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Cuivre, métal ici utilisé en architecture (EMP Museum, Seattle) mais dont l'association sous forme d'ion avec des peptides est riche de promesses. Sergei Akulich/Unsplash, FAL

Quand des « mini-protéines » mettent en cage des métaux

Lorsque deux molécules ont une affinité l’une pour l’autre, leur rencontre peut mener très loin… C’est en tout cas ce que prouvent les histoires des couples formés par un peptide, c’est-à-dire une « mini-protéine », et par un ion métallique. Des couples que l’on qualifie de « complexes », et pour lesquels les chercheurs de Nancy et de Strasbourg envisagent diverses applications dans le domaine de la nutrition, de la santé ou encore de l’environnement.

Nutrition, santé, environnement…

En complexant les métaux et en formant une cage autour d’un ion métallique, les peptides chélateurs de métaux ouvrent donc de nombreuses pistes. L’objectif visé dépend de la nature de l’ion métallique complexé.

Par exemple, en encageant des ions ferreux Fe(II) ou cuivriques Cu(II), ces peptides pourraient être utilisés dans des applications en lien avec leurs propriétés antioxydantes. Chez la plupart des organismes vivants, et notamment chez l’Homme, ces ions catalysent en effet des réactions (Fenton et Haber-Weiss) finissant par produire des molécules toxiques pour l’organisme, à savoir des radicaux libres. Des peptides qui emprisonnent ces métaux en les complexant ont donc la faculté d’agir indirectement en inhibant la production de radicaux libres et en limitant de ce fait les processus d’oxydation en chaîne.

Dans la région Grand Est, et en particulier à l’Université de Lorraine et à l’Université de Strasbourg, des scientifiques s’intéressent de près à ces peptides chélateurs de métaux. Leur objectif premier, c’est d’abord d’en disposer. Et donc, de passer au crible de l’analyse des mélanges de molécules, pour en extraire ces fameux peptides. Mais ils peuvent servir d’autres objectifs.

Evaluer un traitement, améliorer un diagnostic…

Au Laboratoire Réactions et Génie des Procédés (UMR CNRS–Université de Lorraine), Raphaël Schneider et son équipe travaillent ainsi à la conception de sondes fluorescentes synthétisées à l’aide de ces peptides chélateurs de métaux. Certaines pourraient permettre de déterminer le potentiel d’oxydoréduction d’un milieu, et donc d’évaluer l’efficacité d’un traitement destiné à détruire les bactéries présentes au sein d’un biofilm. D’autres seraient utiles en médecine, pour améliorer le diagnostic en cas de processus inflammatoires : des peptides chélateurs de gadolinium, agent de contraste couramment utilisé en Imagerie par résonance magnétique (IRM), pourraient ainsi prendre place à la surface de nanoparticules fluorescentes.

Image de microscopie électronique en transmission de nanoparticules fluorescentes fonctionnalisables par des peptides chélateurs de métaux. Raphael Schneider, Author provided (no reuse)

Autre application potentielle des peptides chélateurs, en lien avec les ions métalliques notamment de cuivre : le traitement de maladies neurodégénératives. L’équipe de Peter Faller à l’Institut de Chimie de Strasbourg et ses collaborateurs focalisent plus précisément leurs travaux sur la maladie d’Alzheimer. Et pour cause ! Bien que l’accumulation de cuivre lié aux peptides dans les plaques séniles (ou dépôts amyloïdes) caractérise cette pathologie, le rôle du cuivre et sa pertinence comme cible thérapeutique reste controversé, ce qui en fait un sujet de recherche d’actualité.

Préciser les interactions

Si les utilisations de complexes formés à partir de peptides et d’ions métalliques sont donc nombreuses, reste néanmoins à mieux préciser les interactions mises en jeu : c’est notamment l’objet des recherches de Katalin Selmeczi, au Laboratoire Lorrain de Chimie Moléculaire. Reste aussi à déterminer où se cachent ces peptides d’intérêt. On sait que des micro-organismes et certaines espèces de plantes produisent naturellement des peptides chélateurs de fer (ou sidérophores), pour subvenir à leurs propres besoins.

On trouve des chélateurs autour des racines de certaines espèces de plantes de la famille des Poaceae (graminées) en situation de carence en fer.

Bien que le fer soit un élément abondant sur la terre, sa disponibilité est en effet réduite dans certains milieux. Or le fer est vital à tout organisme vivant : il s’agit donc pour les bactéries et plantes d’en disposer, même dans les milieux pauvres en cet élément. Mais on peut également produire de telles molécules en scindant des protéines à l’aide de catalyseurs biologiques, c’est-à-dire d’enzymes.

Selon la protéine source ou les conditions dans lesquelles la réaction de scission se produit (choix de l’enzyme, ratio enzyme/protéine, durée d’hydrolyse, etc.), on obtient différents mélanges – appelés hydrolysats peptidiques – contenant potentiellement des séquences peptidiques intéressantes. Et de fait, la mise en évidence de peptides chélateurs de métaux dans de tels hydrolysats, puis leur extraction, restent un challenge pour Laetitia Canabady-Rochelle, au Laboratoire Réactions et Génie des Procédés (CNRS-Université de Lorraine).

Comment repérer ces peptides ?

Comment les trier, les isoler des autres molécules, et en quelque sorte, les « capturer » ? Voilà les questions auxquelles cette scientifique et son équipe tentent de répondre, par la mise en œuvre de différents procédés de criblage et de séparation. Et trois pistes majeures sont explorées.

La première s’appuie sur un phénomène physique d’interaction avec la lumière qui porte le nom de résonance plasmonique de surface (RPS), ou résonance des plasmons de surface. Cette méthode mesure la variation de l’angle de réfraction de la lumière lors de la liaison d’un « ligand » (le peptide) sur un « récepteur » (l’ion métallique) immobilisé à la surface d’une couche métallique appelée plasmon. En clair, cette technique permet ici d’évaluer l’affinité d’un peptide – pur ou en mélange – pour un ion métallique immobilisé sur une puce, en déterminant une constante d’affinité. Soit, en d’autres termes, de voir comment un peptide donné « aime » un ion métallique.

Autre méthode de criblage de ces peptides chélateurs de métaux : la spectrométrie de masse. Cette fois, il s’agit de séparer en phase gazeuse des molécules dotées d’une charge électrique, c’est-à-dire des ions, suivant leur rapport masse/charge. Cette méthode permet de détecter les diverses molécules présentes dans le mélange. Par analyse différentielle, en comparant les résultats en présence ou en absence d’un métal, on peut ainsi déterminer les complexes métal-peptides formés. Grâce à cette technique, on peut cribler directement dans un mélange de peptides, ceux qui sont « amoureux » des métaux et identifier ainsi leur formule chimique.

De multiples pistes de recherche

La dernière approche testée pour séparer les peptides d’intérêt de leurs hydrolysats peptidiques : la chromatographie d’affinité par ion métallique immobilisé ou IMAC. La technique consiste à faire circuler un échantillon contenant des substances à séparer via un courant de phase mobile liquide, au contact d’une phase stationnaire (silice, agarose…) sur laquelle est immobilisé l’ion métallique.

Chaque substance circule à une vitesse qui dépend de ses caractéristiques, en particulier de son affinité pour l’ion métallique, et de celles des phases en présence. Mais ici, pour repérer les peptides ayant le plus d’affinités avec un ion métallique donné, on immobilise ce dernier à l’aide d’un agent complexant, lui-même greffé sur des billes chromatographiques constituant la phase stationnaire. Plus le peptide « aime » le métal, plus il sera retenu par l’ion métallique avant d’être détecté en sortie de colonne lors d’une phase de remise en solution.

On le voit, si les applications potentielles des peptides chélateurs de métaux ne manquent pas, il existe par ailleurs aujourd’hui de nombreuses pistes de recherche pour isoler ces molécules, les caractériser et in fine les utiliser. Et cette thématique de recherche fera du reste l’objet de conférences en juillet prochain à Nancy. On vous y attend nombreux !

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