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Yachts à moteur et écologie de (com)plaisance

Bateau à moteur sur l'eau.
En 2019, quelque 769 500 bateaux de plaisance à moteur étaient immatriculés en France. Pexels, CC BY-SA

Mettons-nous un instant à la place d’un de ces nombreux vacanciers du mois d’août, installé sur une plage de Méditerranée à quelques encablures de la marina où s’alignent des bateaux à moteur de toutes tailles, du pneumatique de cinq mètres équipé d’un hors-bord de 25 ch, à l’énorme yacht poussé par de puissants moteurs, sans parler de ces moustiques des mers que sont les jet-ski.

Qu’observons-nous sur la plage ? Un nombre de décibels supérieur ou égal à celui d’une rue parisienne aux heures de pointe, une vague odeur d’essence, quelques reflets moirés à la surface de l’eau, des trains de vagues aberrants qui déferlent alors qu’il n’y a ni vent, ni houle.

Encombrements des ports

Lancez-vous maintenant sur un frêle esquif à voile ou à rames, dans l’espoir de retrouver le charme discret de la navigation de plaisance d’autrefois. Aux abords d’une de ces monstrueuses marinas, vous allez être secoué, bousculé, agressé par le bruit des moteurs et par les vagues croisées et anarchiques que soulèvent en permanence les engins défilant comme sur une autoroute, le matin vers le large, et le soir vers le port.

Le 31 août 2019, 769 500 bateaux de plaisance à moteur étaient immatriculés en France, dont 40 % construits par des chantiers français. Entre septembre 2018 et septembre 2019, ce parc s’est augmenté de 9 508 unités dont 3 148 faisaient moins de cinq mètres et 2 400 étaient des engins pneumatiques.

Les marinas sont souvent au fond d’une baie. Comme le bruit des multiples bateaux à moteur rend le fond de baie infréquentable, un nombre toujours croissant d’amateurs cherche à s’équiper, selon leurs moyens, de bateaux assez rapides pour sortir de la baie et atteindre la fameuse plage calme et solitaire qui se trouverait là-bas, de l’autre côté de la pointe…

Port avec des yachts
Les ports encombrés par les nombreux bateaux de plaisance. Auteur

Oui, mais voilà ! Comme tous les bateaux ont la même idée au même moment, la fameuse plage supposée sauvage, se transforme au mois d’août en piscine municipale tout aussi encombrée et bruyante que le fond de la baie, tandis que le « charmant petit village en bord de mer » que les plaquettes publicitaires persistent à vanter, est devenu un immense parking nautique aux allures de zone industrielle.

Les Français sont attachés aux vacances d’été en bord de mer. On pourrait donc s’attendre à ce que ce motonautisme, fort peu écologique, fasse l’objet d’indignations, de commentaires, d’études et de recherches, afin de proposer des loisirs nautiques plus conformes à l’idéal du retour à la nature. Ce n’est pourtant pas ce que l’on observe.

Qu’il s’agisse de publications scientifiques, de décisions administratives, d’articles de presse ou de sites Internet, on ne trouve presque aucune trace du souci de protéger la majorité des vacanciers – qui n’ont pas de bateau de plaisance à moteur – contre les nuisances de la minorité qui en utilisent.

Curieusement, l’attention du public a été portée sur les effets nocifs des bruits de moteur sur la faune marine. Des études scientifiques ont montré l’effet dévastateur des bruits marins sur les baleines et les dauphins. L’impact des moteurs marins sur la faune aquatique a même fait l’objet d’un rapport au Sénat.

Pendant ce temps, l’impact des mêmes moteurs sur la catégorie des homo sapiens en vacances ne semble pas intéresser grand monde. À ma connaissance, aucune étude scientifique du niveau sonore sur les plages proches d’une marina en période estivale n’a été réalisée.

Jet-ski
Les nuisances sonores des moteurs pour les humains ne semblent déranger personne. Auteur

Un article publié dans le journal Corse Matin donne pourtant une idée de l’intensité du trafic en pleine saison. Au port de Saint-Florent (Haute-Corse), ce sont chaque jour d’été plus de 200 bateaux qui quittent le port ou y arrivent, généralement entre 16 heures et 19 heures. Comme en témoigne David Donnini, le directeur de la capitainerie, « on observe une diminution du nombre de bateaux inférieurs à 17 mètres, et une augmentation de ceux supérieurs à 25 mètres de long ».

Tandis qu’Anne Hidalgo tente à grands frais de chasser les voitures de Paris, la réglementation et les décisions administratives semblent particulièrement rares et timorées lorsqu’il s’agit de faire évoluer le tourisme nautique le long de nos côtes où prolifèrent pourtant des véhicules de loisir à moteurs bruyants, polluants, consommateurs d’hydrocarbure et émetteur de CO2, agressant la faune et la flore aquatique tout autant que les humains.

Décisions timorées

Le CidB (Centre d’information sur le bruit) a rassemblé quelques informations sur ce sujet. Il signale que le préfet pourrait en principe, encadrer ou interdire la pratique du jet-ski, comme de toute autre embarcation à moteur. De même qu’en principe, un maire pourrait intervenir afin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique.

Mais le fera-t-il, alors que les municipalités concernées tirent l’essentiel de leurs ressources de la location des emplacements dans les marinas ?

Comme le rappelle le Cidb :

« En 2007, le maire de Cannes avait interdit par arrêté l’usage d’une cale de mise à l’eau sur le port du Mourré Rouge à tout engin nautique à moteur en raison “des constats réguliers et systématiques des nuisances sonores”. Le plan de balisage du plan d’eau de la commune, adopté conjointement avec le préfet, s’était révélé insuffisant pour mettre fin aux nuisances sonores. Malheureusement pour les riverains, l’arrêté municipal a été jugé illégal par la justice en 2018. Les nuisances résultaient du non-respect du plan de balisage par les jetskieurs et non de l’insuffisance du plan. De plus, il s’agissait de la seule cale de mise à l’eau de la commune. Pour les juges, la restriction du maire était trop générale ».

Les quelques tentatives limitées de réglementation ne font que confirmer notre analyse : la question des nuisances engendrées par les navires de plaisance à moteur est un thème orphelin qui n’a intéressé jusqu’ici ni les chercheurs, ni le législateur, ni les autorités publiques locales, ni les médias.

Lorsqu’on considère les discours passionnés que suscitent les sujets liés à l’écologie, on peut s’étonner que la question des nuisances provoquées par les navires de plaisance à moteur éveille si peu d’intérêt. Pourtant, les utilisateurs de ces bateaux ne font que des ronds dans l’eau pour le plaisir. Il devrait donc être possible de leur proposer de s’amuser autrement, d’autant que ces usagers eux-mêmes, se plaignent du bruit que fait leur moteur !

Une réglementation à faire évoluer

Paddles, planches à voile, kitesurf, kayak de mer et voiliers sont des engins nautiques à promouvoir. On peut espérer que des moteurs électriques et une nouvelle conception de l’architecture des bateaux à moteur, moins agressive, permettra dans le futur une réduction du niveau sonore, des vagues induites par leur passage, de la consommation de pétrole et des émissions de CO2. Mais en attendant, que faire de l’immense parc des bateaux à moteur bruyants et polluants déjà construits ? Et comment empêcher le nombre de ces bateaux polluants d’augmenter chaque année ?

Une évolution de la réglementation semble souhaitable. Elle passe probablement par une stricte limitation de la vitesse autorisée dans une zone côtière suffisamment vaste pour que la protection des riverains soit mieux assurée. Elle passe sans doute aussi par une forte taxation des bateaux bruyants et polluants, qu’ils soient neufs ou d’occasion et pourquoi pas, par l’interdiction pure et simple des jet-ski et des moteurs particulièrement bruyants.

Personnes qui font du paddle.
Il existe de nombreuses activités nautiques saines pour l’environnement. Needpix, CC BY

À la différence d’autres industries nautiques européennes qui produisent majoritairement des bateaux à moteur, l’industrie nautique française est traditionnellement spécialisée dans la production de voiliers. Elle pourrait donc tirer avantage d’une politique volontariste visant à limiter les nuisances de la navigation de plaisance.

Sans doute faudrait-il faire évoluer aussi le « permis de conduire en mer les navires à moteur », un permis qui tient lieu d’apprentissage de la mer, mais qui orientent les consommateurs précisément vers les engins les plus polluants, qui sont d’ailleurs ceux qu’utilisent formateurs et examinateurs.

La lenteur, la méditation, l’adaptation respectueuse aux forces de la nature sont des valeurs mises en avant par le mouvement écologique, mais il reste encore beaucoup de travail pour les faire entrer dans les mœurs. Le sage retour aux bateaux à voiles et à rames qui ferait de la mer, à nouveau, un milieu qu’il faut mériter et qui vous le rend bien, suppose de débarrasser nos côtes des engins les plus polluants.


Michel Villette est l’auteur du livre « Portrait de l’homme d’affaires en prédateur » (éditions La Découverte).

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