Connaissez-vous le selfie du macaque ? Ceci est une photo d’un macaque des îles Célèbes…une photo un peu particulière puisque c’est un selfie : c’est le singe lui-même qui s’est pris en photo ! En 2011, alors qu’il est en reportage en Indonésie, David Slater, un photographe animalier britannique se fait emprunter son matériel photo par un macaque nègre : l’animal réalise quelques clichés de lui-même. Le photographe, c’est son métier, vend les reproductions du « selfie du macaque » dont l’originalité lui vaut un buzz médiatique. Jusque-là tout va bien. Mais en octobre 2014, un contributeur de Wikipédia importe les images en question sur Wikimedia Commons et indique, ce faisant, qu’elles sont dans le domaine public.
Wikipédia est en effet publiée sous licence libre, c’est le troisième des cinq principes fondateurs. Et cela vaut aussi pour la médiathèque en ligne Wikimedia Commons, dont les images, vidéos et sons, sont publiés sous des licences libres.
Cette banque d’images collaborative peut faire émerger des questions juridiques et politiques complexes : Le Monde, la BBC, Time Magazine ou encore The Guardian se penchent sur une question épineuse et quelque peu insolite : un animal peut-il détenir des droits d’auteur ?
L’agence photo de David Slater réclame à la Wikimedia Foundation, hébergeur de Commons situé aux États-Unis, la suppression des photographies ou le paiement de droits d’auteurs. La Fondation refuse. S’engage en parallèle un débat entre contributeurs et contributrices de Commons sur le détenteur du copyright : est-ce le photographe animalier, qui n’a certes pas pressé le déclencheur, mais qui a préparé la séance photo, auquel cas les clichés doivent être supprimés de la médiathèque libre ? Ou bien le macaque est-il le seul auteur des images, ce qui signifie qu’elles n’ont pas de copyright et sont dans le domaine public, car un animal n’est pas une personne morale ?
De nombreux avocats ont des avis divergents, surtout que certains invoquent le droit américain, et d’autre le droit britannique.
Après plusieurs propositions de suppression, largement commentées par la communauté de Commons, les photographies sont conservées en l’attente d’une décision officielle du bureau américain du droit d’auteur : en décembre 2014, celui-ci annonce finalement que les photographies prises par des êtres non-humains ne sont pas soumises à un copyright. Une ultime discussion entre contributeurs, en février 2015, valide le maintien des photos, dans le domaine public, sur Wikimedia Commons.
Aujourd’hui, tout le monde peut avoir le plaisir d’admirer les clichés du macaque sur Wikipédia, que ce soit Wikipédia en français, en anglais…et depuis n’importe quel pays : pour cela, il aura fallu qu’un tribunal américain tranche une question de droit d’auteur complexe.
Pourtant, en 2016, l’affaire rebondit : l’organisation de défense des animaux PETA a attaqué en justice afin de revendiquer les droits des photos prises par le singe, en invoquant que l’association représente ses intérêts. Le tribunal de San Francisco l’a déboûtée, mais les procès concernant le « selfie du macaque » ne sont sûrement pas terminés…
Certaines contributions soulèvent des questions juridiques. Mais le selfie du macaque est unique : il montre que les choix politiques, les choix de licences des projets Wikimédia peuvent forcer le monde à changer. En l’occurrence, le monde du droit à été forcé à prendre position sur une oeuvre créée par un non-humain, grâce à Wikimedia Commons.