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Manifestation à Paris contre la réforme des retraites, le 7 février 2023
Depuis le début de l'année, les organisations syndicales françaises enregistrent une hausse du nombre de leurs adhérents. Shutterstock

Après la réforme des retraites, le « printemps syndical » peut-il durer ?

On disait le syndicalisme moribond. Certains, le classant parmi les organisations « zombies », l’avaient même déjà enterré. De fait, la plupart des indicateurs tendaient à confirmer qu’en France, comme dans la plupart des pays dits « développés », le mouvement syndical était entré dans une phase d’hibernation depuis 40 ans : forte érosion du nombre de membres, opinion publique de plus en plus hostile, des conflits de moins en moins intenses, etc.

Néanmoins, à l’orée des années 2020, un ensemble de signaux témoigne d’« un printemps syndical », au premier rang duquel figurent les fortes mobilisations contre la réforme des retraites il y a quelques mois. Et le phénomène de revitalisation syndical dépasse assez largement les frontières hexagonales.

En juillet dernier, Marylise Léon, secrétaire générale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), se targuait d’avoir enregistré près de 50 000 nouveaux adhérents au cours du premier semestre 2023. Dans le même temps, la Confédération générale du travail (CGT) et Force ouvrière (FO) ont connu un regain d’intérêt similaire

De façon générale, c’est l’ensemble des organisations syndicales qui a profité des mouvements sociaux du printemps dernier et qui se voit de plus en plus sollicité par les salariés, y compris par ceux qui travaillent dans des entreprises sans représentants du personnel.

Un retour en grâce mondial

Cette demande d’expertise syndicale s’accompagne également d’une amélioration de l’image des syndicats. En effet, les récentes enquêtes d’opinion montrent que les Français sont désormais plus nombreux à leur accorder une opinion favorable. Ainsi, les personnes interrogées seraient aujourd’hui 59 % à faire confiance aux syndicats pour défendre leurs intérêts, selon le baromètre d’image de Kantar réalisé en juin dernier.

Ce retour en grâce des syndicats est aussi perceptible dans d’autres pays industrialisés où le syndicalisme semble connaître un regain d’intérêt. Aux États-Unis, par exemple, les travailleurs n’ont jamais été aussi nombreux à soutenir les syndicats et à vouloir que ces derniers participent plus activement aux débats sociaux. Cet engouement pour le syndicalisme se traduit, dans le contexte américain, par une recrudescence de mouvements sociaux et par l’augmentation du nombre de pétitions des salariés américains afin d’obtenir une représentation syndicale dans leur entreprise.

Ce constat semble également valable dans d’autres pays industrialisés. C’est le cas notamment du Canada, où quatre grands syndicats de la fonction publique québécoise ont voté, il y a quelques semaines, une grève illimitée pour améliorer leurs conditions de travail, une première depuis près de quatre décennies.

Alignement des planètes

Les organisations syndicales semblent en effet bénéficier d’un alignement des planètes extraordinairement favorable. Plusieurs événements concomitants contribuent à ce renouveau syndical. Tout d’abord, le contexte économique, marqué par une reprise de l’activité, des pénuries de main-d’œuvre et l’inflation pousse la demande de hausses de salaires tout en accentuant l’intensité conflictuelle et le recours aux syndicats.

Ensuite, la prise de conscience croissante des inégalités et les superprofits enregistrés en sortie de pandémie par les grands groupes multinationaux ont conduit de nombreuses personnes à manifester leur mécontentement. Par exemple, le groupe TotalEnergies a connu en octobre 2022 un conflit social de grande ampleur après l’annonce de bénéfices records. Enfin, les politiques libérales opérées, par exemple, en France par le président de la République Emmanuel Macron ou au Royaume-Uni par le gouvernement conservateur constituent également des fenêtres d’opportunités pour les syndicats.

Pénurie liée aux grèves dans le carburant en France en octobre 2022, station TotalEnergies, 65 route d’Agde (Toulouse)
La grève chez TotalEnergies a conduit à des pénuries de carburants en France en octobre 2022. Abdoucondorcet/Wikimedia, CC BY-SA

Par ailleurs, la syndicalisation dépend de la croyance dans le potentiel du syndicat d’améliorer concrètement les conditions de travail. Or, plusieurs sondages récents – dont une enquête du think tank libéral Institut Montaigne – montrent que plus de la moitié des Français juge l’action des syndicats efficace au sein des entreprises, ce qui témoigne d’une véritable évolution des opinions.

Des facteurs d’attractivité nouveaux

En parallèle, plusieurs facteurs inédits peuvent également expliquer ce printemps syndical. D’abord, le 31 mars 2023, Sophie Binet a été élue secrétaire générale de la CGT. Peu de temps après, le 21 juin, c’est une autre femme qui est nommée à la tête du second syndicat national : Marylise Léon à la CFDT.

Cette féminisation de la direction des deux syndicats majoritaires en France s’observe d’ailleurs également en dehors des frontières : au Québec, Magalie Picard est présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) depuis le 23 janvier 2023 tandis que Caroline Senneville a accédé aux mêmes responsabilités au sein de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) depuis juin 2021. Ce changement de leadership peut désormais contribuer à changer la perception des syndicats par le pouvoir politique, mais plus encore peut-être par l’opinion.

Nous observons également un élargissement des thématiques couvertes par l’action syndicale. Des néo-syndicats, qui attirent des adhérents éloignés de la culture syndicale, ont ainsi vu le jour en France ces cinq dernières années, centrés sur les enjeux écologiques (par exemple, le Printemps écologique) ou la représentation des travailleurs indépendants (Indépendants.co).

Pour finir, nous pourrions revenir sur les adhésions massives ayant eu lieu au moment de la réforme des retraites en France, car nombre de ces adhésions se sont faites en ligne. Or, ce mode d’adhésion rompt avec les processus habituels de recrutement basé sur des rencontres dans les locaux syndicaux. La question se pose donc du maintien dans le temps de ces nouvelles adhésions.

Un renouveau fragile

Ce « printemps » constitue-t-il, dès lors, les prémices d’une revitalisation durable du mouvement syndical ou ne sera qu’une brève éclaircie ? Un certain nombre d’éléments plaide pour un essoufflement progressif de ce mouvement de revitalisation avant un retour à la normale. Tout d’abord, la nature cyclique de l’économie capitaliste suggère que l’alignement des planètes (inflation forte, croissance économique, chômage bas) ne pourra durer éternellement.

De plus, les analyses sur le temps long indiquent que les effectifs syndicaux sont également soumis à une cyclicité. Les périodes de forte croissance des adhésions syndicales correspondent souvent à des épisodes de conflictualité… sur lesquels les organisations syndicales peinent à capitaliser : la fin des conflits marque alors un étiolement du nombre d’adhérents.

Néanmoins, il n’est pas complètement déraisonnable de supposer que ce renouveau pourrait s’inscrire dans la durée. Ainsi, l’histoire semble indiquer que la période néolibérale dans laquelle nous sommes entrés il y a une quarantaine d’années ne sera pas éternelle. Une phase où les forces de régulation, dont le syndicalisme, se reconstruiront, pourrait ainsi lui succéder. Cette reconstruction sera d’autant plus solide que les signaux faibles de transformation de l’action syndicale (féminisation, élargissement des thèmes, renouveau tactique, etc.) percoleront en profondeur dans ces organisations.

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