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Photo d’un homme âgé en tenue d’hôpital en train de regarder pensivement par la fenêtre en se tenant le menton.
Des données récentes font soupçonner que certaines maladies dégénératives liées au vieillissement, dont la maladie d’Alzheimer, pourraient être liées à des problèmes de réparation des cassures de l’ADN. Shutterstock / Ground Picture

Alzheimer : une nouvelle explication généralisable à toute maladie liée au vieillissement ?

Alors que le vieillissement de la population française s’accélère, la maladie d’Alzheimer progresse dans notre pays. On estime qu’elle affecte actuellement 900 000 personnes et, chaque année, environ 225 000 nouveaux cas sont diagnostiqués.

Ces chiffres élevés font de cette pathologie la principale cause de démence sénile d’évolution inexorable. En effet, les traitements disponibles aujourd’hui ne permettent malheureusement pas d’en guérir, mais uniquement d’en atténuer certains symptômes et de ralentir son évolution.

Actuellement, pour tenter de décrypter les causes de la maladie d’Alzheimer, les recherches suivent deux voies majeures, focalisées respectivement sur des mécanismes impliquant deux types de protéines : les protéines amyloïdes et la protéine Tau.

Nos travaux, publiés au mois de juin dernier dans la revue Cells (MDPI), ont permis de mettre en évidence un autre mécanisme pouvant expliquer l’origine de la maladie d’Alzheimer. Notre découverte permet d’envisager de nouvelles façons de la diagnostiquer et ouvre de nouvelles pistes thérapeutiques. Par ailleurs, ses applications potentielles ne se limitent pas à cette seule affection : elles pourraient aussi concerner d’autres maladies du vieillissement.

Causes de la maladie d’Alzheimer : les hypothèses classiques en difficulté

On sait de longue date que le cerveau des personnes décédées atteintes de la maladie d’Alzheimer présente deux types de lésions : les dépôts amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires.

Les dépôts amyloïdes sont des agrégats extracellulaires composés de protéines amyloïdes. Ces plaques s’accumulent autour des neurones et les empêchent de bien communiquer entre eux. Les dégénérescences neurofibrillaires résultent quant à elles de modifications d’autres protéines, les protéines Tau.

Schéma des conséquences de la modification des protéines Tau au niveau des microtubules des neurones.
Lorsque la protéine Tau est modifiée (hyperphosphorylée), sa fonction est altérée et les microtubules qui assurent l’intégrité des neurones se déstructurent. Zwarck, adapté de NIA-NIH/Wikimedia

En temps normal, les protéines Tau assurent le maintien des microtubules dans la cellule (des sortes d’armatures squelettiques qui assurent la cohésion cellulaire). Mais chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’autres maladies dégénératives (tauopathies), les protéines Tau changent de forme tridimensionnelle par un processus appelé hyperphosphorylation. Cette hyperphosphorylation des protéines Tau conduit notamment à une fragilisation des microtubules des neurones qui, progressivement, meurent.

On a longtemps cru que l’accumulation au fil du temps de plaques amyloïdes et d’enchevêtrements de protéines Tau était responsable des manifestations cliniques de la maladie d’Alzheimer. Toutefois, depuis quelques années, les différents essais cliniques ciblant les protéines amyloïdes se sont révélés très décevants.

Face à cette situation, l’acquisition de connaissances nouvelles à propos des mécanismes biologiques spécifiques à la maladie d’Alzheimer est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. En particulier, pour proposer une nouvelle vision de la maladie d’Alzheimer, il faut retourner aux sources mêmes de cette maladie dégénérative, c’est-à-dire à la gestion du stress dit « oxydatif », qui, s’il n’est pas correctement réduit, conduit au vieillissement accéléré. L’accumulation de plaques amyloïdes et d’enchevêtrements de protéine Tau pourrait en être alors de simples conséquences.

Les résultats récents obtenus au sein de notre laboratoire de recherche, l’UMR 1296 Inserm, s’inscrivent dans ce contexte. Nos données nous ont en effet permis de proposer un nouveau mécanisme moléculaire pouvant expliquer l’origine de la maladie d’Alzheimer. Cette hypothèse est soutenue non seulement par des observations expérimentales cohérentes, mais aussi par une modélisation mathématique.

Au cœur de notre modèle figure une autre protéine, baptisée ATM.

Les cassures de l’ADN, une nouvelle piste d’explication

En tant que radiobiologistes, nous étudions les effets sur le vivant des rayonnements ionisants (les rayons X, les rayons gamma, les particules…), lesquels produisent du stress oxydatif. À ce titre, la protéine ATM revient systématiquement dans tous nos projets de recherche. Elle est en effet une actrice majeure de la réponse à tout stress oxydatif.

Ce type de stress survient lorsque des composés chimiques très réactifs, les espèces radicalaires oxygénées (ou ROS), sont présents dans l’environnement des cellules. Les conséquences d’une telle situation sont potentiellement très graves, puisque le stress oxydatif peut casser l’ADN. Schématiquement, la protéine ATM gère la signalisation et la réparation de telles cassures de l’ADN, qui nous agressent et qui nous font vieillir.

Nos travaux de recherche ont notamment démontré qu’après un stress, dû par exemple à une irradiation, une contamination aux métaux ou aux pesticides, de nombreuses copies d’ATM quittent le cytoplasme où elles sont produites (le cytoplasme est la partie de la cellule qui se trouve entre le noyau – contenant le matériel génétique – et la membrane cellulaire) pour entrer dans le noyau. Là, elles déclenchent la reconnaissance et la réparation des cassures de l’ADN.

Ce phénomène est appelé transit de la protéine ATM. En temps normal, il dure quelques minutes après le stress, et aboutit à la reconnaissance puis à la réparation de toutes les cassures de l’ADN. Toutefois, le transit d’ATM peut se trouver ralenti ou empêché si les protéines rencontrent et s’associent en chemin à d’autres protéines spécifiques, anormalement surexprimées dans le cytoplasme.

Nous avons appelé ces protéines les « protéines X », car elles peuvent varier d’un individu à un autre, d’une maladie à une autre, d’un tissu à un autre. Ces protéines X sont généralement celles qui, par leurs mutations, causent les maladies (quand ces mutations ne font pas disparaître lesdites protéines, mais au contraire, les dérégulent).

Comment le blocage d’ATM provoque des maladies

Depuis 2014, nous étudions au laboratoire des maladies associées soit à une forte prédisposition au cancer, soit à un vieillissement accéléré, mais qui ont toutes un point commun : elles sont connues pour leur réponse anormale à une irradiation.

C’est notamment le cas du syndrome du rétinoblastome, un syndrome familial qui est à haut risque de cancer de l’œil. Causée par la mutation du gène de la protéine Rb, cette maladie est associée à une surexpression de ladite protéine Rb dans le cytoplasme, ce qui empêche ATM d’atteindre le noyau. Les cassures de l’ADN sont alors mal réparées et leur accumulation cause le cancer.

Nous avons pu mettre en évidence des mécanismes de ce type dans d’autres maladies dégénératives, comme la maladie de Huntington dans lequel le rôle de la protéine X est tenu par une protéine appelée la huntingtine, ou encore la sclérose tubéreuse de Bourneville et la tubérine, le syndrome de Usher et les protéines USH, etc.

De façon intéressante, la très grande majorité des protéines X qui sont associées à des maladies dégénératives sont localisées autour du noyau, si bien que lors de leur transit du cytoplasme au noyau, les protéines ATM sont stoppées directement sur la membrane nucléaire. Pour évaluer la réponse au stress oxydatif, notamment dû à l’irradiation, on comprend donc qu’il faut d’abord rechercher quelle(s) protéine(s) X ralenti(ssen)t les protéines ATM dans leur transit du cytoplasme au noyau.

C’est aussi le cas lorsque l’on s’intéresse à la maladie d’Alzheimer. Dans ce cas précis, notre quête de la (ou des) protéine(s) X spécifique(s) de la maladie s’est rapidement orientée vers une protéine appelée Apoliprotéine E, ou APOE.

Des couronnes autour du noyau, premier signe de la maladie d’Alzheimer ?

La protéine APOE est surtout connue par les spécialistes de la maladie d’Alzheimer en raison des variations (on parle de « polymorphismes ») qu’elle présente chez une grande majorité de patients atteints. Par ailleurs, on sait que APOE présente des sites d’interaction préférentielle avec la protéine ATM, ce qui en faisait une bonne candidate au statut de « protéine X ».

Nous avons donc décidé d’étudier 10 lignées de cellules de peau provenant de patients atteints de la maladie d’Alzheimer à différents stades. Nous avons ainsi découvert que, bien que les origines de ces lignées cellulaires provenant de divers malades soient variées (et donc que les polymorphismes qu’elles contiennent soient différents de l’une à l’autre), toutes montraient systématiquement une surexpression de la protéine APOE autour du noyau.

De plus, nous avons aussi observé que la protéine ATM était elle aussi systématiquement localisée autour du noyau, formant des « couronnes périnucléaires ». Des analyses plus approfondies ont par ailleurs révélé que ces couronnes étaient constituées d’une première couche d’interaction entre ATM et APOE, au plus près de la membrane du noyau.

Image de microscopie montrant grâce à l’immunofluorescence des exemples représentatifs de couronnes périnucléaires formées par la protéine ATM autour du noyau de cellules (fibroblastes) de peau de patients atteints par la maladie d’Alzheimer.
Exemples représentatifs de couronnes périnucléaires formées par la protéine ATM autour du noyau de cellules (fibroblastes) de peau de patients atteints par la maladie d’Alzheimer. Berthel E., et al. « Toward an Early Diagnosis for Alzheimer’s Disease Based on the Perinuclear Localization of the ATM Protein », Cells (MDPI), CC BY

Grâce à des observations plus poussées d’imagerie cellulaire, ainsi qu’à un modèle mathématique produit par Laurent Pujo-Menjouet, professeur à l’Université Lyon I, nous sommes aujourd’hui en mesure d’écrire un scénario décrivant un mécanisme probable pour expliquer la maladie.

Schéma explicatif du modèle de vieillissement pathologique impliquant ATM.
Le processus commencerait d’abord par la formation de complexes ATM-APOE qui ne gêneraient pas l’entrée d’ATM dans le noyau (points verts lumineux visibles à l’intérieur). Progressivement, la première couche ATM-APOE couvrirait tout le noyau (fine couronne en vert autour du noyau, quelques points vert encore visibles dedans). Enfin, la couronne épaissie interdirait toute pénétration d’ATM (plus de point vert lumineux dans le noyau). Berthel E., et al. « Toward an Early Diagnosis for Alzheimer’s Disease Based on the Perinuclear Localization of the ATM Protein », Cells (MDPI), CC BY

À mesure que du stress est produit, au fil de l’existence, chez des personnes dont les cellules surexpriment APOE, ATM s’agglutinerait progressivement autour du noyau des cellules, formant une première couche avec APOE, puis avec elle-même.

Ces multicouches interdiraient le passage de ATM dans le noyau. Les cassures de l’ADN dues au stress s’accumuleraient donc progressivement, puisqu’ATM ne serait plus capable de déclencher leur reconnaissance puis leur réparation.

Les couronnes périnucléaires s’avéreraient d’autant plus épaisses que le processus d’agglutination serait déjà ancien – à l’image, en quelque sorte, des cernes qui se forment lors de la croissance des troncs d’arbres. Cette accumulation de cassures dans l’ADN provoquerait une accélération du vieillissement des cellules et, in fine, leur mort. À cet instant, « l’épaisseur » des couronnes périnucléaires serait maximale.

En plus d’une explication mécanistique, nos observations introduisent ici la notion de prédisposition à la maladie d’Alzheimer, puisque tout porteur de cellules surexprimant une protéine APOE autour du noyau serait potentiellement susceptible.

Une explication moléculaire du vieillissement valable pour d’autres pathologies

Ces observations ont été menées sur des cellules provenant de la peau de 10 patients atteints de la maladie d’Alzheimer, mais elles pourraient être transposables aux cellules cérébrales et à d’autres types cellulaires. En effet, des données récentes suggèrent que la maladie d’Alzheimer pourrait être une maladie du vieillissement généralisée à d’autres tissus que le tissu cérébral (communication du professeur Zou de l’université de Nanchang (Chine), durant une conférence donnée au sein du service d’étude des prions et des infections atypiques de l’Institut François Jacob du CEA).

Par ailleurs, depuis la publication de notre étude, nous avons observé la formation de couronnes périnucléaires d’ATM dans d’autres pathologies liées au vieillissement, comme la myopathie de Duchesne (mais évidemment avec une protéine X différente d’APOE). En outre, en laissant vieillir en culture des cellules de cristallin, on voit également apparaître des couronnes périnucléaires d’ATM qui pourraient être liées à la formation de cataractes. Enfin, des travaux en cours suggèrent que des cellules de peau issues d’individus normaux et vieillies artificiellement en culture pourraient montrer également des couronnes périnucléaires d’ATM.

L’agglutination de la protéine ATM autour du noyau, aidée par la surexpression d’une protéine spécifique constituerait donc une explication mécanistique du vieillissement cellulaire, en raison de l’impossibilité de réparer les dommages de l’ADN accumulés par un stress endogène et/ou exogène.

Quelles retombées et quelles nouvelles pistes pour nos recherches ?

Ces résultats pourraient également avoir des implications en matière de diagnostic. En effet, un simple prélèvement dermatologique de cellules de peau pourrait permettre de révéler non seulement l’existence d’une forte prédisposition à la maladie d’Alzheimer, mais aussi renseigner sur son avancée éventuelle. Un brevet a été déposé en ce sens par Inserm Transfert, en collaboration avec la société Neolys Diagnostics (groupe ALARA expertise, à Entzheim, en Alsace). Toutefois, de nouvelles investigations sont nécessaires pour asseoir ces tests sur des bases encore plus solides.

Ces résultats préliminaires pourraient aussi ouvrir de nouvelles pistes d’exploration en matière de traitement. On pourrait par exemple chercher des moyens de « détruire » précocement les couronnes périnucléaires d’ATM, ou d’en limiter la formation, afin d’améliorer la survie cellulaire par une meilleure gestion des cassures de l’ADN accumulées. Dans cette optique, différentes substances chimiques susceptibles de séparer les protéines ATM des protéines APOE sont en cours d’investigation au laboratoire.

Soulignons que nos observations ont été faites directement sur des cellules humaines, ce qui les rend d’autant plus pertinentes sur le plan clinique et évite tous les biais liés à l’extrapolation à partir de modèles animaux, pour lesquels la gestion des cassures de l’ADN peut montrer certaines différences avec l’être humain. Elles constituent une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes en jeu dans la genèse de la maladie d’Alzheimer.


Elise Berthel, la première auteure de la publication scientifique dont les résultats sont présentés dans cet article, a été postdoctorante financée par l’Inserm (UMR 1296) avant de devenir cheffe de projet financé par Neolys Diagnostics. Les premières expériences de caractérisation radiobiologique de la maladie d’Alzheimer ont été réalisées dans le cadre du master de Eymeric Le Reun (U1296), dirigé par Elise Berthel et Nicolas Foray.

Un brevet sur le diagnostic de la maladie d’Alzheimer à partir des couronnes périnucléaires d’ATM a été déposé conjointement par Inserm Transfert et Neolys Diagnostics sous la référence 23305025.1 le 9 janvier 2023.

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