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Covid-19 : le long – et incertain – chemin vers le changement

Ouverture des écoles, des commerces, des chantiers de construction… Chaque jour, les gouvernements Legault et Trudeau dévoilent de nouveaux plans du scénario de déconfinement.

Chaque annonce suscite son lot d’émotions. Certains s’impatientent, car la sortie de crise leur paraît trop lente. D’autres se sentent bousculés. Ils exigent des certitudes avant de retourner à une vie « normale ». Malgré l’incertitude, malgré la peur, malgré les émotions, l’après-crise se prépare, en parallèle de la gestion de crise. Comme individus, comme organisations, comme société, il faut gérer la suite non pas en dépit des émotions, mais bien en tenant compte de celles-ci.

Nos travaux interdisciplinaires sur les crises et l’action humanitaire, dont nous portons activement le leadership, démontrent le rôle que jouent les émotions dans le changement qui survient pendant et après une crise. Voyons un peu la dynamique de gestion d’une crise. C’est une succession de prises de décisions dans des moments de grande incertitude et ambiguïté, avec des informations partielles et parfois contradictoires, à un rythme accéléré.

Tous ces facteurs réunis vont créer chez chacun d’entre nous des réactions diverses tant physiologiques que psychologiques. Les équipes qui gèrent la crise, ainsi que les médias, se doivent de contrôler leurs trop plein d’émotions afin de réduire leur stress et ainsi permettre une communication de crise adéquate.

Le gouvernement Legault tente, au mieux, de contenir nos émotions par des processus décisionnels incrémentaux, des attitudes posées et des paroles encadrantes. Nous proposons ici de réfléchir à la transformation sociétale, organisationnelle et individuelle avec une perspective de « l’humain et de ses émotions ».

Les émotions sont au cœur de ces réactions et, pourtant, elles demeurent le grand tabou dans les organisations qui peuvent en apprendre des travailleurs humanitaires qui doivent gérer leurs émotions et qui sont soumis à de nombreuses sources de stress.

Le premier ministre du Québec, François Legault, en compagnie de la ministre de la Santé, Danielle McCann, et du directeur de la santé publique nationale du Québec, Horacio Arruda, en route vers leur point de presse, le 23 avril. Les trois tentent, au mieux, de contenir nos émotions par des processus décisionnels incrémentaux, des attitudes posées et des paroles encadrantes. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

Ne pas avancer à l’aveugle

Comme le changement naît de la différence entre un état vécu et un état désiré dont la prise de conscience provient d’un surcroît d’information qui génère un « stress » organisationnel, notre quotidien sera revu et/ou réinventé. C’est le principe même d’une crise qui ouvre la brèche à « revoir les processus », « questionner nos choix », « réinventer des solutions ».

Les journalistes sont déjà à nous proposer des options en se ruant la majorité du temps sur la technologie : le travail à distance, l’enseignement à distance, la communication à distance, la vie sociale à distance, etc. On se projette sur les solutions en sautant l’étape de la vision et donc du chemin de la transformation. Plusieurs connaissances existent à cet effet dans la littérature organisationnelle sur la gestion du changement ou encore sur la vision stratégique comme incontournables pour les gestionnaires. Comment gérer des personnes tout en évitant de comprendre ce qu’elles ressentent ? Plutôt qu’essayer de cacher ses émotions, il est utile de les comprendre, de les nommer et de les vivre.

Un première étape essentielle d’une transformation à instaurer est le leadership de la haute direction. Qu’il soit un PDG ou premier ministre, le leader doit offrir une vision claire à ses parties prenantes. Et c’est bien plus qu’une idée de l’endroit où il souhaite aller. La vision c’est aussi des choix de valeurs qui teinteront le processus pour se rendre à destination.

En temps de crise, une « bonne » vision se co-construit avec les parties prenantes impliquées. Dans une perspective d’après-crise, nous invitons nos leaders et nos décideurs à considérer ces éléments : avoir une vision commune et se mettre en action de manière cohérente dès maintenant. Une bonne gestion de crise exige ce double mécanisme où l’on prépare et projette des scénarios de l’« après-crise ».

Mettre l’humain au centre

Selon le point de vue de chacun, les réactions, les émotions et les préoccupations varient : « est-ce que mes tâches vont changer ? », « vais-je conserver mon emploi ? », « allons-nous revenir à la normale ? », « est-ce que mon organisation a les reins assez solides pour entreprendre sa transformation ? », etc. Nous encourageons nos décideurs à valoriser l’humain car le changement ne peut se réaliser sans l’apport des individus. Ce sont eux qui vont améliorer et donner du sens aux choses.

Ainsi, bien comprendre les besoins de chacun, analyser ce qui fonctionne bien et moins bien et en tirer des leçons constitue une deuxième étape majeure de transformation. On y arrive en engageant les décideurs et gestionnaires dans la démarche afin de former une nouvelle génération de gestionnaires de proximité (capable de relation humaine vraie).

Une troisième étape consiste à faire contribuer les parties prenantes et/ou équipes à l’identification de la nouvelle vision et aux moyens de s’y rendre pour finalement soutenir les individus dans leur propre transition. Tout cela dans une trame où les émotions sont endossées et canalisées positivement, car, après tout, la résistance au changement consiste surtout en l’accumulation des préoccupations non reconnues.

Un long chemin individuel et citoyen vers le changement

Nous avons parlé du rôle des leaders dans la gestion de la crise et de l’après-crise. Mais qu’en est-il de notre rôle individuel ? Nos émotions occupent une place centrale dans le processus de changement. En effet, en leur absence, il n’y a pas de changement possible, mais paradoxalement en raison des émotions, les individus peuvent lui résister et ainsi agir à l’encontre de leurs propres intérêts.

Aujourd’hui, notre quotidien, avec la peur en trame de fond, n’est pas facile à gérer. Nous sommes fragilisés, plus sensibles au risque et, donc, nous nourrissons nous-mêmes un cercle vicieux. Ce premier pas vers l’irrationnel peut s’avérer dangereux, surtout dans un contexte de risque sanitaire. Ainsi, la moindre annonce du gouvernement, peut-être associée à un signe d’aggravation générale, alors qu’en fait, c’est l’absence de décision qui est dangereuse. On le sait tous pourtant !

Toutefois, loin d’être honteuse, la peur est un détecteur de menaces pour prendre des mesures de protection, à condition de ne pas nous laisser envahir par des rumeurs anxiogènes. Que faire alors pour l’éviter ? Pourquoi ne pas s’ancrer dans la vie quotidienne et privilégier une vie plus saine et développer sa propre résilience ?

Nous avons reçu un cadeau magnifique à travers cette crise : du temps. Et si cette période de quarantaine était aussi le moment pour prendre le temps de réfléchir sur notre rapport au travail, au stress et au temps ? Allons-nous voir la vie en « slow » après la crise ? Nous vous invitons à explorer les Slow movements qui visent à ralentir la modernité. Surtout dans cette période qui met à rude épreuve nos capacités d’adaptation et notre santé mentale, ainsi que celles de nos proches.

Des petits morceaux de ce futur à réinventer sont déjà en train de se co-construire. Quand on fréquente des zones reculées dans le monde pour le travail d’humanitaire, on apprend vite l’importance du mantra « un pas à la fois, une montagne après l’autre ».

Nous tenons a remercier Véronique Duguay et Alexandre P. Bédard, chargés de cours à l’UQAM, pour leur collaboration.

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