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Vie privée et risque d’un « capitalisme de la surveillance », l’oublié des débats sur la 5G

Le déploiement du réseau 5G doit débuter d’ici la fin de l’année en France. F. Muhammad / Pixabay

La rentrée parlementaire du 15 septembre dernier aura été marquée par de vives discussions sur le développement du réseau 5G. Une rentrée d’autant plus « électrique » que le président de la République avait, pas plus tard que la veille, confirmé sa volonté de « prendre le tournant » de la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile.

Emmanuel Macron avait de surcroît tourné en dérision la demande de moratoire d’élus de l’opposition en évoquant des opposants à cette volonté qui préféreraient le modèle « amish » et le « retour à la lampe à huile ».

Emmanuel Macron défend la 5G devant des entreprises du numérique (Ouest-France, 15 septembre 2020).

Si la 5G fait autant débat, c’est qu’elle interroge ! Elle « hystérise » à tel point qu’elle a même été prise en otage pour nourrir des thèses conspirationnistes, à l’image des, contenus sur ses liens supposés avec la propagation du coronavirus.

Cette situation exige de tous les acteurs des réponses étayées, fondées sur des faits, aux nombreuses questions que pose son déploiement sur le territoire national, qui devrait débuter en fin d’année.

De plus en plus d’appareils connectés

Les enjeux autour de la mise en place de la 5G sont en effet multiples. Par-delà les problématiques économiques et géopolitiques, certains s’interrogent notamment des possibles impacts sur la santé.

De manière moins spectaculaire dans les débats, la 5G questionne également sur la vie privée. Ce déploiement ne peut pourtant pas se passer d’une réflexion approfondie sur ses factuelles faiblesses actuelles en la matière et les moyens à mettre en œuvre pour préserver les libertés individuelles.

Dès le 5 mars 2019, le consultant en sécurité Filip Chytrý appelait à la vigilance dans une interview accordée au site Nexpit. Il soulignait que le déploiement de la 5G irait de pair avec une augmentation du nombre d’appareils connectés conjuguée à une centralisation des données de l’utilisateur.

Il pointait que cette technologie surpuissante (jusqu’à 1,4 Gbit/s en téléchargement) allait être en mesure de confier à un seul opérateur (choisi par le consommateur) toutes ses données personnelles.

Fort de ces constats, il s’inquiétait que personne au plus haut niveau ne s’occupe alors d’essayer de « créer un processus et une structure de soutien » pour éviter que le pouvoir ne soit concentré entre les mains de quelques entreprises. Les propos alarmistes de Filip Chytrý ont été corroborés par d’autres (outre-Atlantique) en des termes encore plus alarmistes qui ont engendré des actes forts.

Quelques mois plus tard, en septembre 2019, le projet Waterfront Toronto – « ville intelligente » (smart city) s’appuyant sur la technologie 5G – développé par une filiale de la société mère de Google, Alphabet, a été ainsi sévèrement remis en cause pour ce qui concerne sa politique de confidentialité et sa collecte de données.

Le projet de modernisation de cette ancienne friche industrielle de la ville canadienne prévoyait notamment l’installation de nombreux capteurs, en particulier pour mesurer les déplacements de la population.

« Remplacer la démocratie »

Dans un rapport de 99 pages, un groupe d’experts en technologie avait qualifié le plan directeur du projet de « quelque peu lourd et répétitif » et estimé que ce plan « ne semblait pas placer le citoyen au centre du processus de conception des innovations numériques, comme cela avait été promis au début et qui était nécessaire à la légitimité ».

Dans la foulée, Roger McNamee, l’un des premiers investisseurs des sociétés Google et Facebook, a exhorté les responsables à abandonner le projet en soulignant le risque « de remplacer la démocratie par une prise de décision algorithmique ». Selon Roger McNamee :

« Le projet de “ville intelligente” sur le front de mer de Toronto est la version la plus évoluée à ce jour de ce que la sociologue Shoshana Zuboff, professeure émérite à Harvard, appelle le “capitalisme de surveillance”. »

Une nouvelle forme de capitalisme

Selon Shoshana Zuboff, ce « capitalisme de surveillance », dans lequel les capacités à orienter et à tirer profit de nos préférences personnelles constitueraient le moteur de l’économie, est appelé à remplacer à terme le capitalisme industriel.

Les menaces du capitalisme de la surveillance (Xerfi canal, juillet 2020).

Mais finalement, le 7 mai 2020, le projet de smart city sise à Toronto était abandonné.

Fort de cette expérimentation outre-Atlantique, à l’instar du projet de « ville intelligente », un « pays intelligent » gagnerait dans le déploiement de cette nouvelle technologie à se doter d’un plan directeur pour éviter que ces projets n’évoluent en potentiels outils de surveillance généralisée au service d’une poignée de grandes entreprises. Un plan plaçant le citoyen au centre du processus de conception des innovations numériques afférentes permises par la 5G.


« Avant de critiquer les erreurs d’autrui, prenez le temps de compter jusqu’à dix, dix pour compter les vôtres ! » (proverbe amish)

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