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Squares, parcs : des aires de jeux d’enfants (mal) pensées par les adultes

Deux petites filles jouant à la marelle
Les enfants préfèrent souvent organiser ou inventer leurs jeux plutôt que d'utiliser les aires préfabriquées des squares. Shutterstock

Les squares et les parcs publics intègrent de plus en plus d’aires de jeu aménagées. Mais celles-ci correspondent-elles bien à la manière dont les enfants jouent ?


Les squares et parcs publics intègrent de plus en plus souvent des aires collectives de jeux. Mais ces équipements normalisés sont-ils vraiment adaptés aux usages et attentes des enfants ? On peut en douter, à en croire les nombreux accidents relatés par la presse.

En France, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes note d’ailleurs que : « L’aire de jeu est un espace où l’enfant fait l’apprentissage du risque. Cependant, les risques liés à une mauvaise conception des équipements et de l’aire ou à leur mauvais entretien ne sont pas acceptables. Tous les ans, pourtant, plusieurs enfants meurent sur une aire de jeux à cause de la défectuosité des équipements ou des sites. Tous les ans aussi, plusieurs centaines d’enfants y sont victimes d’accidents graves nécessitant une hospitalisation. »

Les risques évoqués comprennent des blessures, des chocs, des chutes, des écrasements, ce qui entraîne une course à la sécurisation et une réglementation de plus en plus draconienne.

Pourtant, au-delà du contrôle nécessaire des équipements, ne faudrait-il pas aussi interroger leur bien-fondé ? L’observation patiente du comportement des enfants, ainsi que plusieurs séries d’entretiens avec eux ou avec leurs parents, font en effet ressortir que ces aires ne sont pas la réponse la plus évidente aux besoins des plus jeunes.

Par le jeu, apprivoiser la texture singulière des objets

Les enquêtes ethnographiques indiquent que, dans les parcs publics, l’attention des enfants n’est pas forcément attirée par les modules de jeux imaginés par les adultes à leur intention. Ils sont plutôt intéressés par des objets matériels très simples. Dès que cela leur est possible, ils aiment manipuler des bouts de bois, des cailloux ou des déchets divers dont la texture singulière les attire.


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L’absence de tels éléments, aux abords des aires de jeu normalisées, semble les priver de nombreuses sources de plaisir. En particulier, les sols souples amortissants en granulats de caoutchouc imposent un paysage indifférencié qui ne correspond pas du tout à ce que les enfants recherchent. Ces derniers s’aventurent souvent en dehors du terrain qui leur est réservé pour retrouver un sol plus diversifié.

Dans Le Trésor des jeux provençaux, l’instituteur et ethnologue Charles Galtier avait bien montré comment l’usage d’éléments de l’environnement immédiat contribuait à construire la personnalité des enfants dans les sociétés traditionnelles. Dans ses collectes, cet auteur signalait par exemple l’usage d’écorces de platane, de coquelicots ou de noyaux de certains fruits.

Petit garçon arrangeant des feuilles sur le sol en forêt pour faire un dessin
Dès que cela leur est possible, les enfants aiment manipuler des bouts de bois, des cailloux ou des déchets divers dont la texture singulière les attire. Shutterstock

L’auteur montrait comment toute une série de jeux enfantins était basée sur l’utilisation de bouts de papier, de petits morceaux de ficelle, de menue monnaie ou de boutons. Enfin, plusieurs jeux utilisaient de la terre ou des pierres, y traçant des figures pour jouer à la marelle ou s’en servant de repères pour délimiter une aire de jeu.

Les logiques internes de l’action enfantine

Dans une autre étude classique menée par les instituteurs anglais Iona et Peter Opie (1969), il a été démontré que les enfants sont beaucoup plus passionnés par les logiques internes de leur propre action que par les scénarios proposés par des adultes, aussi élaborés soient-ils.

Les composantes du jeu enfantin sont alors commandées par des séquences spécifiques : débuter un jeu en tirant au sort ses coéquipiers, se pourchasser, s’attraper, se chercher, se courir après, se battre, se mesurer, jouer aux devinettes, créer des mondes imaginaires sont de la première importance, tandis que le cadre matériel du jeu importe finalement assez peu aux enfants.


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Par ailleurs, très perméables les uns aux autres, les enfants se transmettent des jeux et des comptines, y compris d’une génération d’enfants à l’autre, de sorte qu’il est possible de parler ici de transmission entre pairs d’une culture enfantine.

Les observations montrent qu’ils sont capables de représenter des scènes empreintes d’un profond symbolisme, par exemple en figurant « les bons et les méchants », ce qui rend compte de leurs capacités à bien saisir très jeunes les schémas structurants et les logiques fondamentales de l’existence.

Valoriser les capacités inventives des enfants

Selon une perspective comparable, Eilis Brady (1975), une ethnologue irlandaise étudiant les jeux d’enfants des rues de Dublin, avait bien perçu leurs étonnantes capacités inventives. Elle notait que les lampadaires, les murs, les parterres d’herbe, les haies ou les escaliers offraient aux enfants des espaces beaucoup plus intéressants que n’importe quel terrain de jeu conventionnel.

Les enfants préfèrent jouer dans des environnements diversifiés plutôt que dans des cours de béton ou sur des sols en granulats de caoutchouc. (Ici, un reportage dans une cour de récréation végétalisée à Strasbourg).

En s’intéressant précisément aux techniques, au matériel, aux gestes, aux façons dont les plus âgés initient les plus jeunes, à la saisonnalité des jeux, cette chercheuse considérait que le plus important était de laisser les enfants jouer librement. C’est essentiel si nous voulons leur donner une chance de devenir indépendants et de développer plus tard un sens de la responsabilité et de l’autonomie, jugeait-elle.

Nos enquêtes menées principalement dans le sud de la France depuis une dizaine d’années ne disent pas autre chose ; elles confirment les résultats de ces études classiques et constatent la relation étroite qui existe entre le jeu en liberté et le développement de la créativité individuelle.

À l’aide des méthodes ethnographiques dont Julie Delalande (2001) a bien montré l’intérêt dans ses études sur « La cour de récréation », nous proposons de sortir d’un point de vue adulto-centré et de prendre en compte le point de vue des enfants, tout en prêtant une attention accrue aux dimensions psychologiques propres à la construction du sujet humain.


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À rebours d’une approche aménagiste qui entend répondre à une supposée demande sociale en multipliant les équipements normalisés, nous suggérons ici une démarche qui appréhende plutôt les jeux comme faits de culture.

Selon cette perspective, les parcs publics sont des espaces de liberté partagée que les enfants doivent s’approprier en fonction de leurs propres normes. Plutôt que de construire des aires de jeux coûteuses qui ne résolvent rien en matière de sécurité et de bien-être enfantin, ne serait-il pas préférable de faire confiance aux enfants, les seuls vrais experts dans la définition de ce que doit être une pratique ludique ?

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