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Paul Robeson, l’acteur afro-américain qui vint au secours des mineurs anglais

Paul Robeson chante pour des mineurs écossais, en 1959. Youtube, capture d'écran.

« Ne sommes-nous pas tous noirs dans la fosse ? » (réplique du film « The Proud Valley », 1940).

Au moment où des manifestions et des émeutes antiracistes ont lieu aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France, notamment, souvenons-nous comment l’Afro-américain Paul Robeson s’est lancé, dans les années 1930-1950, dans le combat pour défendre les mineurs anglais en quête de justice sociale.

Fils d’un esclave libéré, Paul Robeson est né à Princeton (New Jersey) en 1898. Diplômé en droit de l’Université de Columbia, footballeur évoluant dans la National Football League, acteur – en 1930 il joue dans Othello de Shakespeare –, chanteur – son interprétation de « Old man River » est mondialement connue –, il devint un activiste politique au contact des « prolétaires » britanniques et un militant antiraciste. Celui qui bâtit sa carrière dans une Amérique ségréguée est la première véritable star noire de l’histoire. C’est à la fin des années 1920 qu’il tisse, par le plus grand des hasards, ses premiers liens avec la classe ouvrière anglaise, quasi exclusivement blanche à cette époque.

Un soir d’hiver 1929, alors qu’il fait partie de la troupe de la comédie musicale Show boat qui se donne au Royal Theatre à Londres, Paul Robeson croise une chorale de mineurs gallois de la vallée de Ronddha, victimes de la longue grève de 1926 et de la crise, dont les membres crient leur faim dans les rues de la capitale. Il rejoint la manifestation sur-le-champ.

Il partira, par la suite, chanter pour leurs familles à Cardiff, à Neath et à Aberdare. Cette rencontre fortuite, est à l’origine d’une longue fraternité avec les mineurs du Pays de Galles, un bassin minier dans lequel il revient régulièrement. Le 22 septembre 1934, alors qu’il donne un récital au Pavilion à Caernarfon (), la nouvelle de l’explosion au cours de laquelle 266 mineurs ont trouvé la mort à Gresford, près Wrexham lui parvient. Il décide de faire don de son cachet à la caisse de secours créée pour venir en aide aux veuves et aux orphelins des victimes de la catastrophe.

Dans The Proud Valley (1940), un film réalisé par Penn Tennyson et produit par les célèbres Ealing Studios, l’acteur joue le rôle d’un marin déserteur afro-américain qui erre dans une vallée minière galloise à la recherche d’un travail. Le chef du chœur des mineurs qui l’entend chanter se propose de l’accueillir au sein de la petite communauté, dont les membres n’ont jamais vu un homme de couleur. Certains d’entre eux sont surpris, d’autres jugent que dans la fosse tout le monde est noir et l’adoptent.

Quelques années plus tard, le 13 mai 1949, il est l’invité de la section écossaise du Syndicat national des mineurs (NUM). La visite commence par un après-midi à la Houillère de Woolmet, à Danderhall, dans les environs d’Édimbourg, dans laquelle travaillent près de 1000 ouvriers. Robeson est accompagné par un représentant de la compagnie et un dirigeant syndical. Au cours du repas, pris avec les travailleurs à la cantine, ceux-ci lui demandent de chanter. Choisie pour l’occasion la célèbre folksong « I dreamed I saw Joe Hill last night », dédiée à un syndicaliste américain accusé de meurtre et exécuté en 1915, remporte un succès unanime auprès de ce public conquis à l’avance. Dans la soirée le baryton, dont la voix est considérée comme étant l’une des plus belles de son temps, donne un grand concert dans la prestigieuse salle du Usher Hall à Édimbourg. Arrivés de partout, par le rail et par la route, plusieurs milliers de mineurs sont là pour écouter leur « camarade » afro-américain, venu de loin soutenir la cause des ouvriers anglais opprimés.

Ceux-ci lui seront très fidèles. Lorsqu’en 1950 son passeport lui est retiré par les autorités américaines, lorsqu’accusé d’appartenir au Parti communiste américain, il témoigne devant la House Committee on Un-American Activities, le 12 juin 1956, les mineurs gallois sont parmi les protestataires.

Ils s’efforcent de faire du lobbying auprès du gouvernement américain, en faveur de leur frère de combat noir américain. Bien que devenu une vedette internationale, connu notamment pour avoir interprété les hymnes chinois, russe et bien d’autres encore, pour avoir tourné des dizaines de films, Robeson est toujours victime de ségrégation raciale dans son pays. Il ne peut donc pas être physiquement présent le 5 octobre 1957 au Grand Pavilion de Porthcawl.

C’est installé dans un studio à New York qu’il chante, par le truchement du téléphone, pour les 5 000 personnes réunies à cette occasion. Accompagné par la chorale du village de Treorchy, il interprète l’hymne national gallois. Enfin en 1958, après que son passeport lui a été rendu, Robeson retrouve une nouvelle fois les mineurs gallois, pour une série de récitals à Porthcawl le 5 octobre, à Cardiff le 4 novembre, à Swansea le 23, ainsi qu’au National Eisteddfod – une compétition d’origine barde qui se tient chaque année et qui regroupe plusieurs milliers de participants, ainsi que des dizaines de milliers de spectateurs – à Ebbw Vale.

Le souvenir de cet homme exceptionnel, mort très affaibli en 1976 à l’âge de 77 ans, est toujours présent au Pays de Galles. Une grande exposition a été organisée en 2001 à Pottypride, un petit village creusé dans la pierre le long de la rivière Taff. En octobre 2015, l’homme avec lequel les mineurs partageaient le même combat contre l’exploitation et le même idéal de justice est de nouveau à l’honneur dans cet ancien bourg minier, là où des hommes ont été, jour après jour, condamnés à travailler confinés au fond, comme le sont aujourd’hui encore les gueules noires dans plusieurs mines de Silésie Pologne, où l’épidémie de Covid-19 sévit dangereusement.

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