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Philosophie : pourquoi respecter le nouveau confinement est gage de notre liberté

Le 24 octobre à Toulouse, pendant le couvre-feu. AFP/Fred Sheiber

Il est des situations où il est urgent de désobéir : la philosophe Hannah Arendt l’a suffisamment montré à propos de ce qu’elle a appelé « la banalité du mal » au sujet du procès du nazi Adolf Eichmann. Eichmann s’est défendu dans son procès à Jérusalem en 1961 d’avoir fait le mal, en soulignant qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres. Il faut parfois désobéir aux ordres, quand la « monstruosité » consiste à obtempérer.

Il est des situations où il est en revanche urgent d’obéir. Il est très français de désobéir pour désobéir, ou de râler contre l’État « par principe ».

Le gouvernement français a instauré un nouveau confinement avec la fermeture des commerces « non-essentiels ». Ceci, et on le comprend bien, au grand dam des professions les plus vulnérables comme le monde de la restauration, devant la crise économique et sociale qui amplifie la crise sanitaire mondiale de la Covid-19. Nous nous trouvons incontestablement au beau milieu d’une deuxième vague de la pandémie.

Continuer, exténués par le confinement du printemps dernier, à vivre comme si de rien n’était contribuerait à répandre et aggraver l’épidémie. On peut bien contester le choix des moyens pris par le gouvernement. Il n’empêche que c’est à lui qu’il revient de gérer autant que faire se peut la situation. Ce n’est pas tel ou tel citoyen qui est amené à prendre les décisions nécessaires à l’évitement d’un nouveau confinement et en tout cas à l’aggravation renouvelée de la pandémie. C’est là le devoir et le droit du gouvernement qui a été librement élu – bien qu’avec le degré d’abstention que l’on sait.

Révoltés par principe

Les contestations contre les décisions gouvernementales témoignent à la fois d’un sain désir de vivre librement, et de sauvegarder ce que l’on pourra sauvegarder des activités économiques et sociales aussi vitales que sont en France les activités des bars et restaurants, et en même temps d’un désir de liberté très français, cabré contre toute forme de considération du bien commun comme tel. Il y a quelque chose de révolté « par principe » dans la posture qui consiste à revendiquer le droit de circuler librement, de penser librement, de se comporter librement, ou encore de ne librement pas mettre de masque. C’est à la fois la noblesse et la limite de l’anarchisme à la française, adossé au sentiment de ce qui fait la valeur de chaque individu, et de la souveraineté de ses décisions.

C’est à la fois plein de bon sens, et ça en manque totalement. Voilà une posture remplie de la valeur de la lutte contre toute oppression, évidemment en particulier politique. Mais en même temps, ce bon sens et ce sens moral se retourne contre lui-même, s’il ne prête attention au fait que se comporter « librement » en situation objectivement grave sur le plan sanitaire, peut avoir comme conséquence la contamination générale de populations à risque dont celles et ceux-là mêmes qui revendiquent leur « liberté ». La revendication de liberté individuelle est dans certaines circonstances inséparable d’une négligence absurde du sens des responsabilités.

Au nom du bien commun

Encore une fois, les moyens choisis par le gouvernement pour lutter contre cette deuxième vague de la pandémie ne sont peut-être pas les meilleurs ou les plus judicieux. Je n’en sais pour ma part rien, et en tout cas pas assez pour juger ceux qui tentent de gouverner pour moi en tant que citoyen. On peut imaginer et revendiquer de mettre en place de véritables moyens démocratiques de décision, des processus par lesquels les citoyens pourraient s’exprimer et faire des propositions sur ce qu’il faut mettre en œuvre dans telle ou telle circonstance, pour tel ou tel objectif. C’est là une question de long terme, essentielle s’il faut réfléchir aux conditions d’un fonctionnement réellement démocratique de notre République. Mais entre-temps, et en situation d’urgence, s’il y a bien au sujet d’une crise comme la crise sanitaire quelque chose à faire, c’est d’abord d’obtempérer, de manière à ce que la pandémie ne l’emporte pas.

Il faut parfois mettre provisoirement de côté la liberté individuelle au profit du bien commun. Cela n’aliène pas la liberté, cela la construit, la conforte, et la solidifie. Il est quelque chose que nous apercevons de moins en moins dans le contexte contemporain d’un individualisme forcené – qui dépasse largement les frontières de la France. Nous sommes, au niveau mondial, sans nous en apercevoir, en train de perdre le sens de toute vie collective comme telle. Cela est pour le moins problématique non seulement pour le caractère collectif de l’existence qui est un caractère proprement humain, mais pour la liberté même. La liberté n’est pas seulement l’indépendance. Elle ne consiste pas à faire ce qui nous chante en totale « séparation » d’avec les autres. La véritable liberté, loin d’être l’indifférence, est celle de construire une vie sensée pour soi-même et les autres, au beau milieu des autres, voire pour eux. Ne serait-ce que si ces « autres » sont nos enfants. La liberté passe tout aussi fondamentalement par le lien que par la souveraineté de décisions prises seule ou seul. Nous sommes en train de l’oublier, et c’est ce qui se manifeste parfois lorsque l’on revendique de ne pas obéir à des décisions certes d’ordre martial, mais qui ont pour but de sauvegarder la possibilité qu’il y ait un « monde » pour nous toutes et nous tous.

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