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Chimistes et ingénieurs envisagent d’utiliser de l’hydrogène issu d’électricité renouvelable et du dioxyde de carbone capté sur les usines pour fabriquer le kérosène de demain. Mladen Borisov, Unsplash

Vers la potentielle réutilisation du CO₂ émis par des usines pour faire décoller des avions du futur

La transition vers une société neutre sur le plan climatique est l’un des principaux défis mondiaux, qui s’illustre en Europe avec la stratégie à long terme 2050 et le Green Deal.

Dans le domaine des transports, bien qu’il soit possible de passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables (électrique ou hybride) pour les transports urbains et les voitures particulières, la demande de kérosène reste élevée pour les avions. En effet, à l’heure actuelle, l’énergie solaire, l’énergie éolienne et les batteries ne peuvent pas fournir la « densité énergétique » nécessaire pour les vols long-courriers et assurer la sécurité indispensable du transport aérien. En effet, la densité énergétique de l’hydrogène et des batteries électrochimiques est environ dix fois inférieure à celle du kérosène, et cette faible densité énergétique réduit considérablement le poids utile qu’un avion peut transporter – la majeure partie du chargement étant utilisée pour porter le carburant peu dense en énergie.

En revanche, selon les prévisions, le secteur européen d’aviation devrait augmenter de façon très importante jusqu’au milieu du XXIᵉ siècle une fois la pandémie terminée. Le scénario de référence établi par le Royal Netherlands Aerospace Centre et SEO Amsterdam Economics projette une hausse rapide des émissions du secteur d’aviation après la crise sanitaire, pour atteindre près de 300 Mt CO₂ environ en 2050.

Il reste donc extrêmement urgent de rendre le transport aérien plus écologique et moins émetteur du gaz carbonique. Afin de réduire les émissions de carbone, le gouvernement français a même décidé d’interdire les vols intérieurs courts lorsqu’il existe des alternatives en train.

Créer du kérosène en recyclant le CO₂ émis par l’industrie

Le nouveau projet européen « TAKE-OFF », qui a démarré en janvier 2021, vise à produire du carburant synthétique renouvelable pour l’aviation à partir de CO2 et d’hydrogène (H2). Pour cela, il va falloir acquérir à la fois les connaissances scientifiques et les compétences techniques sur toute la chaîne technologique : depuis le captage du CO2 au niveau d’usines industrielles, jusqu’à la production d’un carburant pour avion plus « vert » et plus durable. Par exemple, l’un des partenaires du projet, la société RWE, teste depuis 2009 une unité pilote de capture de CO₂ sur une partie d’une de ces centrales électriques au charbon avec ses partenaires.

La chaîne technologique démarre avec l’électrolyse de l’eau, qui décompose l’eau en hydrogène et oxygène à l’aide d’énergie solaire ou éolienne, et donc renouvelable. L’hydrogène est ensuite utilisé pour convertir le dioxyde de carbone, capté à partir des émissions de l’industrie en « oléfines » (ou alcènes) légères, typiquement utilisées dans l’industrie chimique pour produire des molécules plus complexes. Les oléfines sont ensuite transformées en kérosène par polymérisation catalytique, c’est-à-dire que l’on combine plusieurs alcènes en hydrocarbures plus longs sous l’action de catalyseurs qui facilitent la réaction.

Le carburant aviation synthétique aurait une empreinte carbone plus faible que le kérosène traditionnel grâce à l’origine non pétrolière de toutes les matières premières.

Ce projet réunit onze partenaires scientifiques et industriels tels que le CNRS, TNO, Mitsubishi, SkyNRG, Asahi Kasei, RWE et d’autres, ainsi que huit utilisateurs potentiels (« end-users ») des technologies développées. Notre équipe CEMOP travaille sur le développement des catalyseurs et des procédés pour la synthèse sélective d’oléfines légères à partir de CO2 et d’hydrogène.

Concept pour la production du carburant aviation synthétique à partir de CO₂ dans le projet TAKE-OFF. Andrei Khodakov, projet Take-Off, Fourni par l'auteur

Comment transformer le CO₂ et l’hydrogène en kérosène

Les oléfines légères, principalement l’éthylène et le propylène, sont largement utilisées dans l’industrie chimique comme sources de divers matériaux polymères tels que le polyéthylène, le polypropylène et bien d’autres. Actuellement, elles sont produites à l’échelle d’industrie par le craquage du naphta, la déshydrogénation des alcanes légers et la transformation du méthanol en oléfines, mais ces technologies conventionnelles coproduisent de nombreux sous-produits : méthane (gaz à effet de serre et difficile à capter), alcanes, hydrocarbures lourds (polluants).

Dans le cadre du projet TAKE-OFF, nous développons de nouveaux catalyseurs « tandem », c’est-à-dire composés de deux parties : le premier composant fabrique le méthanol à partir du CO2 et de l’hydrogène, et le second transforme le méthanol en oléfines légères. Ensuite, dans un procédé catalytique distinct,le kérosène d’aviation est produit par la polymérisation des oléfines légères.

  1. CO2 + H2 → CH3OH + H2O, où CH3OH est le méthanol ;

  2. CH3OH → CnH2n + H2O, où CnH2n est la désignation des oléfines légères.

  3. CnH2n → kérosène

Notre objectif est d’obtenir une « sélectivité » élevée en oléfines légères (c’est-à-dire la tendance à créer la molécule désirée) et de produire une faible quantité de sous-produits inutilisables, tels que le méthane ou les hydrocarbures lourds. Ce procédé sera ensuite dimensionné pour une utilisation à plus grande échelle et intégré à la chaîne technologique complète.

Nos partenaires universitaires et industriels des Pays-Bas, d’Allemagne, du Danemark, de Belgique et nos collègues de l’université de Lille travaillent au développement des autres étapes de la chaîne : production d’un H₂ à partir d’électricité renouvelable par électrolyse de l’eau à l’aide de sources d’énergie renouvelables, polymérisation d’oléfines, tests et validation du kérosène. La coopération avec des partenaires permet d’échanger rapidement les informations et les résultats nécessaires à l’organisation de l’ensemble de la chaîne de production de carburant aviation à partir de CO2. Le projet vise à construire une unité de démonstration pour l’ensemble de la chaîne de production en 2024.

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