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Pourquoi la loi climat ne rendra pas la commande publique forcément « plus verte »

La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili en conférence de presse le 10 février 2021 après avoir présenté en Conseil des ministres le projet de loi climat. Ludovic Marin / AFP

Promulguée le 22 août 2021, la loi climat et résilience comporte un article 35 relatif à la commande publique responsable. Il propose un ensemble de modifications et de nouveaux ajouts au code de cette commande, apparemment en faveur des sphères sociales et environnementales.

Cinq grandes thématiques se dégagent des modifications induites par cet article :

  • L’obligation de mettre en place des critères techniques environnementaux, des clauses environnementales et des critères de sélection responsables dans les différentes formes de marché (marchés de prestation, partenariats et concession) ;

  • Le durcissement des obligations liées au schéma de promotion des achats publics socialement responsables ;

  • L’élargissement des clauses sociales et environnementales, de façon facultative, aux marchés de défense ou de sécurité ;

  • La mise en valeur de l’insertion par l’activité économique et du rôle de la commande publique dans le retour à l’emploi des publics fragiles ;

  • La possibilité d’exclure du processus de passation des offres un prestataire n’ayant pas honoré la production de son plan de vigilance quand celui-ci y est soumis par la loi sur le devoir de vigilance.

Si a priori cette législation semble changer de nombreuses pratiques pour les acheteurs dans les collectivités locales, plusieurs limites sont à souligner.

Les clauses environnementales, déjà obligatoires

Tout d’abord, les clauses environnementales existent déjà depuis 2007, et sont devenues obligatoires dans les marchés de travaux avec la loi transition énergétique pour une croissance verte.

L’ensemble des clauses obligatoires liées à l’environnement sont déjà catégorisées par le gouvernement comme clauses environnementales.

Ainsi, l’atteinte d’objectifs quantitatifs en nombre de clauses environnementales pourrait correspondre à une recatégorisation de clauses aujourd’hui considérées seulement comme obligatoires en clauses environnementales.

Par exemple, l’obligation de traitement des déchets générés lors des marchés de travaux, qui est légalement considéré comme une clause environnementale, est rarement considérée comme telle lors d’entretiens menés avec des acheteurs des collectivités locales. Ainsi, sa requalification en clause environnementale pourrait permettre d’atteindre des objectifs quantitatifs, s’ils sont calibrés pour correspondre uniquement à cette requalification.

Des critères sociaux et d’emploi, sauf si…

L’un des éléments les plus ambitieux de la loi est la possibilité de considérer dans les conditions d’exécution du marché, des aspects relatifs au domaine de l’emploi ou au domaine social.

Malheureusement, il apparaît fortement limité. Ces considérations demeurent d’une part à la discrétion des acheteurs, même si ces derniers doivent justifier de ne pas en tenir compte. Par ailleurs, cette « prise en compte » n’est pas obligatoire si le besoin peut être satisfait immédiatement ; si les liens entre les critères sociaux et d’emploi et l’objet du marché sont insuffisants ; si l’application de ces critères engendre une distorsion de la concurrence ou des complexités économiques ou pratiques dans le fonctionnement du marché ; et s’il s’agit d’un marché de travaux d’une durée inférieure à six mois.

Ainsi, les exceptions à la mise en place des clauses et des critères relatifs aux domaines du social ou de l’emploi sont nombreuses. Par ailleurs, les critères d’emploi et sociaux, s’ils sont rattachés au fonctionnement de l’entreprise, seront nécessairement considérés comme éloignés de l’objet du marché

Ce faisant, la législation ne propose finalement que de développer les clauses sociales existant dans les marchés publics depuis les années 1990.

Le devoir de vigilance, motif d’exclusion ?

L’autre innovation majeure apportée par cette législation est la liaison de la commande publique et de la loi sur le devoir de vigilance. Cette dernière impose aux sociétés de plus de 5 000 salariés directs ou indirects (filiales) dont le siège social est situé sur le territoire français, ou à celles de plus de 10 000 salariés directs ou indirects dans l’Hexagone (dont le siège est hors de France) d’établir un plan de vigilance.

Ce plan comporte des mesures de vigilance « raisonnable » relatives aux actions de l’entreprise, de ses filiales directes ou indirectes, de ses sous-traitants et de ses fournisseurs.

Devoir de vigilance pour les grandes sociétés françaises (France 24, 3 janvier 2018).

L’objectif est de limiter les atteintes graves, qui pourraient résulter des actions susmentionnées, aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes, ainsi qu’à l’environnement.

La loi climat et résilience permet d’écarter du processus d’attribution des offres une société n’ayant pas rempli son devoir de vigilance l’année courante ou précédant le processus de sélection des offres.

Le droit de la concurrence avant tout

Cependant, il est interdit d’écarter un prestataire si cela entraîne un risque de distorsion de concurrence ou des complexités économiques ou pratiques dans la réalisation du marché.

Concrètement, cela signifie que dans un processus d’appel d’offres, si uniquement deux prestataires soumis à la loi sur le devoir de vigilance se positionnent, que l’un l’a honoré et l’autre non, l’acheteur ne pourra pas écarter le prestataire qui n’est pas en règle, car cela reviendrait à une distorsion de concurrence.

Par ailleurs, les très grosses sociétés – qui sont les seules à être contraintes à ce devoir – se placent principalement sur des marchés de grandes tailles pointés pour être très peu concurrentiels.

Ainsi, la possibilité d’écarter une entreprise n’ayant pas répondu à son devoir de vigilance semble difficile à mettre en œuvre sans risquer immédiatement la distorsion de concurrence.

Le critère du prix continue de primer

Enfin, à la lecture de l’ensemble de l’article 35 de la loi climat et résilience, on comprend que les critères sociaux et environnementaux sont systématiquement soumis aux impératifs de non-distorsion de la concurrence et de « bonne gestion » des deniers publics.

Ces deux conditions se traduisent dans la pratique par une tendance des acheteurs à favoriser le critère prix au dépit des critères sociaux et environnementaux afin d’assurer la solidité juridique des achats publics.

Le meilleur exemple est sûrement la création de l’article L. 3-1 du code de la commande publique, qui conditionne la poursuite d’objectifs de développement durable à l’application des règles de concurrence et à la bonne gestion des deniers publics.

Des effets très circonscrits

Ainsi, si la loi climat et résilience semble plutôt audacieuse sur le papier, ses effets risquent, dans la pratique, d’être limités par les exceptions nombreuses à l’introduction de conditions d’exécutions sociales ou liées à l’emploi. Mais également par le fait que les critères sociaux, environnementaux ou liés à la loi sur le devoir de vigilance soient soumis aux règles de concurrence.

Et enfin par le conditionnement de la poursuite d’objectifs de développement durable au respect des règles de concurrence et à « une bonne gestion » des deniers publics (qui n’est pas définie, mais renvoie généralement dans la pratique à la diminution des dépenses publiques).

Notons également la suppression entre la publication de la loi et son projet de l’obligation d’utilisation de 25 % de matériaux biosourcés dans les marchés de travaux et la liaison des clauses environnementales et sociales dans une perspective d’approche systémique du développement durable.

La loi climat et résilience s’inscrit donc indéniablement, dans son article 35, dans une forme de soutenabilité faible du développement durable.

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