Dans son « projet de loi pour une école de la confiance », le ministère de l’Éducation nationale vient de préciser sa réforme de la formation des enseignants, qui devrait être mise en œuvre dès la rentrée 2019. La nécessité d’une réforme ne fait aucun doute tant les futurs profs sont aujourd’hui mal préparés aux missions qui les attendent. Ainsi, les deux tiers des lauréats du concours de recrutement se retrouvent d’emblée en alternance dans des classes, sans être suffisamment épaulés face aux difficultés du terrain, comme nous le rappelions dans un diagnostic de la situation publié l’an dernier.
Mais les propositions du ministère sont-elles à la hauteur du défi ? Car, faut-il le rappeler, le recrutement et la formation des enseignants sont des enjeux politiques majeurs face aux mutations majeures que vit l’école aujourd’hui. La question scolaire est la question sociale du XXIe siècle.
Professionnaliser les cursus
Le projet prévoit de pré-recruter les professeurs dès la L3 (troisième année d’université). Après les Écoles normales et les Instituts de formation des maîtres (IUFM), remplacés en 2013 par les ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), voici venus les « Instituts nationaux supérieurs du professorat ». Les directeurs de ces nouveaux instituts, au nombre de 13 contre 32 ESPE aujourd’hui, seraient sélectionnés par des comités pilotés par les recteurs.
Le projet prévoit aussi de renforcer dès la rentrée 2019 dès la rentrée 2019 le cadrage par l’employeur (l’Éducation nationale) des contenus et volumes des masters « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF) – portés par les universités et dédiés aux futurs profs. La formation des stagiaires serait réservée à des formateurs eux-mêmes en responsabilité de classe.
Récemment, la Cour des comptes avait d’ailleurs appelé à renforcer la professionnalisation de ces cursus encore trop centrés sur des compétences disciplinaires. Et avec raison, car les connaissances en français, maths, histoire ou encore géographie ne sont que des pré-requis, certes indispensables, mais non suffisants pour répondre aux nouveaux enjeux, supposant des compétences et savoirs en pédagogie, sciences de l’education, sociologie…
Corriger les inégalités
Les réformes successives précédentes ont surtout abouti à la remise en cause du travail des personnels sans vraiment s’attaquer aux racines des difficultés. Comme l’ont mis en évidence les enquêtes Pisa, la France est l’un des pays les moins bien classés en matière d’inégalités sociales. Cela sera-t-il corrigé par ces nouveaux Instituts ?
Si l’école ne parvient pas à lutter contre les inégalités à l’école maternelle et l’école primaire, puis dans le secondaire, c’est avant tout à cause de l’inégalité territoriale. Celle-ci a d’ailleurs été mise en évidence par la tentative de réforme des rythmes scolaires, puisque selon la richesse de la commune les activités périscolaires proposées étaient forts différentes. Avaient plus ceux qui ont déjà plus chez eux ! A l’image de la ségrégation sociale des établissements…
Pour s’engager réellement face à ce problème, l’État devrait reprendre à son compte la pleine et entière responsabilité des écoles maternelles et primaires. Les laisser à la charge des collectivités territoriales, c’est acter qu’il ne sera jamais possible de réguler les inégalités de moyens. La formation des enseignants ne peut changer la donne de ce point de vue.
Revoir les affectations
De la même façon, dans le premier degré, les inégalités de recrutement entre les différentes académies ne se légitiment que par l’histoire. Comme pour les enseignants du secondaire, le concours doit être national et faire en sorte que les affectations soient tirées au sort. C’est la seule solution pour que les meilleurs puissent être affectés sur tout le territoire.
On sait aujourd’hui que les élèves scolarisés en éducation prioritaire ne bénéficient pas d’une qualité d’enseignement identique à celle dont bénéficient les autres. Le temps dédié aux apprentissages scolaires y est notablement raccourci et le recours à des enseignants contractuels et débutants s’est accru sur la dernière décennie. Le système de « points » liés à l’ancienneté pour les affectations transfère mécaniquement les professeurs les plus chevronnés dans les établissements à composition sociale favorisée.
Les primes ne suffisent pas à modifier la ségrégation des professeurs dans les établissements à l’image de la ségrégation sociale des Écoles, collèges et lycées. Seul le tirage au sort pourrait donner plus à ceux qui ont moins. En outre, des modules de préparation aux métiers de l’enseignement depuis le premier semestre universitaire de L1 pourraient drainer de nombreuses compétences vers les concours de recrutement.
Mieux encadrer les stagiaires
Pour que la réforme en cours soit de grande ampleur, encore faudra-t-il que les questions sensibles qui engagent notre vivre-ensemble y soient abordées de front. En ce qui concerne la formation des enseignants, la nouvelle mouture devra garantir une véritable alternance :
avec de vrais tuteurs de proximité formés, reconnus et rémunérés pour leurs tâches d’accompagnement.
avec un investissement de l’employeur qui ne considère pas les stagiaires comme une main-d’œuvre bon marché, mais comme un potentiel d’avenir qu’il faut absolument préserver.
avec une formation des stagiaires basée sur de réelles pratiques pédagogiques innovantes et non sur les cours magistraux d’une forme scolaire dépassée.
avec un éclairage sur les résultats des recherches universitaires pour assurer aux futurs enseignants une solide maîtrise du fonctionnement du cerveau, de l’importance des déterminations sociales, grâce à des savoirs pédagogiques, historiques, psychologiques et sociologiques, intégrés dans les concours autant que dans la formation.
Dans le même temps, il est nécessaire d’avoir une attention fine au contexte d’ensemble. Les personnels du premier et second degré affectés dans les anciennes ESPE doivent avoir une vision claire de leur futur. Si la formation est davantage pilotée par l’employeur Education Nationale, cela ne saurait se faire au prix de l’abandon des compétences de ces personnels.
Les enseignants-chercheurs affectés précédemment dans les ESPE doivent pouvoir trouver une place qui leur permet d’articuler compétences de recherche sur les apprentissages et l’École et implication dans la formation de base trop souvent anecdotique en ce qui concerne les disciplines fondamentales. Le pilotage des formations doit clairement s’appuyer sur les compétences attendues des enseignants. La formation des enseignants doit se concevoir dans un continuum, en faisant une vraie place à la formation continue, y compris dans le déroulement de carrière.