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Kalmia à feuilles étroites
Le kalmia à feuilles étroites est une plante envahissante typique des écosystèmes boréaux. Sa prolifération peut nuire au reboisement de zones soumises à des perturbations. Jacques Ibarzabal/iNaturalist

Vers une valorisation des ressources végétales boréales

Les plantes produisent des molécules pour interagir avec leur environnement et pour se protéger contre les menaces extérieures. Ces molécules peuvent également présenter des propriétés – antioxydantes, anti-inflammatoires, antibactériennes – qui sont bénéfiques pour la santé humaine. Ces propriétés sont valorisées par les médecines traditionnelles et inspirent le développement de médicaments par les chimistes contemporains.


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La majorité des médicaments sur le marché sont des produits naturels ou en dérivent. Entre autres, plusieurs classes d’antibiotiques utilisées pour combattre les infections bactériennes sont basées sur la structure chimique de produits naturels.

Par exemple, l’érythromycine A est un antibiotique naturel, produit par un micro-organisme. Elle est utilisée pour combattre différentes infections bactériennes. On prépare un autre antibiotique, la clarithromycine, en modifiant la structure de l’érythromycine A.

Les produits biosourcés, qui tirent leur origine du vivant, trouvent aussi des applications dans des domaines variés incluant les produits cosmétiques, les compléments alimentaires, les phytosanitaires et l’alimentation animale.

Notre groupe de recherche au laboratoire LASEVE de l’Université du Québec à Chicoutimi s’intéresse à la valorisation des produits naturels issus de la forêt boréale. Le choix des espèces étudiées s’appuie en partie sur les usages traditionnels des plantes, par les communautés autochtones.


Cet article fait partie de notre série Forêt boréale : mille secrets, mille dangers


La Conversation vous propose une promenade au cœur de la forêt boréale. Nos experts se penchent sur les enjeux d’aménagement et de développement durable, les perturbations naturelles, l’écologie de la faune terrestre et des écosystèmes aquatiques, l’agriculture nordique et l’importance culturelle et économique de la forêt boréale pour les peuples autochtones. Nous vous souhaitons une agréable – et instructive – balade en forêt !


À la découverte de molécules fascinantes

Les molécules d’intérêt sont souvent extraites en macérant les plantes dans différents solvants (eau, éthanol, glycérine). Des tests biologiques permettent d’évaluer rapidement les bienfaits des extraits. Il est par exemple possible de mesurer le pouvoir antibiotique de produits naturels en traitant des bactéries cultivées au laboratoire.

Les tests biologiques permettent également de faciliter la sélection et l’isolation des molécules ayant les propriétés les plus intéressantes ; on parle alors de « fractionnement bio-guidé ».

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Schéma de principe de l’approche de découverte de nouvelles substances bioactives à partir de la biomasse forestière. (Jérôme Alsarraf), Fourni par l'auteur

Le peuplier baumier comme antibactérien

Le staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM) compte parmi les six bactéries causant la majorité des décès liés à la résistance aux antibiotiques à l’échelle mondiale. La résistance des bactéries aux antibiotiques compromet notre capacité à combattre les infections bactériennes. Dans ce contexte, la découverte de nouvelles classes d’antibactériens devient un enjeu de santé publique.

Nous avons notamment identifié une famille de molécules antibactériennes extraites des bourgeons de peuplier baumier (Populus balsamifera). Ces composés originaux, nommés balsacones, sont actifs contre le SARM. De plus, contrairement à d’autres antibiotiques, leur usage ne semble pas induire de résistance chez les bactéries traitées.

Cependant, les rendements d’isolation des balsacones à partir du bourgeon de peuplier baumier sont faibles. En d’autres termes, pour un kilogramme de plante, nous n’arrivons à obtenir qu’environ 10 milligrammes de molécules ; des quantités bien trop faibles pour étudier les propriétés de ces molécules dans le détail.

Les balsacones demeurent néanmoins des produits prometteurs dans la lutte contre la résistance des bactéries.

Une production plus verte

Les molécules d’intérêt sont habituellement obtenues par synthèse, c’est-à-dire en assemblant successivement différents « blocs de construction » pour aboutir à la molécule souhaitée. Les approches classiques utilisent des « blocs de construction » simples issus de l’industrie pétrolière. Ces méthodes sont fastidieuses et nécessitent plusieurs étapes de synthèse qui reposent sur l’emploi de matières premières nocives et non renouvelables.

La pénurie à venir des ressources fossiles, combinée avec les enjeux environnementaux entourant la pétrochimie, appelle au développement d’alternatives plus durables. Pour pallier ces limitations, une stratégie consiste à employer des produits naturels comme « blocs de construction » pour la synthèse de molécules à haute valeur ajoutée. Ces blocs de constructions remplacent avantageusement les produits issus du pétrole.

Cette approche, dite de xylochimie lorsque les « blocs de construction » proviennent du bois, contourne l’usage de matières premières non renouvelables. L’idée derrière cette méthode est de simplifier la séquence de synthèse en utilisant des molécules biosourcées. De plus, la variété des précurseurs naturels disponibles permet de diversifier les produits accessibles et de découvrir de nouveaux dérivés.

En nous appuyant sur ce principe, nous avons synthétisé plusieurs balsacones en une seule étape de synthèse, en combinant deux molécules biosourcées.

La procédure mise en œuvre repose sur plusieurs principes de la chimie dite « verte ». Elle a aussi permis de produire des molécules inédites apparentées aux balsacones afin de mieux comprendre les paramètres structuraux qui confèrent aux balsacones leurs vertus antibactériennes.

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Principe de l’approche de synthèse xylochimique (droite) comparativement à l’approche de synthèse classique (gauche). (Jérôme Alsarraf), Fourni par l'auteur

Valoriser les trésors de la forêt boréale

L’industrie forestière génère annuellement plus de 1,7 million de tonnes d’écorces au Québec.

Ces résidus demeurent peu exploités, malgré leur forte teneur en molécules aux propriétés intéressantes.

Notre laboratoire travaille au développement de méthodes pour valoriser ces sous-produits de l’exploitation forestière, en identifiant les molécules qu’ils contiennent et en caractérisant leurs propriétés biologiques.

Nous nous intéressons également à d’autres espèces végétales issues de la forêt boréale et impliquées indirectement dans l’aménagement de cette dernière. Par exemple, le kalmia à feuilles étroites (Kalmia angustifolia) est une plante envahissante typique des écosystèmes boréaux. Sa prolifération peut nuire au reboisement de zones soumises à des perturbations telles que des épidémies d’insectes ravageurs ou des feux, dont la fréquence et la sévérité sont susceptibles de s’accentuer dans le contexte actuel de changement climatique.

Les travaux de notre équipe ont montré que cette espèce contient une molécule pouvant être utilisée pour produire la balsacone A, un composé aux propriétés antibactériennes.

En procédant à la récolte du kalmia à feuilles étroites, nos approches d’extraction et de transformation de biomolécules pourraient permettre d’augmenter la valeur ajoutée de cette biomasse, dans une démarche d’économie circulaire.

Ainsi, les extraits végétaux provenant de la forêt boréale peuvent conduire à la découverte de nouvelles substances contribuant notamment à répondre à des enjeux de santé publique mondiaux.

L’utilisation de molécules naturelles comme blocs de constructions pour préparer des dérivés plus complexes permet aussi de générer des produits à haute valeur ajoutée de façon plus respectueuse de l’environnement.

Dans ce contexte, l’étude des produits naturels permettra de contribuer de manière importante au développement durable et à la productivité des forêts.

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