necessary, and nice »). Cette représentation culturelle de la viande résulte d’un fonctionnement plus intuitif que réflexif.


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Êtes-vous intuitif ou réflexif ?

Le psychologue et prix Nobel d’économie Daniel Kahneman a popularisé deux modes de pensée que nous mobilisons dans notre vie quotidienne : le mode automatique, qui est impulsif, intuitif et se met en route sans effort, et un mode réflexif, plus lent et intellectuellement plus exigeant, parce qu’il implique des opérations mentales comme le raisonnement basé sur des règles logiques ou mathématiques.

Chacun passe d’un mode à l’autre au cours d’une journée, mais avec des préférences. C’est exactement ce que mesure le test de réflexion cognitive, dont une version brève est proposée ici et qui diffère des tests de QI.

Plus le score à ce test est élevé, plus les individus sont capables de mettre de côté une idée intuitive qui surgit spontanément face à un problème logique et de fournir à la place une réponse analytique, qui s’avère correcte.

La question la plus connue du test est celle de la balle et de la batte de base-ball : une batte et une balle coûtent 1,10€ en tout. La batte coûte un euro de plus que la balle. Combien coûte la balle ? La réponse la plus courante est 10 centimes d’euros. Or, elle est fausse : si la balle coûte 10 centimes, la batte devrait coûter 1,10€, ce qui ferait un total de 1,20€ en tout. La bonne réponse est donc 5 centimes d’euros (une balle à 5 centimes d’euros plus une batte à 1,05€ font bien un total de 1,10€).

Lorsqu’on additionne les bonnes réponses à une série de questions comme celle-ci, on obtient un score qui mesure de manière stable dans le temps un aspect de la qualité du raisonnement logique d’une personne. Cette mesure est souvent reliée au quotient intellectuel, à la compréhension de concepts scientifiques et à d’autres indices de performance cognitive ou même de réceptivité à des croyances fausses.

Que sait-on des liens entre styles cognitifs et alimentation ? Pour l’heure, pas grand-chose, car il n’existe quasiment aucune étude à ce sujet. Parmi les rares travaux publiés, une étude menée en Corée du Sud a révélé que, dans le domaine alimentaire, obtenir un score supérieur au test de réflexion cognitive précité était associé à une plus grande prise en compte des informations nutritionnelles inscrites sur les produits.

Un lien observé entre la pensée analytique et les choix alimentaires

Dans une première étude menée en France, nous avons évalué 6200 participants âgés de 18 à 90 ans issus de milieux sociaux diversifiés, au test de réflexion cognitive. Les participants déclaraient également leurs habitudes et préférences alimentaires de plusieurs manières.

Ils devaient par exemple se positionner dans l’une des catégories proposées (végétarien, omnivore, etc.), en indiquant les aliments qu’ils excluaient de leurs repas. Les participants ont aussi dû répondre à des questions concernant leur adhésion aux représentations de la viande comme étant « nécessaire », « naturelle », « normale » et « délicieuse » (les « 4 N » cités plus haut). Enfin, d’autres paramètres sociodémographiques ont également été pris en compte (tels que l’âge, le genre ou le niveau scolaire), afin de pouvoir mener des analyses en contrôlant leurs effets.

De nombreux facteurs influencent nos comportements alimentaires, comme la sociabilisation, l’éducation, ou encore l’environnement familial. cottonbrostudio/pexels, CC BY-NC-ND

Les résultats ont montré que les participants qui obtenaient un faible score au test – donc dont le style cognitif était davantage « intuitif » que « réflexif » – croyaient davantage que la viande était indispensable à la santé et que sa consommation était normale. Et ce, indépendamment de leur sexe ou de leur niveau d’étude. De plus, ils excluaient significativement moins souvent la viande de leur alimentation.

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À l’inverse, les personnes se déclarant végétariennes obtenaient un score légèrement plus élevé à celui des omnivores au test. Ainsi, plus de 60 % des végétariens avaient une valeur supérieure à la moyenne du groupe omnivore, ce qui indique une inclinaison supérieure pour la pensée analytique chez les végétariens.

Une seconde étude menée en ligne auprès d’un échantillon de 1063 participants rémunérés âgés de 18 à 78 ans a confirmé ce résultat et montré qu’il était indépendant d’autres facteurs psychologiques comme l’estime de soi ou la simple tendance à aimer raisonner, appelée aussi le besoin de cognition.

Nos observations, fondées sur deux échantillons qui totalisent près de 7 300 participants, suggèrent donc que les styles cognitifs sont liés à notre manière de nous alimenter, et notamment à une préférence pour des aliments plus durables et plus sains.

Bien sûr, le lien que nous constatons entre la pensée analytique et les préférences pour le végétal ne s’observeraient peut-être pas dans un pays comme l’Inde où l’alimentation carnée n’a pas le statut culturellement dominant qui est le sien en France.

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