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De l’Asie aux Appalaches, comme un air de « Germinal »

Adam Burton, un mineur de la ville américaine de Welch, en Virginie occidentale (2017). Spencer Platt/AFP

En 1861 George Sand fait paraître La Ville noire. Ce roman, dont l’action se déroule dans une cité du centre de la France – probablement Thiers, capitale de la coutellerie – polluée par les rejets des entreprises, est l’un des rares textes littéraires de cette époque à mettre l’accent, jusque dans son titre, sur les ravages environnementaux de la Révolution industrielle. Prémonitoire !

Un quart de siècle plus tard, avec Germinal, Émile Zola plonge les Français dans l’enfer des mines, là où des hommes travaillent à quatre pattes dans l’obscurité pour arracher le charbon. Ces récits, écrits il y a près d’un siècle et demi, décrivent des réalités qui auraient dû disparaître depuis longtemps. Ils sont toujours d’actualité.

Consommation de charbon à la hausse

En dépit de la prise de conscience généralisée des dangers que représente l’industrie houillère, les énergies renouvelables peinent à la concurrencer. La houille est, en effet, à la fois abondante et relativement bon marché.

C’est la raison pour laquelle, en 2017, la consommation de charbon est repartie à la hausse en Inde et en Chine, un pays qui affirme pourtant sa volonté de lutter contre les émissions de CO2.

Dans le même temps aux États-Unis Donald Trump, qui soutient qu’il s’agit d’une énergie propre, souhaite redynamiser son exploitation, ce qui ravit les habitants des bassins miniers de Virginie-Occidentale, du Kentucky et d’ailleurs.

Dans les coulisses de « Germinal » (Ina Culture/YouTube, 2012).

À prendre ou à laisser

Aujourd’hui pourtant les gueules noires des Appalaches du Sud, de la mine Sallyann à Welch (Virginie occidentale) par exemple, ne sont pas loin de travailler dans les mêmes conditions que les personnages imaginés par Zola. Et comme dans le bassin d’Anzin au XIXe siècle, la production prime sur la sécurité des hommes.

À l’image d’un des personnages de Germinal, Vincent Maheu surnommé Bonnemort, les mineurs américains peinent à respirer au bout de quelques années passées, six jours sur sept à raison de plus de dix heures par jour, dans des boyaux qui ne dépassent pas un mètre de haut.

Conscients d’être silicosés, redoutant les accidents qui sont très fréquents, ils craignent néanmoins de perdre leur emploi ; cette région parmi les plus pauvres du pays n’en offrant aucun autre. Là, comme en Chine et dans les mines indiennes, le mouvement syndical est inexistant.

Pour les hommes du charbon, c’est à prendre ou à laisser. S’ils n’acceptent pas les conditions imposées par les compagnies, d’autres viendront très vite les remplacer. La main-d’œuvre ne manque pas, le taux de chômage étant très élevé dans cette partie des États-Unis.

Montagnes décapitées, rivières polluées

Comme beaucoup d’ouvriers du charbon, depuis les origines de l’extraction de ce minerai, dans le Bassin du Nord et du Pas-de-Calais, comme dans celui de la Loire, voire en Grande-Bretagne et ailleurs, ils sont très attachés à leur région.

Montagneuse, la région des Appalaches a pourtant été totalement défigurée, comme celle qui entoure La Ville noire, par l’exploitation à ciel ouvert. Plusieurs centaines de ses sommets ont ainsi été décapités et des villages entiers rayés de la carte afin d’extraire à moindres frais le « diamant noir ».

À l’image du centre de la France au XIXe siècle, les rivières y charrient des eaux aussi noires que la houille elle-même. Quant aux nappes phréatiques, elles sont toutes gravement polluées, sans que les compagnies exploitantes, utilisatrices de nombreux produits chimiques, soient considérées comme véritablement responsables.

Des traditions et des créations artistiques

En dépit des difficultés et des multiples dangers de leur métier, comme leurs ancêtres, ils en sont fiers. Ils s’en remettent cependant, souvent, à Dieu dans l’espoir qu’il les protégera une fois au fond. Les mineurs polonais n’ont-ils pas l’habitude de se signer, chaque jour, avant la descente ? Aujourd’hui encore, les mineurs revendiquent la solidarité qui les lie.

Ils partagent un socle de traditions culturelles encore très vivantes, parmi lesquelles leurs fêtes patronales ou locales. Cette culture, au sein de laquelle le métier occupe une place centrale, est précieusement conservée – partout dans le monde, même dans les endroits les plus déshérités – dans des musées de la mine.

L’un d’entre eux vient récemment d’être inauguré à Bishop Auckland en Angleterre. Les collections de la Mining Art Gallery – 420 peintures, dessins et gravures réalisés par des ouvriers mineurs de la région – nous rappellent que cette profession particulièrement exposée a été, sans doute beaucoup plus qu’aucun autre métier manuel, à l’origine de nombreuses vocations littéraires et artistiques.

Nous commençons seulement à en découvrir la richesse, mais aussi la valeur sur le marché de l’art, comme en témoignent les ventes très lucratives de certains tableaux de Norman Cornish, notamment son magnifique autoportrait, qui se sont écoulés ces dernières années à plus de 10 000 livres sterling…

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