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L’efficience plutôt que l’efficacité, un principe qui nous a laissés démunis face au Covid-19

L’efficience, une notion à ne pas confondre avec l’efficacité. Sashkin / Shutterstock

Nous souhaitons tous atteindre une situation dans laquelle les entreprises se développent de manière durable, dans un modèle équilibré sur le plan social, économique et environnemental. Et pourtant, nous nous trouvons devant une destination qu’aucun d’entre nous n’a choisie : une pandémie faisant au moins 430 000 morts dans le monde (au 15 juin 2020), un risque de famine inédit, sans compter la menace climatique d’origine humaine, largement attribuée à l’activité des entreprises.

Nous assistons à une baisse brutale et sans précédent de l’activité économique avec un impact incalculable sur les entreprises et les ménages dans le monde entier. D’une certaine manière, le Covid-19 a révélé au grand jour certaines incohérences du monde des affaires.

La question qui se pose est « comment en sommes-nous arrivés là ? Et plus important encore, « comment nous remettre sur la bonne voie ? ».

Course au PIB

Les concepts d’efficacité et d’efficience fournissent une grille d’analyse sur ces questions. L’efficience peut être simplement décrite comme le fait de faire plus avec moins, ou d’obtenir plus de résultats avec les mêmes – ou moins – d’intrants.

L’efficacité, en revanche, est plus stratégique. Il s’agit d’arriver à destination – disons à l’état de développement durable – tandis que l’efficience consiste à atteindre cet état de développement durable plus tôt, ou à moindre coût.

La crise sanitaire aura été révélatrice de certaines incohérences du monde des affaires. Docstockmedia/Shutterstock

Au cours des dernières décennies, nous avons orienté nos efforts collectifs vers l’augmentation du PIB, du marché et de la rentabilité des entreprises. Tout cela en mettant en place un système de commerce international de plus en plus global. En tant que société, nous sommes partis du principe qu’une priorité absolue sur la croissance économique permettrait d’augmenter le revenu disponible par habitant et de résoudre ainsi nos problèmes de société. Tout ce que nous devions faire était d’y parvenir le plus efficiemment possible.

Cela signifiait un effort concerté pour réduire le relâchement, créer des structures plus légères, externaliser notre production et développer des chaînes d’approvisionnement mondiales, standardiser et automatiser. Dans cette course à l’efficience, on a négligé la prise en compte des scénarios alternatifs. Nous avons naïvement considéré que le scénario d’un modèle de croissance générale à l’échelle mondiale était acquis. Par conséquent, il ne servait à rien de penser à d’autres possibilités, et pire encore, d’investir dans ces éventualités. Le simple fait de mettre des actifs de côté pour une circonstance jugée peu probable irait à l’encontre de l’idée même d’efficience.

Voici le problème : la glorification de l’efficience a largement contribué à la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Nous voyons certains des pays les plus avancés du monde se battre pour des produits de faible technologie tels que des masques, parce qu’il était moins cher de les importer. Dans leur détermination à être efficients, les nations ont ignoré l’immense valeur de disposer de capacités essentielles en cas de besoin ou, à l’inverse, le coût terrible de leur absence.

Ainsi dans un effort compréhensible pour contenir l’augmentation des coûts des soins de santé, la plupart des pays ont choisi de ne pas réserver des ressources pour une crise comme celle d’aujourd’hui.

Parfois les pays disposant des meilleures écoles de médecine ne préparaient pas suffisamment de médecins, parfois en partant du principe que limiter le nombre de médecins réduirait les coûts des soins de santé. Lorsque l’essor des soins ambulatoires dans les dernières années a laissé des capacités disponibles dans les hôpitaux, ces capacités ont rarement été gardées en réserve.

La redondance peut être positive

Autrement dit, nous avons augmenté l’efficience et nous avons oublié l’efficacité entre-temps. Nous réalisons maintenant que nous sommes arrivés plus rapidement et à moindre coût à une mauvaise destination.

Il est intéressant de noter que le mot « redondance » peut avoir une connotation positive ou négative. Dans le domaine de la sécurité nucléaire par exemple, la définition retenue par la loi est : « mise en place de plusieurs moyens techniques indépendants, non identiques, qui assurent la même fonction et sont destinés à se substituer les uns aux autres en cas de besoin ».

Mais on a plutôt tendance à considérer la redondance de façon négative, comme un excès, quelque chose de trop dont on doit se débarrasser au plus vite. Cette absence de redondance (dans le bon sens du mot « redondance ») a laissé plusieurs entreprises en pénurie de matières premières et les hôpitaux en manque de ressources humaines et matérielles essentielles pour sauver des vies.

Bien évidemment, nous ne suggérons pas que l’on oublie complètement l’efficience. Il existe en effet un argument moral en faveur d’une utilisation aussi efficiente que possible des ressources. Nous voulons tous que les trains arrivent à l’heure, que les comptes clients soient encaissés au plus vite et que tous les indicateurs de performance s’améliorent.

Mais le chemin qui mène à notre destination si souhaitée, le développement durable, n’est pas linéaire. Il ne peut ainsi être atteint sans maintenir une certaine redondance.

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