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Projet de loi de finances : la fausse bonne idée d’une taxation des rachats d’actions

Illustration d'un cours de bourse
Le député MoDem Jean-Paul Mattei propose de « mettre en place une taxe sur les programmes de rachats d’actions à un taux de 1 % de l’opération ». Rawpixel, CC BY-SA

Dans le cadre de la discussion parlementaire du budget 2024, le chef de file des députés MoDem, Jean-Paul Mattei, a remis sur la table une proposition d’amendement qu’il avait déjà formulé l’an dernier. Il plaide pour taxer davantage les opérations de rachats d’actions, ces mouvements financiers par lesquelles les entreprises rachètent leurs propres actions sur le marché.

Dans l’exposé des motifs de son amendement, Jean-Paul Mattei note que :

« les rachats d’actions […] ont considérablement augmenté en France et à l’international ces dernières années et ont quasi doublé sur un an. »

C’est ainsi que le MoDem souhaite :

« Mettre en place une taxe sur les programmes de rachats d’actions à un taux de 1 % de l’opération et qui serait acquittée par les entreprises procédant au rachat. Seules les entreprises cotées dont le chiffre d’affaires excéderait 1 milliard d’euros seraient concernées par cette taxe. »

Pour justifier cette nouvelle taxation des actionnaires, il est affirmé que :

« Ces opérations servent dans les faits en grande partie des objectifs de court terme : rémunérer les actionnaires en complément du versement de dividendes, soutenir le cours de la bourse ou encore augmenter le bénéfice par action. »

Or, rien de tel n’est malheureusement exact.

Eviter des investissements non rentables

Premier point contestable : racheter ses actions n’est pas forcément faire preuve de court-termisme. En effet, il peut arriver qu’une entreprise dispose de trop de liquidités en trésorerie et qu’elle n’ait pas forcément d’opérations d’investissements rentables à faire. Il s’agit souvent d’entreprises matures dont les opportunités d’investissements ne lui paraissent pas créatrices de valeur.

Dans ces conditions, rendre l’argent aux investisseurs qui le souhaitent n’est pas forcément une preuve de court-termisme, bien au contraire. Le rachat d’action peut dans ce cas éviter de se lancer dans des projets d’investissements destructeurs de valeur.

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Autre argument réfutable : les rachats d’actions n’enrichissent pas les actionnaires. On pourrait penser qu’en réduisant le nombre d’actions en circulation, cette pratique augmenterait la valeur des actions du fait de l’augmentation mécanique du bénéfice par action (BPA). Or, il ne suffit pas d’augmenter mécaniquement le BPA (du fait d’un nombre d’actions réduit) pour créer de la valeur actionnariale.

En effet, cette opération, strictement inverse à l’augmentation de capital en numéraire, ne constitue pas un enrichissement des actionnaires. Si cela était le cas, il faudrait considérer que l’augmentation de capital représente une opération destructrice de valeur pour les actionnaires. Bien sûr, il n’en est rien : contre un apport de cash, les actionnaires reçoivent des titres. Dans le cas du rachat d’actions, les actionnaires reçoivent du cash contre leurs actions.

Les rachats d’actions ne créent pas de valeur (Michel Albouy pour Xerfi canal, 2020).

Mais attention, l’augmentation de capital ne sera créatrice de valeur que si les fonds récoltés sont investis dans des projets d’investissement à valeur actuelle positive (rentabilité supérieure au coût du capital). Inversement, le rachat d’actions sera créateur de valeur, si au lieu d’investir le cash dans des projets non rentables, il est rendu aux actionnaires.

Le député explique également que les rachats d’action permettent de soutenir le cours de bourse. L’idée derrière cette affirmation est que l’entreprise créerait un courant acheteur qui va valoriser le titre. Encore une fois, la recherche en finance montre qu’il n’en est rien. C’est un peu comme les États qui croient qu’en rachetant leurs devises sur les marchés, ils vont soutenir le cours de leur monnaie. Malheureusement dans ce cas, la valeur de la devise va s’ajuster en fonction des fondamentaux de leurs économies, comme pour les actions qui dépendent in fine de la valeur de l’entreprise. Si celle-ci diminue du montant des rachats et des dividendes versés, sa valeur s’ajuster en conséquence.

Une vision limitée de la finance en entreprise

Pour les tenants d’une fiscalité accrue des dividendes et des rachats d’actions se trouve non seulement l’idée que ces versements enrichissent indûment les actionnaires mais également l’idée que ces versements se feraient à l’encontre de l’intérêt de l’entreprise, de sa croissance et de ses salariés.

L’idée que les rachats d’actions conduiraient à réduire le montant des investissements revient à dire que les entreprises seraient soumises à un rationnement du capital et qu’elles devraient donc amputer leurs budgets d’investissements pour satisfaire l’appétit des actionnaires.

Cependant, cette affirmation ne tient pas si on considère les niveaux extrêmement élevés des trésoreries des grandes entreprises. Cela est bien renseigné par la recherche en finance.

Enfin, le dividende et surtout les rachats d’actions permettent de limiter l’accumulation de liquidités et donc de réduire les marges discrétionnaires des dirigeants qui, selon la théorie de l’agence, peuvent ne pas toujours investir dans l’intérêt de leurs actionnaires.

Au bilan, les dividendes et les rachats d’action constituent des moyens de réallocation du capital dans l’économie, des outils de gestion financière des entreprises, et non un enrichissement net des actionnaires au détriment de l’entreprise. Dans ces conditions, faut-il vraiment taxer encore davantage les entreprises via ce levier ?

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