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Nouvelle victime de Beijing? Le soja américain pourrait être lourdement frappé par les taxes à l'importation. Pxhere, CC BY

Soja américain contre gadgets chinois : les nouvelles victimes de la guerre entre Washington et Pékin

Si les signes de rapprochement entre les deux Corées paraissent positifs, qu'en pense réellement Donald Trump ?

En effet, les mouvements politiques et économiques au sein de la péninsule coréenne pourraient encore plus fragiliser les relations sino-américaines, déjà tendues.

Ainsi que penser des dernières sorties début avril de Pékin menaçant une hausse de 25 % de taxes sur les quelques 50 milliards de dollars de produits américains importés tel le soja ? Et comment comprendre la réplique de Washington prêt à taxer de son côté plusieurs centaines de biens de consommation Made in China ?

Lors d’un entretien avec Henry Kissinger en avril 2013, le tout nouveau président Xi Jinping affirmait pourtant que « l'établissement d'un nouveau type de relations entre les puissances que sont la Chine et les États-Unis nécessite une accumulation de concessions mutuelles ».

Or, depuis l'avènement de Trump à la Maison Blanche la rivalité commerciale entre les États-Unis et la Chine structure désormais la politique étrangère et stratégique de ces pays. Un sérieux objet d’inquiétudes de part et d’autre du Pacifique.


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La balance commerciale entre la Chine et les États-Unis continue de se creuser. En 2017, l’excédent commercial chinois s’élève (selon les douanes chinoises) à 375,2  milliards de dollars.

Or cet excédent continue de progresser (environ 20 % au premier trimestre par rapport au début de l’année 2017), du fait des imposantes capacités commerciales chinoises.

Pékin est aussi le plus gros créancier de Washington avec environ 1200 milliards de dollars de bons du Trésor.

Jeu de Go entre la Chine et les États-Unis. Christophe Chabert, Author provided

Guerre financière

Début avril, Trump martelait que le gouvernement de Xi était « le plus grand manipulateur de devises de tout les temps », et devrait être donc puni. Quelques jours auparavant, lors d’une rencontre de haut niveau avec une délégation du Congrès américain, le Premier Ministre Li Keqiang avertissait que la Chine était «  parfaitement préparée à des contre-mesures, à des ripostes  » face à l'agressivité américaine.

La crise entre Washington et Pékin témoigne d’une lutte pour le leadership entre les deux grandes puissances : d’un côté, les États-Unis durcissent le ton et renforcent leur système de protection face une puissance en plein expansion.

De l’autre, la Chine dissipe l’idée d’une « menace chinoise  » et répond indirectement aux tensions.

Cette situation tendue intervient au moment où la Chine tente de moderniser ses infrastructures financières en misant notamment sur les nouvelles technologies et ainsi de gagner en puissance et en stabilité.

Une perspective que Trump essaye d’enrayer.

Donald Trump et le mot Chine, Huffpost entertainment, 2015.

Pourquoi tant de haine?

Les sanctions américaines sur les produits chinois ont été au coeur de la campagne de Donald Trump, malgré les nombreuses critiques soulignant que ce protectionnisme à outrance servirait avant tout les intérêts du Parti-État chinois.

En 2018 pourtant, dès le 22 janvier, à la veille du Forum de Davos, Trump persiste et annonce une série de sanctions tarifaires et de taxes contre sur les panneaux solaires, les machines à laver ainsi que sur des métaux comme l’aluminium et l’acier, inquiétant un moment les intérêts européens et japonais.

Comme prévu, Pékin a répliqué courant mars en publiant une liste de 128 produits américains qui seraient taxés de 15 à 25 % en cas d’échec de négociations commerciales avec Washington, représentant une perte potentielle de 3 milliards de dollars pour l'état américain. Il s'agit essentiellement de produits agro-alimentaires, tubes d’acier et produits d’aluminium recyclés.

Le 22 mars les États-Unis publient une liste de 1300 produits chinois (d'un montant totalisant environ 50 milliards de dollars) pouvant être taxés à l'importation jusqu'à à 25 %..

Les fleurons industriels chinois tels que Huawei ou ZTE, grands concurrents des leaders américains sont particulièrement ciblés.

Trump menace également la Chine de 100 milliards de dollars de taxes supplémentaires en application de l'article 301 (notamment sur la propriété intellectuelle).

Made in China 2025

Les avancées technologiques, notamment le programme chinois « Made in China 2025 » de modernisation de l'ensemble appareil industriel sont aussi dans le viseur du président américain.

Ce programme a été lancé en 2015 et promu par Li Keqiang. Une [dizaine de secteurs clés de l’industrie sont concernées. « Made in China 2025 » entend fabriquer « maison » des machines-outils, des équipements agricoles, transports, nouveaux matériaux de pointe destinés aussi bien à la construction navale qu'à l’aéronautique.

Le gouvernement chinois investit largement (des subventions, des prêts et des obligations) pour soutenir les entreprises nationales de haute technologie et les encourager à s'étendre à l'étranger.

Cette stratégie industrielle sur 10 ans se déploie par ailleurs dans des villes modernisées (Chengdu, Ningbo, Guangzhou, Wuhan etc.). Elle vise à tisser des partenariats et des coopérations avec l’étranger, pour changer son image de pays-pilleur de propriété intellectuelle et de technologies.

Or les nouvelles règles chinoises exigent des entreprises étrangères un transfert de technologies systématique en échange de l’accès au marché chinois, dans l'optique de développer l'industrie nationale.

Une escalade sous contrôle

Côté américain, Steven Mnuchin, ex-Goldman Sachs, actuel secrétaire au Trésor, soutien de Donald Trump et principal négociateur avec Pékin, temporise pourtant en déclarant que s'il y avait « [des possibilités de guerre commerciale avec la Chine, …) ce n’était pas l’objectif ».

Atelier de fonderie chinoise. Un nombre très importants de produits américains dépendent de la main d'oeuvre chinoise. Pxhere

Les risques d’une escalade seraient en effets trop importants pour ces deux économies si dépendantes l'une de l'autre. Les grandes entreprises américaines ont bien trop besoin de l’assemblage et de la fabrication chinoise. Ce marché représente ainsi environ 20 % du chiffre d’affaires d’Apple, 13 % du chiffre d’affaires de Boeing, 65 % pour Qualcomm ou encore 44 % pour Texas Instrument.

La richesse d'une île

L'autre atout de la Chine face aux États-Unis se situe sur une île.

Hainan (34,000 km², 10 millions d'habitants) anciennement rattachée à la province du Guangdong a été transformée il y a 30 ans en une vaste zone franche (zone économique spéciale). Elle est aujourd’hui au coeur de la nouvelle dynamique économique, financière et stratégique de Pékin.

Le forum de Bo’ao, le « Davos chinois », à peine achevé (mi avril) a ainsi réitéré le besoin de faire de l’île une nouvelle zone d’investissement à destination des pays de l’Asie Pacifique dans le prolongement de l'ambitieuse route de la Soie, à l’intermédiaire entre Hong Kong et Singapour.

L'île d'Hainan veut devenir le nec plus ultra de l'industrie du service et du tourisme. Pixabay

Fort d'un secteur des services modernisé, dont le chiffres d'affaire s'élève à 71 milliards de dollars en 2017, l'île va bénéficier d'investissements importants dans le secteur portuaire, immobilier et touristique (59 pays seront exemptés de visa).

Hainan se veut être une Hawaii asiatique en misant sur ses paysages, ses plages de sables et une ouverture sur la mer de Chine du méridionale.

La modernisation de l'île, son internationalisation et sa position stratégique montre ainsi que Pékin s’approprie le concept « indopacifique  » plutôt américain et prend pied dans une zone courtisée par les quatre grandes démocraties de l’architecture régionale du « Quad » (Quadrilateral Defence Coordination Group) (Japon, Inde, Australie et États-Unis).

Ce groupe - qui vise à une coordination des efforts de sécurité dans la zone- tente par ailleurs de limiter la montée en puissance de la Chine en Asie-Pacifique.

Mais les tentatives semblent frêles et vaines face par exemple au récent déploiement de l’armada chinoise (48 navires) en mer de Chine du Sud, zone hautement contestée à l'international et en particulier par les États-Unis.


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Par ailleurs, Xi Jinping continue de titiller Trump. Il a ainsi récemment devancé l'entrevue du président américain avec Kim Jong-Un, le dirigeant nord-coréen, en invitant ce dernier à Pékin.

Concessions réciproques

Malgré une escalade complexe la crise pourrait cependant s’achever par des concessions réciproques.

D'une part, les menaces, tensions et blocages américains s'avèrent inefficaces (dégradation du climat des affaires) et n'empêche pas la stratégie d’internationalisation de la monnaie chinoise.

D'autres part des négociations discrètes avec les États-Unis comme récemment sur l’achat de semi-conducteurs américains et l’abaissement des droits de douane pourraient peu à peu confirmer le leadership chinois et finir d'évincer complètement l'UE de négociations qu'elle subit des deux rives d’un Pacifique lointain.

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