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Pourquoi la colonisation s’est-elle invitée dans la campagne présidentielle ?

La Place du Gouvernement, à Alger, pendant l'occupation française, en 1899. Wikipedia, CC BY-SA

Depuis longtemps, les pieds-noirs et les anciens harkis attirent régulièrement l’attention des Présidents de la République… à chaque veille d’élection. Ce qui vaut aussi, naturellement, pour les candidats à l’Élysée. La reconnaissance par François Hollande de la responsabilité de la France dans l’abandon des harkis, il y a quelques mois, comme les réactions indignées aux récents propos d’Emmanuel Macron sur la colonisation viennent de le confirmer. Cela rappelle aussi que le passé colonial de la France, guerre d’Algérie incluse, reste pour beaucoup une plaie non cicatrisée. La moindre maladresse peut donc facilement faire souffrir. Emmanuel Macron vient de s’en rendre compte à ses dépens.

Cette histoire complexe a du mal à s’extraire des mémoires meurtries, sans doute parce que de part et d’autre de la Méditerranée, consciemment ou non, elle est encore souvent utilisée à des fins idéologiques. Un siècle et demi après la conquête de l’Algérie et plus de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, il serait temps que la raison l’emporte sur la passion pour discerner les faits de leur reconstruction. On devrait ainsi pouvoir revenir sereinement sur quelques faits souvent déformés, par intérêt parfois, par méconnaissance souvent, comme la réalité complexe de la colonisation, de la conquête sanglante par l’armée des Généraux Bugeaud, Pélissier et Arnaud aux apports positifs des générations de colons.

Une réalité complexe

La colonisation qualifiée récemment de « crime contre l’Humanité » par Emmanuel Macron lors d’une interview en Algérie a déclenché une légitime colère d’associations de pieds noirs. Cette déclaration n’était pas un « coup de com soigneusement préparé » comme l’a écrit Michel Wieviorka. Les excuses spontanées d’Emmanuel Macron invitent plutôt à penser que c’était une maladresse induite sans doute par une réunion dans laquelle des Algériens lui ont rappelé avec émotion la violence de la conquête de l’Algérie, avec « ses enfumades et ses razzias… ». Emmanuel Macron avait du reste répondu alors en refusant une repentance unilatérale, avançant que des Français d’Algérie avaient eux aussi souffert.

La vérité est que la colonisation française se compose à la fois d’une conquête sanglante, d’un système injuste mais aussi d’hommes et de femmes qui ont aimé ce pays et ont apporté des progrès. La colonisation en Algérie ce fut, il faut le reconnaître, des populations enfumées dans des grottes et la répression terrible de toute velléité de révolte comme en 1870 ou en mai 1945.

Si ce n’était pas un crime contre l’Humanité au sens juridique du procès de Nuremberg, ce fut bel et bien une violence barbare contre un peuple et longtemps la négation de sa dignité par le refus de le traiter en égal. Même si c’était alors, hélas, dans l’air du temps : Jules Ferry, Jean Jaurès, Paul Bert et tant d’autres penseurs « humanistes » défendaient la politique de colonisation en la justifiant par la nécessité de répandre la civilisation occidentale. Aujourd’hui, et depuis environ un demi-siècle, tout le monde ou presque condamne le principe de la colonisation en reconnaissant le droit à l’émancipation des peuples, à leur autodétermination et au respect de leur culture.

Mais la colonisation ne peut se limiter à la conquête violente voire sanglante. C’est aussi des générations de femmes et d’hommes, souvent d’origine modeste, venues s’enraciner et qui ont apporté des progrès dans le domaine des transports, de la médecine, de l’agriculture même si l’honnêteté commande de reconnaître que les autochtones en profitèrent moins que les colons. Il n’empêche que même si la cohabitation ne fut pas toujours pacifique, même si des injustices ont perduré jusqu’en 1958, pour les Français de souche européenne, l’Algérie c’était leur pays comme le rappellait en 2002, l’auteur algérien Boualem Sansal :

« En un siècle, à force de bras, les colons ont, d’un marécage infernal, mitonné un paradis lumineux. Seul, l’amour pouvait oser pareil défi… Quarante ans est un temps honnête, ce nous semble, pour reconnaître que ces foutus colons ont plus chéri cette terre que nous, qui sommes ses enfants. »

De même, pour certaines catégories d’indigènes, tels les anciens militaires, les notables, les francisés, la France c’était leur patrie au point que des centaines de milliers d’entre eux sont morts pour elle au cours des deux guerres mondiales ou en Indochine.

Ces deux faces de la colonisation, violence et progrès, ne sont pas l’envers et l’endroit d’un tapis mais ses fils entremêlés et indissociables qui le composent.

Une page sombre de l’histoire

Emmanuel Macron n’aurait donc pas dû parler de crime contre l’humanité et il en a convenu. En revanche, il pouvait dénoncer cette page sombre de notre histoire que fut la conquête de l’Algérie. À condition d’une part de replacer la colonisation dans son contexte de l’époque, d’en signaler comme il l’avait fait dans une interview au Point, à la fois les aspects négatifs et les apports positifs. Beaucoup auraient apprécié aussi qu’il invite les responsables algériens à faire eux aussi leur part de travail de vérité en admettant les massacres de dizaines de milliers de civils après les accords d’Evian de mars 1962, notamment les enlèvements et assassinats de pieds noirs à Oran le 5 juillet et les massacres horribles d’anciens Harkis et leurs familles.

Cette question de la colonisation et en filigrane celle de la repentance a surgi encore lors d’une interview de Benoît Hamon (dans l’émission « On n’est pas couché »). Sans grande surprise, il a condamné la colonisation mais sans évoquer les deux faces de la présence française en Algérie et sans souhaiter que l’État algérien, qui n’est pas un modèle en termes de démocratie et respect des droits de l’Homme, reconnaisse et condamne la violation des Accords d’Evian et son cortège d’atrocités.

Tout se passe donc comme si les Algériens avaient gagné la bataille de la réécriture de l’histoire, imposant à une majorité de politiques français, de gauche notamment, une culpabilisation dont ils ne pourraient se défaire que par une repentance unilatérale. Cette vision est non seulement basée sur une lecture partielle et partiale de l’histoire franco-algérienne mais elle conduit vers un engrenage dangereux. D’abord parce qu’on n’en finirait pas de se repentir. Après l’Algérie, pourquoi pas l’abandon de fidèles en Indochine, la participation à la traite négrière, la Saint Barthélémy, le massacre des Albigeois et tant d’autres ignominies ?

Ensuite parce que si la connaissance historique permet de rendre justice et dignité, ces repentances politiques peuvent au contraire susciter des demandes impossibles de réparation et sécréter ainsi chez les descendants des victimes un sentiment d’injustice voire de haine contre la France. Il ne s’agit pas de nier ou de taire des faits historiques. « Les vérités que l’on tait deviennent vénéneuses », écrivait Nietzsche. Et on constate qu’elles empoisonnent encore notre présent. Mais c’est aux historiens de faire ce travail, pas aux politiques, car les amnisties politiques ne peuvent se faire sur la base d’amnésies historiques.

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