Menu Close

Décryptage : en droit, fœtus et embryon pourraient-ils être considérés autrement que comme des choses ?

Pour le droit, l'embryon et le fœtus sont des choses comme une autre, quand bien même cela peut paraître choquant. Nikos Apelaths / Pixabay

À parcourir l’actualité avec un regard de juriste, on a parfois l’impression qu’il existe un fossé très large entre la théorie du droit et la perception qu’en a le grand public. C’est en fait là tout un pan de recherche pour les juristes : c’est un enjeu pour le droit d’être raccord avec les perceptions de son temps ; c’en est un autre que de demeurer fonctionnel et efficace.

Cela vaut notamment lorsque l’on parle des embryons, des fœtus ou des cadavres, objets de mes recherches. Beaucoup de personnes étrangères à la discipline (et ce n’est pas une tare !) ne comprennent notamment pas les décisions de justice lorsqu’une femme perd son bébé à naître lors d’une agression ou d’un accident provoqué par autrui : pourquoi ne s’agirait-il que de « blessures » ? Les étudiants en droit témoignent fréquemment de leur surprise quand ils le découvrent.

Une partie des confusions est née le 22 mai 1994, quand le Comité national d’éthique a qualifié l’embryon de « personne humaine potentielle dont le respect s’impose à tous ». Il s’agit-là d’un simple avis et non d’un véritable statut juridique. Le droit civil français, lui, ne distingue que les personnes et les biens. Rien n’existe entre les deux, pas donc de catégorie propre à l’embryon, ni au fœtus. De ce fait, l’embryon et le fœtus sont donc considérés comme des choses, juridiquement parlant, et non une personne malgré l’idée de « personne potentielle ». Le statut de personne est réservé à celles et ceux qui sont « nés vivants et viables ».

Il est très compréhensible que cette théorie puisse être « choquante » aux yeux des profanes du droit. Elle ne repose pas moins sur un certain nombre de justifications qui participent activement à la sauvegarde de certains droits et libertés des personnes. Cela n’empêche toutefois pas les juristes chercheurs d’imaginer un statut juridique de l’embryon et du fœtus qui soit plus en accord avec la réalité de son objet.

L’atteinte à la vie d’un enfant à naître n’existe pas en droit

Le choix du législateur a directement à voir avec le droit des femmes à l’avortement qui fut autorisé en France en 1975 grâce à la loi dite Veil. Un statut de « chose », aussi particulière puisse être cette dernière, le justifie plus facilement qu’un statut de personne qui risquerait d’apporter son lot de questionnements gênants. En tissant, par exemple, un lien entre l’avortement et le meurtre avec préméditation, ce que certaines personnes n’hésitent pas à faire.

Ce statut permet également d’apporter une réponse pénale opportune sur les questions très délicates impliquant notamment des accidents entraînant la perte d’un fœtus. Reprenons le cas jugé en Assemblée plénière par la Cour de cassation le 29 juin 2001. Dans cette affaire, un conducteur alcoolisé avait causé un accident de la route impliquant une femme enceinte. Il avait entraîné la mort de son fœtus. Se posait alors la question de savoir si le conducteur pouvait être jugé coupable du chef d’homicide involontaire sur le fondement de l’article 221-6 du code pénal qui définit ce dont il s’agit et les peines associées.

Le statut juridique du fœtus est régulièrement jugé choquant, comme il l’a été par beaucoup d’internautes au moment de l’affaire Palmade.

En droit pénal, la loi est d’interprétation stricte : il n’y a pas de crime sans texte qui le prévoit. Le juge doit ainsi s’en tenir à une interprétation littérale de ce qu’énonce le législateur, laquelle ne permet pas en l’espèce de condamner ce conducteur pour des faits d’homicide involontaire. Il ne peut pas poser une jurisprudence qui étendrait le champ d’application du texte au fœtus. N’a ainsi été retenu que le chef de blessures involontaires, avec circonstance aggravante du fait de son état d’ébriété, car il n’existe pas, pour la Cour de cassation en tout cas, d’atteinte involontaire à la vie de l’enfant à naître.

Tout cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler la triste actualité du comédien Pierre Palmade : ce dernier ne pouvait en aucun cas être condamné pour homicide involontaire tant que l’enfant n’était pas considéré comme étant né vivant et viable. Des examens semblent démontrer que l’enfant, mis au monde par césarienne après l’accident, a vécu 33 minutes et l’on comprend désormais toute l’ampleur des enjeux judiciaires auxquels l’artiste va devoir faire face.

Un souci de modérer les peines ?

Pourquoi, alors le législateur n’a-t-il jamais accepté de réformer l’article 226-1 du code pénal ou de prévoir un nouveau texte permettant de faire entrer ces faits en adéquation avec le chef d’homicide involontaire sans attendre que le fœtus naisse vivant et viable ?

Il est en fait établi que la peine pénale n’a pas pour fonction de permettre à la victime ou à ses proches de se reconstruire : nulle peine ne peut soulager la douleur qu’éprouve la victime d’un tel drame. Si elle peut faire ressentir un sentiment selon lequel « justice a été rendue », ériger cela en objectif encouragerait les vengeances, ce qui est exactement ce contre quoi le droit pénal français s’est fondamentalement construit. Le droit pénal vise à punir les personnes coupables de transgression d’une ou plusieurs valeurs sociales mais c’est la société qui punit et réaffirme par la même ses valeurs, pas la victime, afin d’éviter la vendetta.

Enfin, nul n’est à l’abri de provoquer un accident et le droit pénal n’est pas que le « droit des criminels ». Il suffit parfois d’un rien pour se retrouver mis en cause dans une affaire impliquant potentiellement un homicide involontaire (SMS au volant, par exemple). En refusant de faire le lien entre perte provoquée du fœtus et homicide involontaire, le législateur reste soucieux de préserver les libertés des individus en modérant les peines pouvant leur être infligées.

Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’il s’agit là de l’état actuel du droit et de la présentation des justifications à l’absence de réforme de ce système. Cela ne signifie en aucun cas qu’il emporte la satisfaction de tous les juristes. Beaucoup pensent que le droit a le potentiel d’établir de nouvelles règles permettant de mieux prendre en compte la réalité de l’embryon, du fœtus et les droits des victimes à demander réparation.

Quelles évolutions légales possibles ?

L’hypothèse qui semble la plus simple est la suivante : réaménager la protection pénale de l’embryon et du fœtus en créant une incrimination spéciale à leur égard dans le code pénal. Ainsi, l’enfant simplement conçu (embryon) ou à naître (fœtus) serait reconnu comme une valeur sociale à part entière dont seraient punies toutes les atteintes volontaires ou involontaires à son endroit.

Cette solution constituerait un apport à la fois symbolique et juridique. Symboliquement, elle permettrait aux profanes et victimes de constater une meilleure prise en compte par le droit des violences subies. Juridiquement, cela permettrait d’établir une peine à mi-chemin entre les blessures et l’homicide. Elle démontrerait une certaine prise de conscience de la part des juristes de la réalité des « personnes potentielles ». Il faudrait cependant préciser dans ce cas que l’avortement reste une atteinte autorisée dans le sens de la préservation de la liberté des personnes dans leur choix de devenir parents ou non.

Une deuxième hypothèse, beaucoup plus complexe dans sa mise en œuvre, impliquerait une mutation du droit civil, s’affranchissant de sa dichotomie entre personnes et choses. Il s’agirait d’accepter la reconnaissance d’une nouvelle catégorie, celle de « personne potentielle ». Cela ne paraît pas impossible dans la mesure où l’article 16 du code civil suggère déjà, selon certains auteurs, que l’embryon et le fœtus sont des « personnes humaines » mais non juridique, d’où l’idée d’une nouvelle catégorie à créer pour eux.

Une telle solution ne serait clairement pas du goût de tous les juristes, car beaucoup estiment que cela menacerait l’efficacité du droit civil. Elle ouvrirait la « boite de Pandore » qui pousserait à la multiplication des nouvelles catégories en dehors des personnes et des choses pour l’animal ou le cadavre humain par exemple. Le droit y perdrait son caractère fonctionnel au profit d’un nouveau cadre qui serait contraint à devenir le reflet de toutes les étiquettes sociales.

« Parce que contraignante est la forme, l’esprit jaillit plus intense », disait Baudelaire. Le droit civil doit-il rester contraignant au profit de solutions fonctionnelles pour l’embryon et le fœtus ? Doit-il, au contraire, finir par s’avouer qu’une mutation est nécessaire afin de ne pas rester en décalage avec la société qui, pour ne pas l’ignorer, doit pouvoir conserver sa capacité à le comprendre ?

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now