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Quelle place à gauche pour Fabien Roussel et le PCF ?

Brétigny-sur-Orge: l'ancien Premier ministre et maire du Havre Édouard Philippe et le secrétaire national du PCF Fabien Roussel lors d'un débat à la Fête de l'Humanité, le 17 septembre 2023. Julien de Rosa /AFP

Au moment où s’achève la 88e édition de la Fête de l’Humanité, le Parti communiste français se trouve dans une situation assez ambivalente : alors que son secrétaire national, Fabien Roussel, bénéficie d’un capital sympathie mesuré dans plusieurs sondages, ses prises de position tout autant que ses choix stratégiques suscitent critiques et interrogations sur la place du PCF au sein de la gauche française.

En la matière l’édition 2023 de la Fête de l’Humanité a été un cas d’école, Jean-Luc Mélenchon critiquant notamment lors de l’émission Backseat l’appel de Fabien Roussel à se mobiliser contre la vie chère devant les préfectures et son refus de participer à la marche du 23 septembre contre les violences policières, tandis que les jeunes de la Nupes reprochaient au leader communiste de refuser l’union aux prochaines élections européennes.

L’étude des deux textes de congrès soumis au vote des adhérents communistes lors du 39e congrès du Parti communiste, tenu à Marseille du 7 au 10 avril 2023 montre que les questions de tactique électorale constituent la principale pierre d’achoppement d’un parti fragmenté en tendances.

La ligne identitaire de Fabien Roussel confortée

De fait, si l’article 8 des statuts du PCF n’autorise pas formellement le droit de tendance -« nous faisons le choix de faire du pluralisme des idées, un droit et un principe de notre mode de fonctionnement. Ce droit ne peut se traduire par une organisation en tendances » –, ils permettent lors des congrès la présentation de textes alternatifs à la base commune de discussion présentée par le Conseil national et autorisent également la création de collectifs ou de réseaux.

Dès lors, les partisans des textes oppositionnels se regroupent en réseau. Au contraire des réseaux thématiques comme le réseau cheminots ou le réseau éducation, les réseaux issus des textes alternatifs constituent des tendances de fait, sinon de droit et maintiennent une activité entre chaque congrès.

Parmi ces tendances, deux lignes opposées s’affrontent. On distingue d’abord une ligne attachée à l’identité du Parti communiste, à son renforcement propre et à son autonomie aux élections que l’on peut qualifier d’« identitaire » ou d’« orthodoxe » même si ces militants ne se désignent jamais comme ça.

Influents dans le Nord, fédération que Fabien Roussel a dirigée, dans le Pas-de-Calais et dans le Rhône, ces militants qui partagent le même « patriotisme de parti » plaident pour un retour aux fondamentaux marxistes et ouvriers d’un PCF dont ils refusent ce qu’ils appellent la « liquidation ».

Face à eux d’autres militants défendent une ligne « refondatrice » prônant un dépassement du PCF appelé à se fondre pour mieux l’irriguer dans un mouvement unifié de la gauche antilibérale, naguère le Front de Gauche, aujourd’hui la Nupes. Cette ligne est incarnée par la députée des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon, le député de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu et une revue comme Regards, dirigée par Roger Martelli, historien et ancienne figure de proue de la ligne refondatrice jusqu’à son départ du PCF en 2010.

Un « parti-citadelle »

La récente thèse de science politique sur le PCF d’Alexis Christodoulou le montre bien à propos de la fédération du Loiret : le PCF est aujourd’hui un « parti-citadelle », fragmenté en tendances irréconciliables, dont les cadres locaux sont de plus en plus souvent des élus ou des collaborateurs d’élus.

Le principal enseignement du congrès de Marseille est cependant la nette victoire de Fabien Roussel, dont le texte d’orientation, « L’ambition communiste pour de nouveaux jours heureux » a obtenu 23 930 voix et 81,92 % des suffrages des 29 212 adhérents qui se sont exprimés tandis que le seul texte concurrent, « Urgence de communisme », plafonnait à 5 282 voix et 18,08 % des suffrages.

Cinq ans plus tôt, lors du congrès de 2018 qui a vu la défaite du texte de la direction nationale porté par Pierre Laurent, quatre textes étaient proposés au vote des adhérents : la base commune de discussion appelant à poursuivre le rassemblement de la gauche dans des configurations variables sans fermer la porte à aucun partenaire, un second texte porté par la tendance des « refondateurs », nostalgiques du Front de Gauche – coalition qui avait su fédérer le PCF, le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et une kyrielle de petites organisations notamment issues du NPA entre 2008 et 2016 – et appelant à un rapprochement plus étroit avec LFI, et deux textes portés par des tendances « identitaires », le premier soutenu par le réseau « Faire vivre et renforcer le PCF » ainsi que par le réseau « Action Novation Révolution » et le second émanant du réseau « Vive le PCF ».


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Au lendemain de l’élection présidentielle de 2017, le congrès de 2018 solde les comptes de la stratégie du Front de Gauche, jugée responsable de l’affaiblissement du Parti communiste et de l’échec électoral des législatives de 2017 sur fond de fortes tensions avec la France insoumise.

Avec 42,14 % des voix pour « le Manifeste du Parti communiste du XXIe siècle », contre 38 % pour le texte de la direction nationale, Fabien Roussel est devenu secrétaire national du PCF sur une ligne de réaffirmation de l’identité communiste avec la promesse de candidatures autonomes du PCF aux prochaines élections.

L’évolution du rapport de forces au sein du PCF (2013-2023). D.Noël, Fourni par l'auteur

Si le score de 2,49 % de la liste de Ian Brossat aux Européennes de 2019 et celui de 2,28 % de Fabien Roussel aux présidentielles de 2022 restent modestes et en deçà des espérances des communistes, la majorité des adhérents du PCF y voit les prémisses d’un redressement du Parti et apprécie la notoriété nouvelle de leur secrétaire national.

Le poids de la majorité « identitaire » qui soutient Fabien Roussel est passé en cinq ans de 42 % à près de 82 % des adhérents communistes ; c’est une victoire sans appel pour Fabien Roussel et une défaite pour ses opposants refondateurs emmenés par Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, alliée à Pierre Laurent et plusieurs des figures de l’ancienne direction nationale.

Le PCF dans la Nupes : quand l’union est un combat

La question de l’alliance ou de l’autonomie du PCF aux élections n’est pourtant pas totalement tranchée et les refondateurs ne ménagent pas leurs critiques sur les prises de position de Fabien Roussel en matière de laïcité ou de violences policières qui iraient à l’encontre de la Nupes et affaibliraient l’alliance électorale créée pour les élections législatives de 2022, comme on a pu le voir cet été à la suite du refus du PCF de signer un texte commun appelant au « rétablissement de l’ordre républicain dans la police » avec les autres partis de la Nupes, au grand dam des refondateurs regrettant le choix du PCF de publier son propre communiqué.

Analysant les relations conflictuelles entre communistes et insoumis qui ont conduit à l’éclatement du Front de Gauche lors de l’élection présidentielle de 2017, Romain Mathieu observait que :

« Le FG est ainsi une marque politique commune à des acteurs qui n’en ont pas la même conception et n’y poursuivent pas les mêmes objectifs. Plus encore, cette construction unitaire n’a jamais été structurée autour du dépassement des oppositions entre acteurs. L’entrée en coalition a conduit à une forme d’institutionnalisation du et par le conflit et de la concurrence entre des partis tout à la fois associés et rivaux ».

L’analyse vaut pour la Nupes confrontée à l’échéance des élections européennes de 2024. La Nupes est une marque politique – pour reprendre ici un terme emprunté à Raphael Llorca ou à Frédéric Dosquet, Valérie Bonnardel et Nicolas Charlet – commune à des acteurs qui n’en ont pas la même conception et n’y poursuivent pas le même objectif. Pour LFI, la Nupes doit préfigurer un mouvement unique de la gauche sur le modèle de Die Linke ou de Podemos, qui ont tour à tour inspiré le Parti de Gauche. La formation espagnole, en particulier, partage avec la France insoumise des références communes aux travaux d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe et s’inscrit dans le même courant du « populisme de gauche ».

Un « cartel ouvert » ?

Le PCF, lui, reste attaché à son indépendance au sein d’une alliance qu’il considère, comme auparavant le Front de Gauche, comme un « cartel ouvert », une position que partagent EELV et le PS désireux de ne pas apparaître comme des supplétifs de LFI lors d’élections qui sont l’occasion pour ces partis d’afficher leurs spécificités pro-européennes.

Dans un « cartel ouvert », il est possible à chacune des formations d’adopter des stratégies d’alliances variables dans le but de mettre en avant sa propre marque politique et de renforcer son organisation. Une telle conception de l’alliance s’oppose frontalement à celle de LFI qui analyse le champ politique issu de la présidentielle de 2022 comme un affrontement en trois blocs rendant nécessaire une unification poussée d’un bloc de gauche présent à toutes les élections derrière un leader issu des rangs de LFI.

L’évolution des effectifs du PCF à travers ses congrès. D.Noël, Fourni par l'auteur

Soucieux de rééquilibrer le rapport de force défavorable issu de la présidentielle de 2022 qui l’a contraint à accepter de ne présenter des candidats que dans 50 circonscriptions, le PCF entend présenter une liste autonome aux élections européennes de 2024 conduite par Léon Deffontaines, l’ancien responsable du MJCF (les Jeunesses communistes), désigné chef de file.

Un retour des communistes au parlement européen où ils n’ont plus de député depuis 2019 serait considéré comme un succès mais le bilan de l’orientation mise en œuvre depuis 2018 se mesurera aussi à l’état de l’organisation communiste : pour l’instant, le PCF a plutôt perdu des adhérents, passant de 49 231 adhérents en 2018 à 42 237 en 2023.

Mettre un terme à l’érosion des effectifs et redevenir un parti de militants qui compte à gauche est l’objectif prioritaire du Parti communiste. Les mois à venir montreront si la voie d’autonomie et de distinction au sein de la Nupes choisie par la direction communiste permet d’y parvenir ou pas.

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