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Les arbres accumulent des mutations somatiques au cours de leur croissance. Pour les étudier chez des arbres tropicaux, des grimpeurs, dont Valentine Alt ici sur la photo, ont échantillonné différents échantillons au sein de deux arbres (ici l'angélique). Sylvain Schmitt, Fourni par l'auteur

Une nouvelle étude décortique l’origine des mutations génétiques

À l’occasion de la parution dans la revue PNAS de notre article scientifique sur les origines des mutations héritables chez deux espèces d’arbres tropicaux de la forêt guyanaise, plongeons dans le processus fascinant de la mutation. Les mutations sont des modifications accidentelles de l’ADN. Bien qu’accidentelles, les mutations génétiques sont essentielles. En ce sens, la mutation peut même être considérée comme le terreau de l’évolution. Toutes ces modifications contribuent à accroître la diversité génétique des espèces.

Les mutations chez les animaux

Chez les êtres humains, comme chez la majorité des animaux, nous pouvons distinguer deux grands types de mutations : celles qui se produisent sur les lignées cellulaires conduisant à la formation des gamètes (spermatozoïdes et ovules), appelées mutations germinales, et celles qui se produisent sur tous les autres organes, appelées mutations somatiques.

Seules celles se produisant sur les lignées germinales sont héritables chez ces animaux, toutes les autres, dites somatiques, sont donc perdues à chaque génération et n’ont donc aucun impact du point de vue de l’évolution.

Les mutations somatiques peuvent avoir différentes origines, soit environnementales en lien avec l’action d’un mutagène (par exemple les UVs dans le cas des cellules de la peau), soit intrinsèques, en raison d’une erreur lors de la réplication de l’ADN ou de la réparation d’une de ses cassures. Bien qu’échappant aux règles de l’hérédité, ces mutations peuvent avoir des conséquences importantes pour l’organisme qui les porte, expliquant par exemple la survenue de certains cancers.

Les mutations germinales sont extrêmement rares, mais ce sont elles qui comptent au regard de l’évolution. Il a été estimé que le taux de mutations des humains est de l’ordre de 12 mutations par milliard de bases d’ADN par génération, soit environ 75 mutations nouvelles sur l’ensemble du génome en moyenne. Bien que faibles en nombre, ces mutations peuvent être à l’origine de maladies rares très invalidantes voire mortelles chez les enfants, en particulier lorsqu’ils touchent des gènes clés de l’organisme.

Schéma expliquant la différence de transmissibilité des mutations somatiques entre les modèles dits animaux et végétaux, liée à la différenciation précoce (modèle animal) ou tardive (modèle végétal) de la lignée germinale (germen) au cours du développement. Thibault Leroy, Fourni par l'auteur

Les mutations chez les végétaux

Chez la majorité des plantes, en particulier les arbres, l’hypothèse générale est qu’il n’y a pas séparation précoce des lignées cellulaires produisant les gamètes et les autres organes. En effet, la production de tous les organes est assurée par les méristèmes, une population de cellules embryonnaires qui assure la croissance des plantes sur les différents axes de croissance (tronc, branches, racines, etc.). Les cellules reproductives (le pollen et les ovules) sont produites par ces mêmes tissus au bout des axes de croissance, typiquement au niveau des fleurs chez les plantes à fleurs.

La conséquence de cette différenciation tardive des cellules germinales est qu’une mutation se produisant au sein des méristèmes, à un moment donné entre des millions et des millions de divisions cellulaires d’un arbre de plusieurs dizaines de mètres de haut, a in fine une chance d’être transmise à la génération suivante. Par rapport aux animaux, où il n’y a pas que les mutations somatiques non héritables et mutations germinales héritables, les plantes présentent aussi une autre classe : les mutations somatiques héritables. La mutation est d’origine somatique, apparaissant à un moment donné au cours de la croissance de l’arbre, mais dispose d’une probabilité d’être transmise aux descendants.

À la différence des animaux où, étant donné les implications médicales majeures (cancers, maladies rares notamment), la mutation a été plus étudiée, les connaissances sur les mutations des plantes sont très parcellaires. Depuis la publication de la séquence du génome du chêne en 2018, nous savons que ce type de mutation existe, puisque nous avions démontré l’existence de mutations somatiques transmises, en identifiant des mutations somatiques au sein d’un chêne près de Bordeaux et en les retrouvant au cœur du génome des embryons de certains fruits, prouvant ainsi la transmission de ces mutations somatiques à la génération suivante. Ce résultat a ensuite été confirmé par Long Wang et son équipe sur un autre arbre, le pêcher du Tibet. En ce qui concerne l’origine des mutations, leur accumulation et la fréquence de leur transmission, les inconnues restent majeures chez les plantes. Toutefois, différentes hypothèses prédominent.

Sélection des branches à échantillonner dans la couronne du Grignon franc. Hadrien Lalagüe, Fourni par l'auteur

La première hypothèse, qui est relativement intuitive, est que les arbres de par leur besoin en lumière pour la photosynthèse sont exposés aux UVs. Une hypothèse forte est que les UVs sont un agent mutagène important des plantes, à l’image de ce qui est déjà bien décrit de l’impact des UVs sur les cellules de la peau humaine.

La seconde hypothèse fréquemment avancée est que les mutations somatiques héritables offriraient un excès de mutations avantageuses aux plantes. L’idée est que les plantes pourraient acquérir de nombreuses mutations somatiques avantageuses et ainsi s’adapter « en temps réel » à leurs environnements, ce qui pourrait être particulièrement avantageux pour des espèces à très longue espérance de vie. Cette hypothèse particulièrement panglossienne de l’évolution des plantes s’est beaucoup appuyée sur une interprétation des premiers travaux sur les mutations somatiques des chênes. Elle a été très largement relayée par des magazines de vulgarisation scientifique tels que Science & Vie ou Epsiloon, et même par la prestigieuse société botanique de France.

Comme auteurs de l’article sur les chênes, nous avons alerté sur le fait qu’il s’agissait d’une interprétation erronée de nos travaux et que cette hypothèse était peu vraisemblable, par exemple dans un article publié récemment dans The Conversation. Bien que peu vraisemblable, cette hypothèse nécessite néanmoins d’être rigoureusement testée.

La troisième et dernière hypothèse est plus subtile et tacite. Elle nécessite de comprendre qu’un méristème est une population de cellules embryonnaires assurant la croissance des plantes. Au sein de celui-ci, une seule cellule va muter. Au regard de l’ensemble des cellules du méristème, la mutation apparaît donc en fréquence très faible. Ces mutations rares ont longtemps été ignorées par omission ou méconnaissance de la structure des méristèmes et pour des raisons méthodologiques. L’hypothèse tacite était donc que les mutations rares étaient négligeables, notamment pour la transmission à la descendance.

Un pas supplémentaire vers la compréhension du processus de mutation chez les végétaux

Afin de pouvoir tester ces différentes hypothèses, nous nous sommes intéressées à deux espèces tropicales présentes dans la forêt tropicale guyanaise, choisies pour leur importance écologique et économique locale : l’angélique (Dicorynia guianensis) et le grignon franc (Sextonia rubra). Notre étude s’est focalisée sur des espèces tropicales afin de pouvoir mieux étudier le rôle des UVs dans l’acquisition des mutations, puisque les tropiques offrent un fort contraste entre les branches à la lumière, qui sont plus exposées aux UVs, et les branches à l’ombre.

Découverte de l’Angélique collectée lors d’une mission dans le sud de la Guyane. Son tronc ressort au milieu du sous bois dense et ombragé de la forêt tropicale guyanaise. De gauche à droite Saint Omer Cazal, Niklas Tysklind, Ilona Clocher. Sylvain Schmitt, Fourni par l'auteur

Concrètement, nous avons séquencé des feuilles provenant de différentes branches de deux arbres, dont certaines ont poussé vers la lumière, et d’autres à l’ombre. Contrairement à l’attendu sous l’hypothèse d’un effet des UVs, nous n’avons pas observé un plus grand nombre de mutations au sein des branches exposées à la lumière comparativement aux branches à l’ombre.

Les mutations que nous avons observées ne présentent pas de signatures spécifiques aux UVs, contrairement ce qui est décrit dans les cancers de la peau. Ces résultats suggèrent que le rayonnement UV ne serait pas un contributeur aussi important que suspecté dans l’accumulation de mutations chez les plantes. Ces résultats nécessiteront toutefois d’être confortés par de nouvelles études.

Si aucun lien aux UVs n’a été établi, notre étude a permis d’identifier un très grand nombre de mutations somatiques, plus de 15 000 chez l’angélique et plus de 3 000 chez le grignon franc, un nombre bien plus élevé que dans les précédentes études. Ce nombre plus élevé n’est pour autant pas une spécificité des espèces tropicales que nous avons étudiées, puisqu’on a retrouvé des patrons similaires par la réanalyse de données d’espèces tempérées (chênes, hêtre). Ce résultat s’explique par l’utilisation de méthodes d’analyse plus sensibles initialement développées pour de la cancérologie humaine.

Bien que nous ayons pu décrire une plus grande diversité que dans les précédentes études, nous n’avons pas trouvé de soutien pour l’hypothèse d’une adaptation en temps réel des plantes. Au contraire, nous avons observé que les mutations qui changent la structure des protéines, sont observées en plus basse fréquence que les mutations ne changeant pas leurs structures (mutations dites synonymes), un résultat qui suggère que les mutations somatiques sont globalement un fardeau, en d’autres termes, qu’elles sont bien plus souvent défavorables qu’avantageuses pour les plantes.

Enfin, nous avons démontré que non seulement les mutations en forte fréquence chez les deux arbres tropicaux peuvent être transmises à la descendance, comme cela avait déjà été démontré chez certains arbres comme le chêne. Mais nous avons montré que les mutations en basse fréquence peuvent aussi l’être. Or, comme les mutations en basse fréquence sont des milliers de fois plus abondantes que les mutations en forte fréquence, les mutations en basses fréquences seraient de nature à expliquer une bien plus forte proportion des mutations transmissibles des plantes. Cela suggère que ce type de mutation, qui est spécifique aux plantes, pourrait être particulièrement important dans l’évolution des plantes.

Nos travaux, tout autant que d’autres travaux récents, à la fois chez les animaux ou chez les végétaux, permettent de décrire un lien beaucoup plus complexe qu’actuellement supposé entre la croissance des plantes, leur vieillissement et le nombre de mutations, notamment héritables. Nos travaux sont de nature à montrer la subtilité du processus de mutation, et la nécessité de financer et conduire plus d’études fondamentales sur ce sujet.

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