Du 7 février au 12 mars 2022, la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) – réseau qui fédère l’ensemble des acteurs de l’agroécologie dans ce pays d’Afrique de l’Ouest – a entrepris d’aller à la rencontre des agriculteurs et agricultrices dans les différents terroirs.
Aujourd’hui, la caravane DyTAES explore le Nord-Sénégal, une zone aride où agriculture et élevage pastoral coexistent de plus en plus difficilement.
L’agroécologie pourrait-elle ouvrir de nouvelles perspectives aux acteurs de la zone ?
Cap sur la zone pastorale du Ferlo
Après une étape dans la zone maraîchère des Niayes, direction le Nord-Est. À mesure que le convoi progresse, les champs de mil cèdent la place à des savanes sèches parsemées d’arbres chétifs.
Pour la quatrième étape de son périple, la DyTAES s’arrête à Linguère, au cœur du Ferlo, une région sahélienne où les pluies sont rares et incertaines. Le Ferlo est le territoire des Peuls, peuple d’éleveurs semi-nomades qui est parvenu à subsister jusqu’à nos jours grâce au pastoralisme. En saison sèche, les Peuls transhument avec leurs troupeaux sur de longues distances – parfois jusqu’au Mali et en Guinée – pour chercher de l’eau et des pâtures.
Autrefois en phase avec son milieu, ce mode de vie pastoral est aujourd’hui en crise dans un contexte de croissance démographique et de pression foncière : surpâturage, déboisement, brûlis et morcellement du foncier sont autant de facteurs qui déstabilisent l’écosystème du Ferlo et rendent les éleveurs de plus en plus vulnérables.
Ardo Sow, agent de l’ONG Enda Pronat originaire du Ferlo, pointe du doigt un paysage de savane ouverte qui s’étire au loin :
« Quand j’étais enfant, cette zone était une forêt. Je suis triste en voyant ce que nos terres sont devenues. »
Les difficultés des éleveurs transhumants sont exacerbées par le changement climatique. La diminution et l’irrégularité des pluies entraînent une réduction des ressources fourragères et un tarissement précoce des points d’eau. Les éleveurs sont ainsi contraints de faire évoluer leur stratégie, en commençant la transhumance de plus en plus tôt et en allant de plus en plus loin.
L’impossible sédentarisation des éleveurs peuls
Au-delà de Linguère, le bitume s’efface, laissant place à un réseau réticulaire de pistes de sable toutes semblables.
L’équipe locale de l’ONG AVSF qui guide le convoi semble connaître chaque recoin de ce vaste territoire. Les caravaniers s’enfoncent dans la savane en direction du village de Widou, à la rencontre d’une communauté d’éleveurs qui expérimente un mode de vie sédentaire.
Là-bas, depuis des décennies, de nombreux projets ont cherché en vain à sédentariser et intensifier les systèmes d’élevage : parcage, cultures fourragères, amélioration génétique du bétail… les tentatives se succèdent et les échecs s’accumulent. Et pour cause, le pastoralisme ne s’est pas installé ici par hasard.
C’est le déplacement du bétail au gré des pluies qui permet de maintenir des troupeaux dans des conditions climatiques changeantes. Samba Mamadou Ba, président de l’organisation d’éleveurs Adid, nous guide vers une parcelle clôturée, où les hautes herbes jaunies contrastent avec la terre nue piétinée des alentours :
« Nous avons mis en défens cette zone afin de constituer une réserve de fourrage pour que le bétail puisse traverser la saison sèche. »
Une vallée fertile qui irrigue le Sahel
Après 160 km de pistes, la caravane DyTAES atteint la cité de Podor sur les rives du fleuve Sénégal, lieu de sa cinquième étape.
Coincée entre deux bras du fleuve, Podor est l’ancienne capitale du royaume de Tekrour, établi au XIe siècle, au cœur de la région historique du Fouta-Toro. Pendant la période coloniale, la ville est devenue un important comptoir commercial par lequel transitaient la gomme arabique et l’or destinés à l’export.
La vallée du fleuve Sénégal consiste en une bande intensément cultivée qui s’étire depuis l’océan Atlantique vers l’intérieur des terres sur 800 km, le long des frontières mauritanienne puis malienne.
En fin de saison des pluies, le fleuve se retire progressivement, laissant derrière lui des bancs de terre fertile imbibés d’eau. Les sols limono-argileux du Walo retiennent suffisamment d’eau pour alimenter des cultures comme le sorgho, le mil ou le maïs, souvent cultivés en association avec le niébé (une légumineuse qui enrichit les sols en azote). Les parcelles sont fertilisées naturellement par les animaux laissés en vaine pâture dans les jachères.
Ce système de culture traditionnel dit « de décrue » est aujourd’hui en déclin. Depuis les années 1930, il est progressivement remplacé par une nouvelle forme d’agriculture, à la fois irriguée et intensive, qui se déploie dans de grands périmètres aménagés aussi appelés « casiers ».
Les infrastructures hydrauliques – barrages, pompes, réseaux de canaux – sont construites et gérées par une société étatique dont le but est la « mise en valeur de la vallée du fleuve Sénégal ». C’est dans ces casiers que des agro-industriels et des unions d’agriculteurs pratiquent la monoculture à grand renfort de fertilisants et de pesticides chimiques. Ils produisent l’essentiel du riz sénégalais, de l’oignon, de la tomate industrielle, de la canne à sucre et des cultures maraîchères d’exportation, comme la tomate cerise ou le haricot vert.
L’essor de cette agriculture fortement capitalisée s’accompagne de problèmes de pollution, d’une diminution de la fertilité des sols (causée par des phénomènes de salinité, d’érosion et d’acidification) et de tensions avec les autres usagers des ressources naturelles. En particulier, les éleveurs issus de la zone pastorale du Ferlo sont affectés par la réduction des parcours et des couloirs de transhumance.
Les femmes du fleuve ouvrent la voie de l’agroécologie
En marge des zones de monoculture, les caravaniers de la DyTAES ont rencontré des groupes de femmes qui pratiquent l’agroécologie dans des jardins collectifs. Un peu partout aux abords des villages, elles ont fait naître de véritables oasis de vie et de diversité qui contrastent avec les terres desséchées du Walo.
On y rencontre une grande diversité de plantes, bien souvent cultivées en association afin de perturber les bioagresseurs et d’optimiser l’usage de l’eau. Légumes, aromates et plantes médicinales se mélangent dans chaque planche de culture pour former un carnaval de couleurs et de senteurs.
Les parcelles sont quadrillées d’arbres fruitiers ou fertilitaires qui forment une strate protectrice et nourricière au-dessus du sol. Les parcelles sont amendées avec du fumier ou du compost et les traitements phytosanitaires sont limités à l’usage de décoctions à base de plantes (par exemple neem, ail, piment). Les femmes du fleuve ont préféré l’agroécologie à l’agriculture chimique, car elles disent produire d’abord pour nourrir leur famille.
Les prochaines étapes de la caravane nous conduiront dans la zone centrale du Sénégal, où les producteurs de mil et d’arachide s’emploient à protéger leurs arbres afin de reconstruire les parcs agroforestiers traditionnels.
Jean-Michel Sene (Enda Pronat), Laure Brun Diallo (Enda Pronat), Thierno Sall (Enda Pronat), Ardo Sow (Enda Pronat), Mamadou Sow (Enda Pronat), Alice Villemin (Avsf), Cheikh Djigo (Avsf) et Malick Djitté (Fongs) sont co-autrices et co-auteurs de cet article.