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Séparatisme : un projet de loi et beaucoup de questions pour les services publics

Pour faire face aux « dérives », le président de la République présentait les grandes lignes de son projet de loi sur « les séparatismes », le 2 octobre dernier. Ludovic Marin / AFP

Lors de la présentation du projet de loi sur « les séparatismes », le vendredi 2 octobre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a dressé les contours d’un texte qui sera présenté le 9 décembre en Conseil des ministres.

Si le mot de « séparatisme » a depuis été abandonné dans l’intitulé, le texte vise notamment étendre l’obligation de neutralité, qui existe déjà pour les agents publics, aux salariés des entreprises délégataires d’un service public.

Selon la loi, ces entreprises sont tenues par un contrat « par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé ». Des grandes entreprises comme ADP (anciennement Aéroports de Paris) ou la RATP sont ainsi concernées, mais aussi des petites structures comme des gestionnaires de crèches ou de piscines municipales.

Au sujet de cette extension, certains avancent qu’elle est inutile. Effectivement, quelques règles permettent déjà de se repérer en matière d’application de la neutralité pour les structures qui portent une mission de service public.

Or, plusieurs situations ont fait ressortir l’imprécision de ces critères et leur difficile mobilisation au niveau managérial : l’affaire Baby loup reste à ce jour la plus signifiante. En 2008, l’une des salariés avait été licenciée pour « faute grave » car le port du voile était contraire au règlement intérieur de cette entreprise, une structure privée. Une décision confirmée par la Cour de cassation après plus de cinq ans de feuilleton judiciaire qui estimait que le règlement intérieur était « suffisamment précis au regard du contexte et de l’objectif ».

Zones d’incertitudes

Pourtant, selon la loi, dans les entreprises privées, un principe domine : la liberté de chaque individu de croire, de ne pas croire, mais aussi de manifester sa croyance, y compris dans le contexte de son travail. Ainsi, tout salarié peut en principe se vêtir et agir librement en accord avec ses croyances dans le contexte de son travail, en respectant toutefois les principes d’hygiène et de sécurité, et de bon fonctionnement de l’entreprise.

Dans le service public, le principe de laïcité domine. Depuis 1905, cela signifie une obligation de neutralité des agents à l’égard des usagers d’une part, pour garantir à ces derniers une égalité de traitement, et une obligation de neutralité à l’égard de leur institution d’autre part, pour ne pas perturber le service et sa cohésion. Ce principe de laïcité est donc synonyme de neutralité dans ces services publics (enseignement, justice, police par exemple) mais aussi dans toutes les organisations publiques (transports, énergie par exemple).

Or, dans les deux cas, des zones d’incertitudes persistent, que cherchent à réduire le législateur et/ou les managers.

Loi de 1905.

Dans les organisations publiques, la neutralité pourrait apparaître comme une solution idéale et facile à mettre œuvre. Pourtant, dans son discours récent, le président a évoqué des « dérives ».

Certains travaux évoquent en effet l’existence d’une gestion du fait religieux qui recouvre deux réalités bien distinctes : si les cas sont en majorité mieux gérés par les entreprises, certaines demandes se muent aujourd’hui en revendications.

Le cas des autorisations spéciales d’absences pour fêtes religieuses, qui ne sont autre chose que des jours de congés supplémentaires aux fêtes religieuses chômées pour les agents qui n’appartiennent pas au culte catholique, font notamment l’objet d’un débat en ce qu’il peut créer un sentiment au moins de confusion, sinon d’injustice.

Comment en est-on arrivé à cette situation  ? Nous avions déjà mis en évidence dans un précédent article que l’application du principe de laïcité est soumis à trois hypothèses fortes : sa stabilité, son universalité et l’imperméabilité entre les sphères. Or, dans la réalité, les acceptions de ce principe ont évolué et il n’y a pas d’étanchéité totale entre les organisations publiques et privées : certaines appartenant à la deuxième catégorie peuvent exercer une mission de service public.

Cascade d’attentes

L’enjeu du projet de loi est donc de définir à qui s’appliquera(it) le principe de neutralité dans le cadre d’une délégation de service public. Or, cet enjeu amène une cascade d’attentes. Cela nécessitera en effet de définir encore plus précisément ce que l’on entend par « délégation de service public », d’en définir les contours, mais aussi de distinguer les personnes concernées par ces missions.

Par exemple, un·e salarié·e exerçant une partie de son temps une mission de service public, ne sera-t-il.elle soumis·e que partiellement à ce principe de neutralité ? Et au-delà, cela impliquera de donner une définition et des limites au principe de neutralité, dont la mise en application est souvent moins aisée que prévu.

La RATP fait partie des entreprises concernées par le projet de loi du gouvernement sur « les séparatismes ». Ludovic Marin/AFP

Cette perspective d’évolution juridique pourrait se concrétiser par trois scénarios en fonction du contenu du texte, mais aussi de son adoption et de ses mises en actions par les organisations concernées et leurs managers :

  • une loi de recadrage utile pour fixer des limites à certaines pratiques et éviter que certaines entreprises n’appliquent ou n’appliquent pas la neutralité à tort.

  • une loi qui brouille encore les repères déjà flous proposés par la jurisprudence ;

  • une loi inutile et qui ne ferait pas référence, sur laquelle les administrations publiques ne pourrait donc pas s’appuyer lors des processus de délégation.

Des outils d’accompagnements des entreprises concernées pourraient également s’avérer nécessaires (formations, conseils juridiques, guides pratiques d’études des situations de délégation), et l’incitation à les organiser pourrait venir de la loi. Dans tous les cas, les zones de flou restent trop importantes à l’heure actuelle et seule la présentation du texte rédigé, puis amendé, permettra de laisser envisager l’un ou l’autre des scénarios avec plus de certitudes, selon le degré de précision qu’il fera gagner au corpus juridique préexistant.

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