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Un catholicisme otage de la campagne présidentielle

François Fillon et Laurent Wauquiez au pied de la statue de la Vierge au Puy-en-Velay, en avril 2017. Thierry Zoccolan/AFP

Genou délibérément dénudé de Marine Le Pen sur son affiche de campagne pour le deuxième tour en signe de résistance au machisme islamique, polémique sur l’appel de l’UOIF à voter en faveur d’Emmanuel Macron, débat au sein de la « cathosphère » déclenché par le refus de l’épiscopat de s’opposer au vote FN et les appels au « tout sauf Macron » de la Manif pour tous ou au « ni-nisme » de Sens commun : l’entre-deux-tours aura confirmé, s’il en était besoin, la place que tient la religion dans la campagne des présidentielles.

La repolitisation du religieux

Entre l’affaire du burkini et la participation de plusieurs candidats LR aux offices du 15 août, le ton avait été donné, à l’été 2016, dès avant l’entrée en campagne des primaires de la droite et du centre. Cette repolitisation du religieux – qui ne semble pas être du goût de la majorité des Français – n’a d’ailleurs pas manqué de susciter quelques mouvements d’humeurs chez certains des candidats. On se souvient du « fichez-moi la paix avec votre religion ! » de Jean‑Luc Mélenchon à l’adresse de Marine Le Pen.

Que la question religieuse apparaisse dans une campagne présidentielle n’est pas en soi nouveau : l’islam et la laïcité comptent depuis le début des années 2000 parmi les thématiques incontournables des programmes et engagements des candidats. Rappelons-nous la polémique sur le halal dans la campagne de 2012 et la radicalisation de Nicolas Sarkozy sur la sujet dans l’entre-deux tours.

Comme on pouvait s’y attendre, l’islam et ses dérives radicales comptent en 2017 parmi les enjeux phares depuis les primaires, un enjeu à partir duquel les candidats ont cherché à se démarquer les uns des autres, même si sous l’effet d’une droitisation du débat, l’écart de positionnement s’est singulièrement rétréci.

Le « vote catho » attise les convoitises

L’inédit dans la repolitisation de la question religieuse vient d’ailleurs. Il réside dans les convoitises sans précédent suscitées par le prétendu vote catholique. Bien que les votes des électeurs catholiques soient ventilés sur tout le spectre d’options politiques et qu’il est malaisé de cerner le poids de la variable religieuse dans le choix des électeurs concernés, la croyance dans l’existence d’un tel vote l’a imposé comme l’un des paramètres clefs de la campagne.

À l’évidence, il y a ici une conséquence de la mobilisation catholique contre le mariage pour tous dont Sens commun constitue l’un des sous-produits politiques. Ce dernier s’est profilé comme le représentant d’un électorat catholique susceptible de faire la différence dans les urnes. Une partie des électeurs de confession catholique sont ainsi devenus malgré eux, quels que soient leur ancrage politique et leur position sur ladite loi, l’objet d’un marchandage politique auprès des candidats de la droite contre un éventuel retrait de la loi Taubira. La chimère d’un « vote catho » – étant entendu par là un vote homogène en faveur de la droite – a d’autant mieux fonctionné que, comme cela a été mis en évidence par Yann Raison du Cleuziou, nombre de médias l’ont souvent reprise à leur compte.

Valérie Boyer, la porte-parole de François Fillon, aux convictions catholiques très affichées (ici en janvier 2017). Thomas Samson/AFP

Le succès inattendu de François Fillon aux primaires rallié par Sens commun a pu sembler – au vu de l’importante mobilisation des catholiques pratiquants en sa faveur – valider cette lecture. L’analyse serrée d’Hervé Le Bras et de Jérôme Fourquet invite pourtant à relativiser cette lecture : le candidat a bénéficié d’un soutien important au sein de la catégorie des catholiques pratiquants, qui ne représente qu’un segment du catholicisme. Mais il n’y a pas eu de « surmobilisation » catholique à son égard.

Qu’on ait ici affaire à une « bulle médiatique », comme l’a écrit Yann Raison du Cleuziou ou à une « illusion d’optique » comme le défend Hervé Le Bras, n’empêche pas que cette repolitisation de l’enjeu catholique ait été diablement efficace à en juger par les déplacements qu’elle a générés. Le plus spectaculaire est sans doute la manière dont les candidats se sont mis, tour à tour, à publiciser leurs convictions (ou absences de convictions) religieuses, comme si décliner son identité en matière religieuse allait désormais de soi.

Le rapport à la religion des personnalités politiques n’avait bien sûr rien d’un mystère auparavant. On savait que de Gaulle allait à la messe. Nul n’ignorait la spiritualité déiste d’un François Mitterrand ou l’ancrage protestant d’un Michel Rocard. Mais les choses restaient dans l’implicite, à l’exception de quelques personnalités politiques, telles que Christine Boutin, qui tentaient de faire fond sur son positionnement catholique. Ce code de conduite a été singulièrement bousculé.

C’est François Fillon, qui a ouvert le bal en rompant dans son livre Faire, publié en 2015, avec la discrétion dont il avait fait montre jusque-là sur ses convictions religieuses. L’affichage de sa catholicité a été constant : de sa participation à la fête de l’Assomption à l’abbaye de Solesmes cet été à sa visite à la vierge du Puy-en-Velay à la veille du premier tour, en passant par ses déclarations de « gaulliste, de surcroît chrétien ». Sans oublier la croix arborée par sa porte-parole, Valérie Boyer, dont on a peine à penser qu’elle ait été tout à fait fortuite.

Assaut de bonne catholicité

Mais François Fillon n’a pas été le seul à miser sur l’électorat catholique. La captation de cet électorat a constitué un enjeu pour les finalistes des primaires de la droite. Les deux candidats ont fait assaut de « bonne catholicité ». Alain Juppé n’a ainsi pas hésité à faire référence au pape pour disqualifier le catholicisme rétrograde de son adversaire et faire valoir sa sensibilité plus sociale. Emmanuel Macron, dont l’électorat a découvert qu’il s’était converti au catholicisme à l’âge de 12 ans, lui a emboîté le pas, lorsque durant le week-end pascal, à l’occasion d’une visite d’un centre d’hébergement du Secours catholique à Paris il a, à son tour, taclé François Fillon sur le terrain religieux :

« Être catholique, c’est défendre les droits des plus pauvres, ce n’est pas se battre pour retirer des droits à des hommes et des femmes. »

Les candidats aux primaires de gauche n’ont pas été en reste dans ce « grand déballage religieux » dénoncé Vincent Peillon. Nombreux sont ceux, en effet, qui ont décliné leur positionnement personnel par rapport à la religion. La plupart ont certes fait acte de distance avec celle-ci. Mais certains – tel Benoît Hamon – ont revendiqué l’héritage malgré l’éloignement de la foi de leur enfance et se sont mis, eux aussi, à faire référence au pape François.

Le Pape François, à Rome, le 3 mai 2017. Plusieurs candidats – tels Alain Juppé, Benoît Hamon ou Jean‑Luc Mélenchon – ont fait référence à son action durant la campagne. Tiziana Fabi/AFP

De manière plus inattendue encore, on a entendu Jean‑Luc Mélenchon, dont on a découvert le passé d’enfant de chœur, évoquer avec respect « la brûlure de la foi ». Malgré son anti-cléricalisme revendiqué, le candidat de La France insoumise s’est prévalu de convergences avec le Pape sur le terrain de la lutte contre la pauvreté. Marine Le Pen n’a pas fait exception, elle non plus. Tout en se déclarant profondément croyante, elle a marqué sa distance avec l’institution catholique à laquelle elle reproche de trop se mêler de politique.

La droite n’a pas le monopole du vote catholique

Cette manière qu’ont eue la plupart des candidats de faire état, a minima, de leur socialisation catholique n’est évidemment pas totalement dénuée de calculs électoralistes. Si tel est le cas, c’est qu’ils ont saisi que le catholicisme était loin de constituer l’apanage des électeurs de droite et que des conquêtes étaient possibles dans d’autres segments du catholicisme. Auraient-ils retenu les enseignements livrés par de récents travaux sociologiques faisant voler en éclat l’assimilation simpliste des catholiques à un électorat de droite, a fortiori lorsqu’ils sont pratiquants (curseur d’analyse de moins en moins pertinent) ?

Quoi qu’il en soit, le premier tour de la présidentielle est à cet égard instructif. Avec 56 % des voix catholiques se partageant entre Fillon (28 %), Dupont-Aignan (6 %) et Marine Le Pen (22 %), il a certes incontestablement montré le tropisme catholique pour la droite, a fortiori chez les catholiques les plus pratiquants. Mais s’arrêter à ce seul constat, bien connu de la sociologie électorale, serait incomplet.

Tout d’abord, cette prédominance de droite ne doit pas faire oublier que non seulement 22 % des électeurs de confession catholique ont apporté leur suffrage à Emmanuel Macron, mais aussi 14 % à Jean‑Luc Mélenchon, et 4 % à Benoît Hamon.

Ensuite, ce premier tour a clairement montré qu’il existait différentes variantes du catholicisme de droite. Ce dernier est partagé entre d’une part une orientation démocrate-chrétienne séduite lors de la primaire par Juppé et aujourd’hui par Macron, d’autre part par une droite catholique traditionaliste et héritière de Maurras encline à donner ses voix à Debout la France ou au FN, et enfin une droite républicaine incarnée par un François Fillon qui n’a finalement drainé que 28 % des catholiques, quels que soient leur degré d’engagement.

Les lignes de fractures se multiplient

La défaite de François Fillon a laissé orpheline une bonne partie des catholiques conservateurs et, parmi eux les pratiquants, qui lui avaient largement apporté leurs suffrages. Mais ceci est également vrai, quoique dans une moindre mesure, du côté gauche de l’échiquier et notamment parmi les électeurs catholiques qui ont voté Jean‑Luc Mélenchon et Benoît Hamon.

Depuis les résultats du premier tour, le débat sur le report des voix fait rage au sein du catholicisme français dont les lignes de fractures se multiplient. Ce débat est exacerbé par le refus de l’épiscopat de se prononcer clairement contre le FN, à la différence de 2002. L’enjeu pour les évêques, qui se sont contentés de donner des éléments de discernement et d’en appeler aux consciences individuelles, n’est certes plus le même. Il était plus aisé de préconiser un ralliement à Chirac qu’à un candidat qui, pour beaucoup incarne, la continuité avec le quinquennat qui a légalisé le mariage entre partenaires de même sexe et une posture progressiste sur les questions de PMA et de fin de vie. Sans compter que les suites politiques données à la Manif pour tous ont profondément divisé le corps épiscopal.

Christine Boutin (ici en 2013) a rallié le FN sans hésiter. Stan Jourdan/Flickr, CC BY-SA

La décision de Christine Boutin de rallier le Front national, le « tout sauf Macron » de la présidente de la Manif pour tous, et de son ancienne égérie, Frigide Barjot, le ni-ni de Sens commun n’ont pas changé la donne, bien que quelques évêques soient sortis de la langue de bois pour en appeler explicitement à un vote anti-FN.

On assiste, en revanche, depuis le 24 avril, à un déferlement d’appels de personnalités, clercs ou laïcs, et de mouvements catholiques en faveur d’un vote Macron. Chacun y va de sa tribune, lettre ouverte, pétition tandis que les médias chrétiens – progressistes et conservateurs – jouent un rôle important dans l’animation du débat en cours. Beaucoup parmi ces appels émanent du catholicisme de gauche, tels que la lettre ouverte de Jérôme Vignon (l’un des anciens présidents des Semaines Sociales de France), et Bernard Devert, président d’Habitat et humanisme, la tribune du père Christian Delorme ou encore, l’éditorial de la rédactrice de Témoignage Chrétien.

De nombreuses voix du catholicisme de droite font écho. À commencer par certains des protagonistes de la Manif pour tous – tel le maire de Neuilly (DVD) Jean‑Christophe Fromantin – qui ne se reconnaissent ni dans le positionnement de Ludovine de La Rochère ni dans celui de Sens commun.

Dédiabolisation du FN et discrets appels du pied d’Emmanuel Macron

Entre les deux présidentiables, la question religieuse continue d’affleurer. C’est toutefois davantage la question musulmane qui occupe le premier plan, comme l’ont montré, lors du débat télévisé du 3 mai, les invectives de Marine Le Pen sur le prétendu penchant communautariste d’Emmanuel Macron et ses liens – tout aussi fantasmés – avec l’UOIF.

Les adresses à l’électorat catholique ont été davantage confiées à leurs lieutenants ou gardes rapprochées. Au FN, c’est surtout Marion Maréchal–Le Pen qui est montée au créneau en chevauchant le thème de la « marchandisation de l’humain » et faisant miroiter la promesse de l’abrogation de la loi Taubira au profit d’un Pacs amélioré. C’est, de manière plus discrète, que le candidat d’En Marche ! a envoyé des signaux aux catholiques – un éventuel moratoire sur toutes les questions touchant au début et à la fin de vie – par le truchement de la presse confessionnelle.

Cette levée de boucliers catholique contre les adeptes du « tout sauf Macron », les violentes critiques adressées à la Conférence épiscopale de France témoignent de résistances tenaces à l’égard d’une mise en équivalence des candidats FN et d’En Marche !, ou du vote en faveur de l’extrême droite. Mais seule l’analyse des résultats du second tour nous permettra de mesurer dans quelle mesure cette mobilisation aura permis ou non d’endiguer la dédiabolisation du FN au sein du catholicisme – dédiabolisation à laquelle contribuent, en dépit de quelques voix dissidentes, l’épiscopat et la surprenante euphémisation du Pape François qualifiant le FN de « droite forte ».

Quoi qu’il en soit, s’il est une leçon électorale à retenir de cette présidentielle, qui pourrait bien laisser des cicatrices durables au sein d’un catholicisme français aussi divisé que la société française, c’est que « le » vote catholique existe moins que jamais.

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