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Doctorat CIFRE : un pont entre la recherche et le monde économique

Doctorants, lors de la conférence : « Recherche : défis et aventures » le 14 décembre 2015. Menesr/XR Pictures, CC BY-SA

Depuis 30 ans, les CIFRE (Conventions Industrielles de Formation à la Recherche) donnent l’opportunité à une entreprise d’embaucher un diplômé de niveau Master pour le placer au cœur d’une collaboration de recherche avec un laboratoire public de recherche, dans le cadre de la préparation d’un doctorat : le doctorant est intégré en entreprise, tout en bénéficiant d’un encadrement académique. Les CIFRE sont également possibles pour les associations, les collectivités, et certains services publics (la CNAF en propose par exemple chaque année).

Les CIFRE sont financées par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, qui en délègue la gestion à l’Agence Nationale pour la Recherche et la Technologie (ANRT). En 2015, l’ANRT revendique un total de 4886 CIFRE en cours avec 1862 entreprises partenaires, et 1383 conventions attribuées durant l’année (source ANRT), soit 9,8 % des doctorants financés inscrits en première année (source MENESR).

Évolution du nombre de CIFRE allouées par an. Rapport d’activités de l’ANRT, 2015, page 6

Associer doctorant, laboratoire, et entreprise

Les CIFRE permettent ainsi :

  • à un doctorant de bénéficier à la fois du financement d’une entreprise et d’un accès à un sujet terrain de recherche ;

  • à une entreprise de bénéficier des compétences d’un doctorant, qui bénéficie de l’encadrement de chercheurs confirmés d’un laboratoire public. L’employeur bénéficie en outre d’une subvention annuelle de 14 000 d’euros pendant trois ans, qui peuvent être complétés par le Crédit Impôt Recherche ;

  • à un laboratoire de développer ses partenariats avec une entreprise, et d’accéder à des problématiques et terrains de recherche nouveaux.

Principe du dispositif CIFRE. Plaquette de présentation du dispositif CIFRE–ANRT, 2015

Le dépôt du dossier de candidature s’effectue sur le site de l’ANRT. Il doit attester que l’entreprise pourra soutenir le projet de recherche durant les 3 années de bénéfice du dispositif, et comporter une présentation du projet scientifique : état de l’art, question de recherche, développements envisagés, etc. L’élaboration conjointe de ce dossier participe aussi de la découverte mutuelle des acteurs.

Le dossier fait ensuite l’objet d’un traitement qui peut durer jusqu’à trois mois afin de s’assurer qu’il respecte les critères d’éligibilité au dispositif. Cette instruction fait appel à des experts scientifiques et au Délégué Régional à la Recherche et à la Technologie (DRRT) de la région géographique où se situe l’employeur.

Coproduction scientifique

Les CIFRE peuvent être lues comme participant à l’orientation croissante du monde universitaire vers la production de connaissances utiles au monde socio-économique (Gibbons, 1994). Dans ce cadre partenarial, les connaissances sont coproduites. Ainsi, la CIFRE est un outil qui permet de générer des apports mutuels pour toutes les parties prenantes de la convention (Rasolofo-Distler et Zawadzki, 2011) :

  • pour le monde scientifique : la CIFRE permet des échanges de connaissances bilatérales : le transfert de connaissances va du laboratoire à l’entreprise mais aussi de l’entreprise vers le laboratoire (Levy et Woessner, 2007) ;

  • pour l’entreprise : ces recherches permettent souvent la création de savoirs, mais s’accompagnent également d’une création de nouveaux processus ou de l’introduction d’un nouveau savoir-faire dans l’entreprise (et notamment lorsque l’entreprise « découvre » la pratique de la R&D en son sein). De nombreux témoignages, publiés sur le site et dans la plaquette de l’ANRT, portent sur les répercussions de ce type de collaboration sur l’entreprise : le directeur d’une entreprise indique que « la CIFRE a permis le développement d’un démonstrateur qui a prouvé la capacité d’innovation du groupe », tandis qu’un cabinet d’avocats ajoute que « les solutions proposées dans cette thèse peuvent non seulement intéresser nos clients mais aussi l’ensemble de la profession » ;

  • pour le doctorant-chercheur : ce type de thèse lui permet une interaction personnelle avec les représentants de l’entreprise et du laboratoire et lui donne l’opportunité de confronter ses théories, d’expérimenter, proposer et mettre en perspective ses recherches tout en bénéficiant de la proximité des acteurs. En outre, le doctorant-CIFRE joue un rôle central en tant que médiateur entre universités et entreprises (Levy, 2005), dont il doit dépasser les frontières. Le double encadrement par l’université et l’employeur, aux approches complémentaires, est un atout majeur pour le doctorant et lui permettra, avec la validation scientifique de son travail de recherche, de soutenir sa thèse dans les temps et d’obtenir le titre de « docteur ».

Des carrières prometteuses pour les docteurs

En effet, la durée de préparation d’un doctorat en CIFRE est étroitement liée à la durée du dispositif (CEREQ, 2015) : ces trois années débouchent sur une soutenance dans 90 % des cas. La poursuite de carrière de ces docteurs est également prometteuse, avec 90 % d’entre eux en emploi six mois après la fin de la CIFRE (source ANRT). Le CEREQ relève ainsi que

« les docteurs ayant bénéficié d’une CIFRE ont un taux de chômage plus faible, sont moins souvent en emploi à durée déterminée et ont des salaires mensuels plus élevés que l’ensemble des docteurs, mais aussi que ceux ayant financé leur thèse grâce à une allocation ou un contrat doctoral. »

Enfin, les CIFRE peuvent bénéficier à des entreprises de toutes les tailles (de la PME au grand groupe), même si ces dernières n’ont jamais bénéficié du dispositif auparavant (en 2015, 61 % des conventions ont été signées avec des employeurs qui n’avaient pas eu de CIFRE auparavant). Les CIFRE proposent donc un cadre de recherche facilitant les relations entre entreprises et laboratoires de recherche grâce à une collaboration étroite et inscrite dans la durée, favorable à la poursuite de carrière des docteurs au sein du monde économique.

En avril 2016, le délégué général de l’ANRT, Christian Lerminiaux, a fixé comme objectif de « faire en sorte que 20 % des docteurs soient issus de thèses Cifre à l’horizon 2020 » (dépêche AEF n°539756), ajoutant que « le standard du doctorat doit être le CIFRE », témoignant ainsi de la légitimité croissante des CIFRE dans le paysage doctoral en France. Le Secrétaire d’État en charge de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon, ambitionnait en septembre 2015 d’atteindre les 5000 doctorants CIFRE par an. S’il reste à voir comment financer cette hausse, elle peut constituer une bonne nouvelle pour des jeunes qui hésiteraient à se lancer dans un doctorat faute de financement dans le cadre des contrats doctoraux classiques (financés par les universités). C’est aussi le cas en Sciences humaines et sociales, puisque les CIFRE peuvent concerner toutes les disciplines, y compris les SHS qui représentaient 25 % des CIFRE signées en 2015.

Faut-il pour autant rêver d’un jour où tous les doctorats seraient financés sur le modèle de la CIFRE ? Probablement pas : la production de connaissances a également besoin d’espaces autonomes, sans interférence avec les impératifs économiques. Les CIFRE peuvent néanmoins utilement les compléter : elles contribuent à faciliter l’accès à la recherche et à l’innovation pour les entreprises, en soutenant l’implantation des compétences des docteurs dans le monde industriel et économique. C’est là un atout dans l’économie de la connaissance, qui mérite d’être davantage connu.

Ce texte est inspiré d’une communication présentée lors de l’édition 2016 des États généraux du Management de la FNEGE à Toulouse.

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