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Des milliers de personnes du front commun syndical sont rassemblées pour manifester, le 23 novembre 2023, devant l'Assemblée nationale à Québec. La Presse canadienne/Jacques Boissinot

Télétravail : Québec doit négocier avec ses fonctionnaires, mais sans données ni études sur son impact

Dans le bras de fer qui oppose à l’heure actuelle le gouvernement du Québec et ses fonctionnaires, il y a un enjeu qui passe inaperçu, mais qui est fondamental : la gestion du télétravail.

Les employés de bureau le réclament, et même les enseignantes lors de leur journée pédagogique.

C’est le Bureau de la négociation gouvernementale qui agit pour le compte du Secrétariat du Conseil du trésor du Québec dans les échanges avec les syndicats. Ce secrétariat a pour fonction de soutenir les ministères et les organismes dans la gestion des ressources dans la fonction publique.

Le Bureau de la négociation gouvernementale doit entre autres décider si le télétravail sera conventionné. Comment ces négociateurs décideront-ils de modifier ou non le nombre de jours de travail au bureau versus à la maison ?

Ils seront pour ainsi dire dans le néant. Car le Bureau ne peut pas compter sur des analyses des ministères ni du Secrétariat du Conseil du trésor du Québec. Il n’y en a pas, et ce malgré le fait que la politique-cadre en matière de télétravail stipule que « la ou le sous-ministre doit évaluer, à intervalles réguliers, l’évolution du télétravail au sein de son organisation ».

Dans ces circonstances, comment négocier en toute connaissance de cause ?

Des décisions prises durant la Cpandémie n’ont pas été revues depuis

Le rendement des télétravailleurs peut s’apprécier par l’atteinte des cibles et mandats qui leur sont confiés ou par des logiciels de surveillance. La première approche est habituellement privilégiée à la deuxième. Comme chercheurs en Administration publique, nous voulions établir un portrait de ces deux approches dans la fonction publique canadienne. Dans une étude actuellement en évaluation par les pairs, nous avons envoyé 166 demandes d’accès à l’information à 88 ministères et organismes des gouvernements du Canada et de cinq provinces. Trente-deux demandes d’accès visaient les directions de ressources humaines et des technologies de l’information de seize ministères du Gouvernement du Québec.

Au Québec, deux ministères ont ignoré les deux demandes d’accès à l’information, même après un an : le ministère des Ressources naturelles et des Forêts et le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. Trois autres ont ignoré les demandes en lien avec le télétravail et le travail hybride, ou la demande au sujet des logiciels de surveillance au travail.

Au Québec, seuls deux ministères ont déployé des logiciels de surveillance sur les postes de travail de ses télétravailleurs, mais seulement pour des essais connus et à petite échelle, avec des volontaires. Le tableau pour les ressources humaines est moins convaincant. Trois ministères ignoraient le nombre de leurs employés en télétravail ! Un seul a été en mesure d’offrir une raison sur le choix du nombre de jours devant être travaillé au bureau. Aucun ministère québécois n’a produit d’analyse sur l’efficacité, l’efficience ou l’équité du télétravail ou du travail hybride. Plusieurs ministères nous ont signalé que le Secrétariat du Conseil du trésor aurait en main de telles analyses. Ils avaient tort.

Nous ne nous attendions pas à ce que des études et des projets pilotes soient mis de l’avant dans l’urgence de l’hiver 2020. Les instances des ministères ont travaillé fort pour maintenir la continuité des services aux Québécois. Néanmoins, des décisions prises dans l’incertitude n’ont pas été revues depuis. De nouvelles embauches ont été effectuées, sans savoir si le niveau global de performance des ministères s’était maintenu.

Le Québec n’est pas seul. Le gouvernement fédéral, la Colombie-Britannique, l’Ontario, l’Île-du-Prince-Édouard font à peine mieux, ou sont sensiblement dans la même situation.

Terre-Neuve ne gère pas dans le brouillard

Cependant, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a évalué le travail hybride et à distance de ses employés.

Au ministère de l’Enfance, des personnes âgées et du Développement social, deux unités ont sélectionné 42 employés afin d’examiner leurs performances en matière de télétravail à temps plein, par rapport aux données de référence antérieures à la pandémie. Une unité a montré des performances accrues en mode télétravail par rapport à la base de référence en personne, et l’autre unité a montré des résultats mitigés.

Le Secrétariat du Conseil du Trésor de Terre-Neuve-et-Labrador a mené un projet pilote au sein d’un service informatique. Les 313 employés de ce service ont participé à un cycle d’une semaine au bureau, deux semaines à la maison pendant une période de six mois, et ont mesuré la productivité en fonction du nombre de demandes traitées par mois, du nombre d’heures de travail, du nombre d’évènements indésirables, ainsi que de la satisfaction des employés.

Ces données ont été comparées à celles des deux années précédant l’étude pilote. Les résultats n’indiquent aucun effet observable du télétravail sur la performance. Enfin, le ministère de l’Éducation de cette province a également mené une étude pilote de six mois en 2022 au sein de sa division des services financiers aux étudiants. Quinze postes principaux travaillaient à distance et 22, au bureau. On a mesuré les résultats en termes de respect des normes de service, d’expériences des étudiants, d’utilisation des heures supplémentaires et de commentaires de la direction et du personnel.

À moins que la négociation ne s’éternise, il pourrait être difficile pour les analystes du Secrétariat du Conseil du trésor du Québec d’offrir rapidement au Bureau de la négociation gouvernementale des arguments probants quant aux modalités du travail hybride et du télétravail pour les fonctionnaires qui en bénéficient.

Il n’y a pas de doute que de travailler à la maison est populaire chez les fonctionnaires. Il facilite la vie des parents. Il dégage du temps pour les proches aidants, dont la majorité de femmes qui travaille dans le service public. Néanmoins, la performance du télétravail est tenue pour acquise par la partie patronale, sans preuve à l’appui, allant à l’encontre de la politique du gouvernement du Québec.

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